Dur dur d’être banquier central

Emmanuel Kragen, Kepler Cheuvreux Solutions

2 minutes de lecture

Attention à l’erreur de politique monétaire: si l’inflation reste élevée, l’activité ralentit.

Jusqu’à très récemment, les choses étaient relativement claires pour les banquiers centraux: il s’agissait de maintenir des conditions financières laxistes pour pérenniser le rebond économique, quitte à laisser filer une inflation opportunément qualifiée de transitoire. La stratégie adoptée consistait à mettre fin en douceur à la stimulation exceptionnelle: arrêt progressif des achats de titres et report des hausses de taux directeurs à la fin de 2022 au plus tôt. L’idée générale des investisseurs était que les banques centrales pouvaient se permettre de rester durablement accommodantes.

Les pressions inflationnistes plus fortes et plus durables qu’attendu ont eu raison de cette stratégie, et ce à un moment où la croissance économique mondiale semble marquer le pas sous l’effet de contraintes d’offre, du ralentissement chinois et d’une hausse des coûts de l’énergie.

Inflation en hausse, croissance en baisse: le travail de banquier central est devenu subitement très compliqué.

Un certain nombre de banques centrales ont néanmoins choisi de commencer à remonter leurs taux d’intérêt. Sans parler des banques émergentes, qui ont leurs contraintes propres, les banques centrales de Norvège, de Nouvelle-Zélande, de République tchèque ont par exemple franchi le pas. La Banque d’Angleterre a indiqué vouloir relever ses taux début 2022. Plus récemment, la Banque du Canada a surpris en mettant brutalement fin à son QE (la réduction des achats de titres était censée être graduelle) et en avançant le timing de sa première hausse de taux (T2-T3 2022 versus T3-T4). Là encore, les pressions inflationnistes ont servi de prétexte (prévision d’inflation 2022 revue à 3,4% versus 2,4%).

Nous sommes ainsi passés d’un cycle d’assouplissement monétaire global (2019-2020) à un cycle de resserrement global. Les décisions prises par les banques centrales de second rang ont nourri les anticipations sur la Fed et la BCE, qui ont fortement augmenté récemment. Trois hausses de taux sont désormais pricées d’ici fin 2022 aux Etats-Unis (contre moins de deux début septembre), dont une première potentiellement dès le mois de mars! En zone euro, une hausse de taux est désormais intégrée, alors qu’il y a peu le consensus des économistes s’accordait sur le fait qu’il ne se passerait probablement rien sur les taux directeurs avant 2024…

Les anticipations de hausse des taux n’ont jusqu’à présent pas empêché le marché actions de progresser.

Les taux courts étaient jusqu’à présent comprimés par la certitude de politiques monétaires durablement accommodantes. Leur décompression se traduit par un aplatissement assez net des courbes de taux un peu partout dans le monde développé.  Les taux réels sont quant à eux repartis à la baisse, preuve que les investisseurs doutent de la croissance à long terme.

Remonter les taux directeurs dans le contexte actuel nous semble être une erreur de politique monétaire. Si l’inflation provient pour partie d’une forte demande, une large part s’explique par les contraintes d’offre et les prix de l’énergie. Or, on ne traite pas un choc d’offre transitoire par une hausse des taux d’intérêt. Qui plus est, la progression actuelle des prix de l’énergie porte en elle les germes de la désinflation future, via un ralentissement progressif de la demande (baisse du pouvoir d’achat des ménages) et donc un rééquilibrage «automatique» offre / demande.

Il est donc important que la Fed et la BCE ne sur-réagissent pas à l’inflation et à la pression des marchés, gardent leur sang-froid, maintiennent leur flexibilité et évitent l’erreur de politique monétaire de décembre 2015: alors que la croissance économique montrait des signes de ralentissement clairs et que l’inflation était inférieure à 1% en glissement annuel, la Fed avait quand même validé une hausse de taux qu’elle avait pré-annoncée, avec les conséquences que l’on sait sur les marchés financiers.

Mme Lagarde et M. Powell ont pris soin de découpler le timing de la fin du QE de celui de la remontée des taux directeurs. C’est rassurant. Nous attendons confirmation lors du FOMC de la Fed cette semaine. La semaine dernière, Mme Lagarde a confirmé ce que tout le monde savait déjà, à savoir que la BCE arrêterait son PEPP en mars prochain. En revanche, elle ne s’est pas prononcée sur ce qui se passera après. Nombreux sont ceux qui se sont exprimés sur le sujet ces derniers jours. Le FMI a même exhorté la BCE à accroître ses achats de titres pour atteindre son objectif d’inflation de moyen terme une fois le PEPP terminé. Si l’hypothèse d’un nouveau programme a été avancée, l’idée qui semble prédominer est d’ajouter de la flexibilité à l’APP (en termes d’enveloppe, de durée et de clé de répartition). Le marché table sur un début de resserrement monétaire dès 2022. Mme Lagarde n’a pas démenti mais des TLTROs assorties de conditionnalités moins favorables en termes de rémunération pourrait être une solution médiane retenue par la BCE en lieu et place d’une hausse des taux directeurs.  

Terminons en soulignant que les anticipations de hausse des taux n’ont jusqu’à présent pas empêché le marché actions de progresser: d’une part parce que les taux réels restent comprimés; d’autre part parce que comme le montrent les publications du T3, les entreprises valident les attentes élevées en termes de résultats.

A lire aussi...