L’inflation s’est révélée transitoire plus longtemps que prévu

Chris Iggo, AXA IM

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Je n’avais pas tout à fait tort lorsque j’affirmais que 2023 serait l’année des emprunts obligataires.

Les perspectives macroéconomiques laissent entrevoir une baisse des taux d’intérêt en 2024. Les marchés ont peut-être pris de l’avance quant à l’ampleur des baisses de taux prévues, mais comme on s’attend à ce que la croissance ralentisse et que l’inflation recule, le risque de nouveaux relèvements de taux s’éloigne quelque peu. Les investisseurs en crédit devraient pouvoir en profiter en termes de rendements. Les revenus des obligations d’entreprises se situent encore à un niveau comparable à celui d’il y a un an, ce qui signifie que les investisseurs peuvent s’attendre à une nouvelle année de rendements potentiellement corrects, même si le ralentissement de la croissance menace de créer une certaine volatilité au niveau des écarts de crédit.

Hypothèses mitigées

Les attentes, selon lesquelles 2023 serait l’année des obligations, n’ont pas été pleinement satisfaites. Les résultats des marchés des obligations d’État ont été décevants, étant donné qu’ils n’ont pas réussi à intégrer entièrement plusieurs éléments. Tout d’abord, l’inflation s’est révélée transitoire plus longtemps que prévu, et elle reste supérieure aux niveaux visés par les banques centrales. Ensuite, les marchés ont sous-estimé le point culminant des taux d’intérêt. Finalement, ils ont aussi été pris de court par la ferme détermination des responsables en la matière à soutenir que la politique monétaire devait rester restrictive jusqu’à ce que l’inflation retrouve son niveau cible. Ces trois éléments combinés ont produit des rendements négatifs pour la plupart des indices d’obligations d’État au cours du deuxième (T2) et du troisième trimestre (T3). L’indice ICE/Bank of America Global Government Bond a enregistré des rendements totaux de -0,94% au deuxième trimestre et de -2,9% au troisième trimestre.

Des réductions anticipées dans les prix

Maintenant, il semble toutefois qu’après une performance robuste au quatrième trimestre, les obligations d’État offriront un rendement positif modique pour l’ensemble de l’année. Après avoir mal évalué le niveau que les taux d’intérêt atteindraient, on s’attend maintenant à des abaissements significatifs en 2024. À la fin du mois de décembre 2022, les marchés à terme tablaient sur un pic du taux des fonds fédéraux à 5,0%. Or, ils se situent actuellement à 5,5%. Pour la Banque centrale européenne (BCE), on prévoyait un pic culminant à 3,5%. Aujourd’hui, il a atteint le niveau de 4.0%. Ces mêmes marchés à terme prévoient maintenant des abaissements cumulés de près de 150 points de base de la part de la Réserve fédérale, en 2024, et d’une ampleur similaire de la part de la BCE. Ces attentes s’appuient sur un consensus de croissance plus lente et d’inflation en recul. Bien entendu, rien ne garantit que les prévisions pour 2024 soient plus exactes que celles établies il y a un an. Mais le changement de sentiment a été notoire, et les banquiers centraux ont été légèrement moins enclins à s’y opposer. D’où les résultats impressionnants produits par les marchés des taux au cours des trois derniers mois de l’année.

Les rendements réels restent élevés

La dynamique des titres à revenu fixe est solide, soutenue par l’enthousiasme que manifeste le marché à l’idée d’une baisse des taux d’intérêt en 2024. Certains commentateurs font valoir que les marchés sont allés trop loin et que le redressement des obligations ne pourra pas se poursuivre. Et pourtant, les rendements des marchés obligataires américains et britanniques sont encore supérieurs à ce qu’ils étaient au début de l’année 2023, alors que l’inflation devrait continuer à reculer dans les mois à venir. Les rendements réels sont encore élevés par rapport aux normes historiques récentes - avec un rendement de 2,0% pour les obligations indexées sur l’inflation à 10 ans, contre une prévision consensuelle de croissance du PIB réel de 1,2% en 2024. Les rendements intégrés attendus des obligations sont attrayants.

Les obligations font ce qu’elles sont censées faire

La formule «année de l’obligation» s’applique particulièrement aux marchés du crédit. Les revenus obligataires ont augmenté en 2022, et les écarts de crédit se sont creusés, offrant ainsi aux investisseurs en obligations d’entreprises des points d’entrée attrayants. Pour ceux qui ont su en profiter, les rendements totaux ont été importants. De manière générale, les obligations américaines de qualité ont rapporté près de 6%, les obligations européennes de qualité 6,4% et les titres mondiaux à haut rendement 9,5%. L’analyse du rendement total montre que la majeure partie doit en être attribuée aux revenus, c’est-à-dire à ce que les obligations sont censées produire. Pour les titres américains de qualité ‘investment grade’, plus de deux tiers du rendement total de près de 6% ont été générés par les revenus. Pour le haut rendement mondial, le marché a produit un rendement de 6% attribuable aux revenus.

Toujours optimiste quant aux obligations d’entreprises

Que peut-on attendre des obligations d’entreprises ? Je reste confiant. Les revenus proposés permettent d’envisager des rendements supérieurs à ceux réalisés au cours des deux ou trois dernières années. La baisse des taux directeurs, même si elle ne répond pas aux attentes actuelles du marché, pourrait générer des plus-values sur l’ensemble de la courbe de rendement. Si les courbes des taux sous-jacents devaient se pentifier - avec des taux courts baissant davantage que les taux longs - cela se produirait vraisemblablement dans des conditions de marché haussières, ce qui signifie que les rendements seraient alors plus faibles sur l’ensemble de la courbe. De ce fait, et avec un risque limité de remontée des taux d’intérêt dans un avenir proche, les stratégies portant sur des crédits de plus longue durée sont prometteuses.

Les moins bien notées sont les plus exposées au risque

Les stratégies de crédit ont surclassé les obligations d’État. Les niveaux actuels des écarts de crédit donnent en effet à penser que ce sera à nouveau le cas en 2024, à moins que les conditions de crédit ne se détériorent de manière brutale, ce qui entraînerait un élargissement des écarts. Ce risque existe, étant donné que l’on s’attend à ce que le ralentissement de la croissance économique amenuise les revenus et engendre une détérioration des indicateurs de crédit pour certains emprunteurs. Historiquement, la baisse des prix des actions (rendements négatifs) a conduit à un élargissement des écarts de crédit (rendements de crédit négatifs), de sorte que toute situation où une croissance plus faible serait associée à une déception sur le plan des bénéfices conduirait à un élargissement des écarts de crédit. Les segments du marché les moins bien notés sont les plus exposés au risque, c’est-à-dire la tranche des emprunteurs qui présentent un effet de levier plus important et des bilans plus fragiles. Du côté des vendeurs, il en découle un consensus assez large en faveur d’une décompression, c’est-à-dire d’un élargissement des écarts de taux moins bien cotés. C’est dans le segment du haut rendement que le coefficient de corrélation entre les écarts et les rendements des actions est le plus élevé. Cependant, même les écarts de taux de la notation CCC se sont récemment réduits par rapport à ceux de la notation BB. Cette situation, associée au fait que les indices de swaps de défaut de crédit - qui offrent un tampon potentiel aux investisseurs - se négocient à leur niveau le plus bas de l’année, laisse penser que, dans l’ensemble, les investisseurs ne sont pas particulièrement préoccupés par les problèmes de crédit. On prévoit des taux de défaillance plus importants à l’avenir, mais les revenus sont suffisamment élevés pour que les investisseurs estiment qu’ils continuent à être bien rémunérés pour le risque encouru.

Le charme des obligations

La volatilité des prix des actifs est un fait. Pour les investisseurs dont l’horizon d’investissement dépasse le court terme, le revenu initial est important pour déterminer les rendements auxquels ils peuvent s’attendre. Dans une perspective historique, le rendement de près de 6% de l’indice Bloomberg US Corporate Bond laisse penser que, sur trois ans, les rendements totaux devraient se situer majoritairement entre 5% et 9% (sur la base des données recueillies durant les quatre dernières décennies). Plus la période de détention est longue, plus le rendement total sera proche du revenu initial. C’est ce qui fait le charme des obligations. Le segment du haut rendement est intéressant en termes de revenus plus élevés et d’une certaine exposition aux pseudo-actions, du moins pour tous ceux qui, à ce stade du cycle monétaire, ne sont pas tout à fait convaincus par l’exposition aux actions.

Exposition aux marchés émergents

L’autre domaine du crédit qui a enregistré de bonnes performances est celui de la dette des marchés émergents. Là encore, les revenus ont été importants, représentant une part de 5,4% du rendement total de 7,8% de l’indice JP Morgan EMBI Global Diversified depuis le début de l’année. Les cours du dollar plus bas ont été utiles et devraient encore l’être l’année prochaine, tandis que le recul de l’inflation devrait aider de nombreuses économies émergentes à assouplir leur politique monétaire intérieure. Une certaine exposition aux obligations des marchés émergents permet ainsi de diversifier son portefeuille de crédit.

Des données techniques positives

L’opinion positive sur le crédit s’explique en partie par le fait que le cycle actuel n’a pas connu d’accumulation massive d’emprunts spéculatifs. La valeur nominale du marché américain des obligations à haut rendement a décru d’environ 15% depuis 2021. En revanche, la valeur nominale du marché américain des obligations de qualité ‘investment grade’ s’est accrue de 5% cette année (selon l’indice ICE/BofA US Corporate Bond), alors que le PIB nominal devrait connaître une progression de 6,55% à 7,0%. Les bilans des entreprises continuent à profiter du fait que celles-ci ont été en mesure de résorber leur dette et de bénéficier de taux d’intérêt bas durant la période 2020-2021. Les fondamentaux pourraient se détériorer à l’avenir, mais actuellement, ils se portent relativement bien. Compte tenu de la situation des revenus par rapport au coût historique récent des emprunts (rendement à l’échéance de 5% sur le marché mondial du crédit par rapport à un coupon moyen pondéré de 3,5%), les entreprises seront amenées à faire preuve de prudence en matière d’emprunt. Si l’opinion générale est que les rendements sont en baisse, il est logique d’attendre, à moins de se voir confronté au besoin urgent de refinancer sa dette. Dans le même temps, la demande reste forte et le revenu supplémentaire offert par les obligations d’entreprises, relativement aux taux d’intérêt, devrait continuer à l’alimenter. La configuration technique est donc favorable.

C’est l’année des obligations d’entreprises. Pour la plupart des secteurs du crédit, les rendements ont été supérieurs à la moyenne sur 10 ans. Les obligations d’entreprises ont surpassé les obligations d’État et, dans certains cas - par exemple sur le marché britannique -, elles ont été plus performantes que les actions. Avec des taux d’intérêt stabilisés et de meilleurs rendements attendus de la part des obligations d’État, 2024 devrait donc, à mon avis, s’avérer une bonne année pour les investisseurs en titres à revenu fixe.

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