La recherche montre que les sociétés suisses qui portent le nom de leur fondateur publient, en général, des bénéfices de meilleure qualité que leurs homologues.
Les récents déboires de Crédit Suisse peuvent être en partie imputés à une suite de scandales ayant érodé la confiance en ce géant bancaire. En effet, la réputation d’une entreprise peut être totalement détruite en cas de découverte d’irrégularités comptables. Si toutes les entreprises souhaitent préserver leur image, sont-elles toutes logées à la même enseigne?
Parmi les plus de 600’000 entreprises que compte la Suisse, les entreprises familiales constituent indéniablement une catégorie à part. Elles font régulièrement la une des journaux pour leur exceptionnelle longévité et leur capacité à résister aux chocs. Leur vision à long terme leur assure une pérennité que beaucoup leur envient. Dans les entreprises familiales, les équipes dirigeantes ont en effet à cœur de préserver à la fois les intérêts financiers de l’entreprise mais également des aspects qui relèvent du socio-émotionnel et s’inscrivent dans le long-terme. Dans cette perspective, la théorie indique que les décisions de gestion visent donc à protéger deux «richesses»: le patrimoine économique tel qu’on le conçoit habituellement mais également le patrimoine socio-émotionnel. Ce dernier conduit à la poursuite d’objectifs non financiers visant à renforcer le sentiment d’appartenance à la famille, permettre la transmission des valeurs familiales, ou encore assurer une succession intergénérationnelle. Or la richesse socio-émotionnelle dépend en partie de la réputation de l’entreprise familiale. Cette réputation peut être entachée par de nombreux événements: crise de gouvernance, scandale sanitaire, manipulation comptable, etc.
Parmi les entreprises familiales, les éponymes désignent celles qui portent le nom de leur fondateur ou de la famille fondatrice. On peut par exemple citer Bobst, Kudelski, Meier Tobler ou encore Zehnder en Suisse. Ce type d’entreprises est bien identifié du grand public. Les noms de Gucci, Guinness, Michelin, ou Rothschild par exemple en Europe, et Disney, Heinz, ou Hewlett-Packard aux Etats-Unis viennent tout de suite à l’esprit. Comme la Suisse présente une concentration de grandes entreprises familiales parmi les plus élevées d’Europe, cela rend les entreprises éponymes particulièrement visibles et donc soucieuses de leur richesse socio-émotionnelle. Ce ne fut pas le cas de Gerald Ratner connu pour avoir publiquement dénigré les produits vendus dans ses bijouteries éponymes en 1991. Ratners, rebaptisé Crapners par la presse et dont l’image s’était considérablement détériorée, dut abandonner le nom de la famille fondatrice pour espérer faire oublier l’affront!
Un échange attribué à la famille Sackler illustre bien leur désir de protéger la famille et son nom, à un moment où l’OxyContin était sous le feu des projecteurs en raison de la dépendance aux opiacés créée aux Etats-Unis.
Il s’agit d’éviter à tout prix que les déboires juridiques de l’entreprise ne rejaillissent négativement sur les membres du clan et n’entache les actions philanthropiques entreprises par la dynastie Sackler. Dans ce cas, avoir nommé l’entreprise familiale Purdue Pharma apparaît salutaire!
Dans une étude récente, un groupe de chercheurs internationaux (Canada, France et Suisse) s’est donc posé la question de savoir si les préoccupations réputationnelles plus marquées des entreprises éponymes les incitent à moins gérer leurs résultats comptables, de peur que la découverte d’un tel comportement n’entache leur image et donc leur richesse socio-émotionnelle. La réponse est: oui mais pas tout le temps.
Dans leur étude récemment publiée,2 les chercheurs montrent que les entreprises familiales éponymes cotées en Suisse se distinguent des autres entreprises puisqu’elles sont en effet moins tentées de gérer leurs résultats comptables (i.e., elles divulguent un résultat comptable moins manipulé et donc de meilleure qualité). Cela signifie que ces entreprises sont moins enclines à intervenir volontairement sur les pertes et profits rapportés annuellement. Pourquoi? L’explication tient en la très forte identification des propriétaires à l’entreprise lorsqu’ils lui ont donné leur nom.
Deux situations viennent cependant péjorer ce comportement. La première réside dans le passage volontaire des normes comptables IFRS aux Swiss GAAP. Les entreprises familiales éponymes profitent alors d’une rupture dans la comparabilité des données comptables et gèrent leurs résultats comptables, le risque de détection étant plus faible. La deuxième situation est observée lorsqu’un membre de la famille préside le conseil d’administration ou l’équipe de direction de la société. Dans cette configuration, d’autres incitations entrant en conflit avec la préservation de la richesse socio-émotionnelle apparaissent, telle que le besoin de démontrer sa capacité de dirigeant.
En conclusion, la recherche actuelle portant sur les sociétés éponymes Suisses montre que ces dernières divulguent, en général, des bénéfices de meilleure qualité. Sachant l’importance qu’ont les bénéfices en analyse financière et en valorisation, cette information est un facteur à considérer dans un contexte d’allocation de capitaux. Une considération contextuelle de l’entreprise s’avère également cruciale car certaines situations, comme un changement de normes comptables ou la présence de membres de la famille au comité exécutif, peuvent annihiler ce lien positif entre société familiale éponyme et qualité des bénéfices.