A domicile et à l’extérieur

Chris Iggo, AXA IM

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J’ai vécu et travaillé dans seulement deux pays. Au Royaume-Uni (chez moi) et aux États-Unis (à l’étranger). À l’heure actuelle, le sort des deux pays ne saurait présenter plus de différences.

L’économie américaine est plus forte que ce que la plupart d’entre nous avaient prévu, alors que le Royaume-Uni se trouve en récession. Aux États-Unis, les marchés des actions sont poussés en avant par une révolution technologique. Les actions britanniques se trouvent prises dans ce qui pourrait bien être un piège à valeur. Dans les mois à venir, les deux pays vont se trouver face à des élections. Ce qu’il en résultera est, comme toujours, incertain. Le changement politique pourrait représenter un risque de détérioration aux États-Unis, mais au Royaume-Uni, il pourrait marquer une amorce vers de meilleures performances.

Les crêpes sont plates – pareil pour la croissance britannique. 

Pour les huit trimestres se terminant par les trois derniers mois de 2023, le taux de croissance trimestriel moyen du PIB du Royaume-Uni a été de zéro - un chiffre dont la forme convient bien à une semaine durant laquelle les familles ont célébré le «Pancake Day» (jour des crêpes). L’économie britannique traverse sa période la plus faible de ces dernières décennies, si l’on met à part la pandémie de 2020 et la récession provoquée par la crise bancaire de 2008-2009. Entre 1995 et fin 2007, le taux moyen de croissance trimestrielle était de 0,7% et entre 2010 et fin 2019, il se montait à 0,5%. Cette semaine, l’Office des statistiques nationales a annoncé un PIB de -0,1% pour le mois de décembre, et il a été largement communiqué que le Royaume-Uni était en récession technique après avoir enregistré une croissance négative au cours des troisième et quatrième trimestres de l’année dernière.

Parallèlement, l’inflation de base est supérieure à 5%, et le taux de chômage était de 3,8% au cours des trois derniers mois de 2023. Est-ce une stagflation? Ou s’agit-il d’un piège à très faible productivité - avec plus de salariés, mais une production en baisse? N’est-ce pas une situation macroéconomique qui incite à une stratégie d’investissement à forte conviction? Oui, j’aime les gilts dans ce contexte, car on peut s’imaginer que la croissance en toile de fond laisse présager que la Banque d’Angleterre (BoE) opérera un abaissement agressif de ses taux à un moment ou à un autre. Le marché anticipe actuellement moins de baisses des taux de la part de la BoE que de baisses attendues de la Banque centrale européenne en 2024. À un moment où la croissance de la zone euro est déjà faible, le Royaume-Uni stagne depuis plus de deux ans sur ce plan. Si l’on établit une comparaison avec les États-Unis - sur lesquels je reviendrai plus tard - il est étonnant que la livre sterling s’échange à 1,25 dollar. Une réédition du niveau bas enregistré en 2022, avec une livre à 1,07 $, ne serait pas une chose incongrue.

2020: double choc 

La pandémie a atteint le Royaume-Uni juste après la mise en œuvre de sa sortie de l’Union européenne, le 31 janvier 2020. Ce qui me frappe depuis lors, c’est que l’augmentation réelle des exportations n’a été en moyenne que de 0,25% par trimestre, contre 1,1% entre 1995 et 2019. En revanche, l’augmentation des importations a plus ou moins maintenu son rythme, tout comme les dépenses de consommation. En outre, depuis 2020, les dépenses publiques ont augmenté environ deux fois plus vite que le rythme trimestriel précédent, reflétant ainsi les pressions politiques exercées sur le gouvernement pour faire face aux conséquences de la pandémie ainsi qu’aux problèmes de rémunération des employés du secteur public. On peut en conclure que le Brexit a nui à la capacité d’exportation des entreprises britanniques, ce qui a engendré une baisse de la croissance globale. Selon des données comparables fournies par l’OCDE, l’économie britannique n’a progressé que de 2,3% en termes réels par rapport au premier trimestre 2016, tandis que celle des États-Unis s’est renforcée de 10% et que la France, l’Italie, l’Espagne et le Canada ont tous fait mieux que le Royaume-Uni.

Difficile de vendre un récit poussant à investir 

Le tableau montre un pays en pagaille. Le Royaume-Uni pourrait se diriger vers un changement de gouvernement lors des prochaines élections, surtout si l’inflation et les taux d’intérêt restent élevés alors que le pays est confronté à une absence de croissance. Ce tableau n’incite pas les investisseurs étrangers à s’intéresser aux actions ou aux obligations britanniques. Nous n’avons non seulement affaire à une situation macroéconomique et politique floue - en effet, nous n’avons pas encore beaucoup de détails sur les projets économiques des travaillistes - mais pour la monnaie britannique, il existe de plus un risque de change. Depuis le début de l’année, les actions britanniques ont perdu entre 2% et 2,5% de leur valeur et ont sous-performé (en monnaie locale) par rapport à la plupart des autres marchés boursiers mondiaux, à l’exception de la Chine et des marchés asiatiques apparentés.

Certes, les actions y sont avantageuses, mais le Royaume-Uni serait-il un piège à valeur? 

L’indice FTSE 350, qui couvre environ 90% de la capitalisation du marché des actions cotées en bourse au Royaume-Uni, se négocie actuellement à un prix d’environ 10,8 fois le bénéfice prévisionnel par action à 12 mois. Sur une base normalisée, ce ratio est inférieur d’environ 0,74 écart-type à son ratio cours/bénéfice moyen de 2008. Seule la Chine est encore meilleur marché. Si l’on applique le même système de mesure, les États-Unis se situent à 1,46 écart-type au-dessus de leur moyenne sur 15 ans. Le marché britannique est donc avantageux, avec un rendement implicite des bénéfices d’au moins 9%, soit plus du double du rendement des obligations d’État britanniques à 10 ans. La question est de savoir si le marché britannique des actions se trouve pris dans un piège de valeur ou non. Il s’est déprécié depuis 2015, et les rendements totaux des actions britanniques sont à la traîne: nous avons affaire à 5% de rendement annualisé sur les 10 dernières années, contre 12% pour le S&P 500, 9,2% pour le MSCI World et 7,1% pour l’indice Euro 600.

Ou alors s’agit-il d’une opportunité d’achat à bon compte? 

Passons maintenant aux bonnes nouvelles. Les actions britanniques ont régulièrement fourni de meilleurs rendements que les obligations d’entreprises britanniques. Sur cinq, dix et vingt ans, le rendement total du FTSE 350 a été supérieur d’environ 3,5% à celui des obligations d’entreprises britanniques. Pour les investisseurs britanniques, les actions constituent un investissement viable. On y trouve des entreprises de qualité, exposées aux marchés internationaux et à des secteurs dynamiques tels que les technologies de l’information et les sciences de la vie, ainsi que de grands groupes bancaires et des acteurs mondiaux dans le domaine des biens de consommation de base, de la mode et des matières premières. Par ailleurs, en matière de bénéfices, les attentes ne cessent de croître. Quant à l’indice, les bénéfices par action sont tombés en 2023 à un niveau estimé à 9%. Pour 2024, le consensus actuel prévoit une progression de 5%, qui s’accentuera pour atteindre 8% en 2025. Avec un revenu de dividendes de 4%, il est clair que l’on peut compter avec un rendement potentiel à un ou deux chiffres au cours des deux prochaines années. 

J’aime les obligations, ça devrait se savoir entre-temps, mais dans une économie qui tourne au ralenti, on pourrait aussi déceler des éléments déclencheurs susceptibles d’aider les actions à fournir de meilleurs résultats: un abaissement des taux d’intérêt par la BoE, une livre plus faible et la perspective d’un changement de gouvernement ont notamment le potentiel de produire un effet positif sur la confiance des investisseurs. Si ces statistiques ne traduisent pas réellement l’attrait respectif des différents marchés boursiers, il est juste de dire que les secteurs britanniques cotés en bourse sont moins grevés par l’endettement. Selon les données de Bloomberg, l’indice UK 350 a un ratio dette nette/rentabilité des entreprises (EBITDA) de 0,42, contre 1,39 pour le S&P 500 et 3,76 pour l’indice Euro Stoxx.

Et les États-Unis continuent sur leur lancée 

Le Royaume-Uni reste une niche dans les actions mondiales et n’intéresse guère que les investisseurs britanniques et les fonds de capital-investissement à la recherche d’opportunités permettant d’opérer un retournement de situation. Le véritable terrain d’opération des actions internationales demeure les États-Unis, où la croissance est plus forte que dans le reste du monde et où les grandes capitalisations du secteur des technologies de l’information (TI) continuent de se tailler la part du lion en termes de rendement total et de croissance des bénéfices. Alors que face aux performances à très court terme d’Apple et de Tesla, les commentateurs n’ont pas dissimulé un certain malin plaisir, le reste des sept valeurs technologiques dites «magnifiques», ainsi que le secteur dans son ensemble, continuent d’afficher de solides performances. Le secteur des technologies de l’information a généré environ 50% du rendement total du S&P 500 au cours de l’année écoulée et sur une base pondérée en fonction de la capitalisation boursière, on peut mettre sur son compte environ 50% des bénéfices par action du marché. Je reste confiant dans ce secteur tant que se poursuit le déploiement de l’intelligence artificielle générative et des technologies connexes.

Stabilité des revenus 

En 2022, la hausse des taux d’intérêt à long terme a affecté les performances des actions technologiques américaines, car elles étaient classées dans la catégorie des titres à longue échéance, de sorte que le relèvement des taux d’intérêt a réduit la valeur actuelle des bénéfices futurs. Entre-temps, les taux à long terme se sont stabilisés et l’augmentation des bénéfices a été encore meilleure. Le contexte macroéconomique demeure favorable. Il est de plus en plus question d’un scénario de «non-atterrissage» de l’économie américaine, c'est-à-dire une situation dans laquelle la croissance reste positive et l’inflation supérieure à l’objectif visé, et où la Réserve fédérale (Fed) ne juge pas nécessaire d’abaisser ses taux d’intérêt. La surprise déclenchée par la légère hausse de l’inflation de janvier a alimenté les discussions, d’autant plus que dans le secteur des services, l’inflation continue d’être faible.

Surveiller les prévisions de la Fed 

En réalité, depuis la fin de 2022, l’inflation des prix des biens de consommation aux États-Unis est négative en glissement annuel, et l’inflation du secteur des services a atteint son point culminant à 7,6% en janvier 2023. Depuis, elle n’a cessé de reculer. Elle reste supérieure à son niveau moyen de 4% depuis 1990, mais il est probable qu’elle reculera davantage à mesure que la prise en compte des coûts du logement se calquera sur la réalité du marché. En outre, il est important de souligner qu’il n’est pas rare que l’inflation des prix des biens échangés soit extrêmement faible, voire négative, et que l’inflation du secteur des services - moins perméable aux effets de la concurrence mondiale - soit plus élevée. C’est ce qui s’est passé aux États-Unis entre 1997 et 2021. L’inflation moyenne y était proche de l’objectif fixé par la Fed. Celle-ci a toléré ce décalage, sachant qu’en essayant de réduire plus avant l’inflation dans le secteur des services, elle risquait de favoriser une récession et des problèmes de crédit massifs. En effet, le resserrement de la politique monétaire opéré environ à partir de 2005 en réponse à une hausse soudaine des prix des biens et des services, a déclenché la grande crise immobilière. 

Une période durant laquelle la Fed maintiendrait ses taux à un niveau proche de celui d’aujourd’hui, en ne procédant qu’à des ajustements mineurs mais plus fréquents, en fonction des signaux macroéconomiques perçus, pourrait devenir un scénario de plus en plus envisageable. Toutefois, pour l’instant, c’est le scénario de l’atterrissage en douceur qui reste le plus probable. Si les faibles taux d’inflation enregistrés dernièrement en Chine annoncent une période de désinflation des prix des biens de consommation à l’échelon international, et si l’inflation du secteur des services aux États-Unis continue sur sa lancée au cours des prochains mois, les baisses de taux intervenant à partir de juin constitueront le scénario de base à considérer pour les investisseurs. La prochaine réunion du Comité fédéral de «l’open market» sera l’occasion de voir ce que la Fed décidera en termes d’anticipations médianes (ses «dot plots»). Si elle ne modifie pas ses prévisions, les obligations américaines devraient connaître une nouvelle période de bonnes performances dans les mois à venir. La Fed annoncera probablement qu’elle estime que les taux neutres à long terme se situent encore autour de 2,5% et qu’aujourd’hui, la politique monétaire est par conséquent trop restrictive.

Le sport unit et divise 

Pour conclure ce comparatif anglo-saxon sur une note sportive, la semaine dernière a également été marquée par de nombreux événements sportifs aux États-Unis et au Royaume-Uni, notamment avec l’apogée de la saison de football américain et la deuxième journée du tournoi des Six Nations en rugby. J’ai essayé de rester éveillé pour le Super Bowl 58, mais je n’ai tenu que le premier quart d’heure (en raison de l’effet combiné de l’ennui et de la fatigue). Le but victorieux pour Manchester United, marqué de la tête par Scott McTominay contre Aston Villa, quelques heures plus tôt, était bien plus excitant. Le monde américain et britannique du sport est formidable. Il n’en demeure pas moins que même si mon allocation d’actions aura probablement toujours une pondération plus américaine que britannique, je préfère la Premier League à la NFL et la finale de la FA Cup au Super Bowl.

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