Marchés actions: fin d’année volatile

Emmanuel Kragen, Kepler Cheuvreux Solutions

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De nouveaux sujets de préoccupation pour les investisseurs sont apparus récemment.

La performance des marchés actions a jusqu’à présent reflété l’excellente dynamique des révisions bénéficiaires: depuis le début de l’année, les attentes relatives aux bénéfices à 12 mois des entreprises du MSCI World ont progressé de 23,1% alors que les multiples de valorisation se sont comprimés (-9,8% pour le PER 12 mois par exemple).

2022 devrait s’inscrire dans la même veine: un marché actions tiré à la hausse par la croissance des bénéfices, mais pénalisé dans le même temps par une contraction des multiples. Les ordres de grandeur ne seront toutefois plus les mêmes qu’en 2021. L’an prochain, la progression des bénéfices devrait nettement diminuer sous l’effet du ralentissement des chiffres d’affaires (lui-même causé par la décélération de l’activité mondiale), alors que la baisse de la valorisation devrait s’accentuer, notamment en raison de la remontée progressive des taux d’intérêt réels. Au total, en 2022, la hausse des actions pourrait se situer autour de 5% hors dividendes, avec à la clé une détérioration du couple risque / rendement: des returns moins élevés et une volatilité plus forte. Autrement dit, la progression des marchés actions sera sensiblement plus heurtée qu’au cours des 12 derniers mois. Les prises de profits actuelles en témoignent.

Qu’est-ce qui pourrait faire dérailler ce scénario?

Nous ne croyons pas à un regain pandémique susceptible d’entraver fortement l’activité économique et, partant, la croissance des bénéfices. La vaccination a permis de casser le lien entre contaminations et hospitalisations. La pression sur les hôpitaux s’en trouve réduite, ce qui limite la probabilité de nouveaux reconfinements. Il est vrai toutefois que l’hétérogénéité des taux de vaccination (en particulier l’écart entre les pays développés et les pays émergents) est susceptible de prolonger la pandémie et la désorganisation des chaînes de production en favorisant l’apparition de nouveaux variants.

Contrairement à 1973 ou 1980, la hausse des prix n’est pas exogène: elle reflète une forte demande dans un contexte d’offre contrainte

La politique des banques centrales ne semble pas non plus constituer un risque majeur d’ici mi-2022. Certes, la réduction des liquidités et la hausse des taux directeurs (fin du S2 2022 aux Etats-Unis) générera une montée des taux réels qui pèsera in fine sur la valorisation des actions. Cela étant, les banques centrales resteront à l’écoute du cycle économique et la reprise des liquidités se fera de façon progressive. Nous n’attendons pas de réduction du bilan de la Fed avant 2023 au plus tôt. A plus court terme, comme nous l’avons déjà mentionné, nous sommes plus inquiets par le débat sur le plafond de la dette publique aux Etats-Unis. Le plafond finira par être relevé; la question est de savoir quand et avec quelles conséquences en termes d’activité. Mme Yellen a tenu des propos plutôt alarmistes en fixant au 18 octobre la date à laquelle le Trésor US pourrait être à court de cash. Des négociations tendues au Congrès sont usuellement source de volatilité.

Autre risque éventuel: un pincement des marges lié aux contraintes en termes d’offre, à la désorganisation des chaînes de production et au renchérissement des coûts de production (énergie et matières premières, biens intermédiaires, fret, logistique, CO2, pressions salariales…).

Pour l’heure, dans un contexte de forte demande, la plupart des entreprises indiquent avoir retrouvé une capacité de fixation des prix suffisante pour pouvoir répercuter la hausse de leurs coûts à leurs clients finaux. Résultat: les marges bénéficiaires ont retrouvé des niveaux historiquement élevés. On ne peut donc pas parler de stagflation comme on le lit ici ou là. Contrairement à 1973 ou 1980, la hausse des prix n’est pas exogène: elle reflète une forte demande dans un contexte d’offre contrainte. Un ajustement se produira tôt ou tard.

Pour le moment la demande reste forte, soutenue par la reconstitution des stocks des entreprises et la baisse du taux d’épargne des ménages. La croissance des chiffres d’affaires des entreprises permet donc d’absorber dans la plupart des cas la montée des coûts.

Néanmoins, le prix des matières premières est un sujet pour les secteurs structurellement à faibles marges (e.g. construction, agro-alimentaire, transport aérien, habillement…). La flambée des prix du gaz naturel est plus particulièrement spectaculaire. Elle s’explique en Europe par la reprise économique, un printemps très froid qui a réduit les stocks, des problèmes opérationnels rencontrés sur une unité de traitement en Norvège, ainsi que la flambée du prix du carbone qui a encouragé la consommation de gaz au détriment du charbon. Les prix en Asie ont monté encore plus rapidement sous l’effet du rebond de la demande industrielle et électrique chinoise, de la hausse des prix du pétrole et des pannes d'approvisionnement sur certaines usines de GNL en Australie et en Indonésie. La Chine est devenue le premier importateur de GNL devant le Japon en raison d’une substitution forte du charbon vers le gaz (transition vers la neutralité carbone, tensions avec l’Australie). Là encore, une large part de la hausse des prix du gaz semble endogène et devrait finir par s’auto-réguler.

L’activité en Chine nous semble le risque le plus sérieux. Le risque de liquidité causé par les difficultés financières d’Evergrande semble faible car la PBoC a les marges de manœuvre nécessaires pour éviter le gel du marché interbancaire et limiter partant le risque systémique. En revanche, il existe un risque de fort freinage économique lié au de-risking et au deleveraging du secteur corporate, sachant que selon la BIS la dette des entreprises représente autour de 160% du PIB en Chine (contre 85% aux Etats-Unis). Les autorités devront trouver le juste équilibre entre le refroidissement de l’activité et la montée de l’instabilité sociale.

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