Nos perspectives décrivent l’année 2024 comme une étape de milieu, plutôt que de fin de cycle.
Je ne m’attarderai pas sur le grand rallye obligataire que nous avons connu en novembre. Après tout, je me suis trompé au cours du troisième trimestre, alors que l’économie américaine était en plein essor et que l’on craignait que les baisses de taux d’intérêt ne soient qu’une possibilité très éloignée. Mais aujourd’hui, mon mantra selon lequel « les obligations sont de retour » semble plus crédible, car les marchés se montrent désormais plus confiants quant à une baisse des taux pouvant intervenir l’année prochaine. Il nous reste donc un choix attrayant de stratégies obligataires. Parallèlement, les actions et les taux de change présentent une volatilité incroyablement faible. Au vu des risques qui pèsent sur les perspectives économiques et politiques mondiales, cela semble étrange. Les baisses de taux seront d’un certain secours pour les actifs risqués. Cependant, se mettre à l’abri en vue d’une issue moins favorable - à savoir un scénario dans lequel les banques centrales refuseraient de procéder aux baisses de taux attendues - n’est peut-être pas une mauvaise stratégie à l’approche de 2024.
Si l’on en croit les banquiers centraux, les taux d’intérêt se maintiendront à leur niveau actuel pendant encore un bon moment. Notre hypothèse principale est que les taux seront certes abaissés en 2024, mais que les choses sérieuses ne commenceront que dans la seconde moitié de l’année. Deux aspects sont à prendre en compte. Tout d’abord, cela laisse présager un bon revenu courant pour les deux prochains trimestres, avec des obligations d’entreprises ajoutant un rendement supplémentaire, au-dessus des taux au jour le jour offerts par la banque centrale. Ensuite, lorsque les marchés auront gagné en confiance quant aux baisses de taux imminentes, les prix des obligations se redresseront.
Il se peut que le point d’entrée optimum soit déjà derrière nous. Par rapport au niveau actuel du taux des fonds fédéraux de la Réserve fédérale américaine (Fed), le marché anticipe actuellement des baisses de taux de 125 à 150 points de base (pb) d’ici à la fin de 2024. Si l’on se réfère à l’indice des obligations d’entreprises américaines (ICE/BofA), le rendement des obligations à un ou trois ans a baissé de 50 pb par rapport à son plus haut niveau d’octobre. En effet, le marché se montre de plus en plus enthousiaste à l’égard des baisses de taux potentielles en 2024. Compte tenu des prix du marché actuels, la première réduction des taux est désormais prévue dès le mois de mai pour les États-Unis.
Ceci dit, les revenus des échéances courtes restent attrayants et bénéficieront à la fois du portage et des plus-values lorsque le cycle des taux s’inversera.
Une fois que le marché aura eu vent du moment charnière de la banque centrale, la deuxième phase de la reprise des obligations à long terme pourra commencer. La première phase a consisté à se mettre en retrait par rapport au rendement symbolique de 5% du bon du Trésor américain de référence à 10 ans, à compter du 23 octobre. La deuxième phase consistera à reconnaître que les taux se dirigent vers un nouvel équilibre, se situant à un niveau plus élevé que celui d’avant la pandémie, mais plus bas que les points culminants que nous aurons connus durant la majeure partie de l’année. En principe, cela devrait se traduire en taux obligataires encore plus bas et en rendements globaux corrects pour les investisseurs en titres à revenu fixe. Le fait de pouvoir bénéficier d’une duration longue (face à une croissance faiblissante), en se protégeant contre un éventuel retour de flamme de l’inflation, est susceptible d’intéresser certains investisseurs.
C’est la question clé, car elle déterminera non seulement la vitesse à laquelle les taux seront abaissés, mais également l’ampleur du ralentissement de la croissance du PIB nominal (N.B. : l’inflation a stimulé la croissance nominale). En effet, les chiffres d’affaires des entreprises, les salaires et les prélèvements fiscaux nationaux ont été plus élevés que prévu. Le ralentissement de la demande nominale signifie qu’il faut s’attendre à vivre un certain nombre de déceptions dans ces domaines. Cela aura des implications pour les marchés d’actions, dans la mesure où la force de la croissance des revenus aura un effet sur les bénéfices par action et les rendements totaux pour les investisseurs en actions. Cette évolution vient appuyer l’argumentaire en faveur d’une croissance qualitative des marchés d’actions - réalisée par le biais d’investissements dans des entreprises en mesure de continuer à générer une croissance soutenue de leurs ventes et de leurs bénéfices. La croissance plus faible des revenus rendra également difficile toute nouvelle amélioration des ratios d’endettement, un aspect que les investisseurs en obligations d’entreprise doivent surveiller de près. La qualité sera donc aussi un facteur déterminant sur les marchés du crédit et, compte tenu des revenus encore importants, c’est une bonne raison de se tourner vers les entreprises et les secteurs dont les bilans sont de meilleure qualité. Pour les gouvernements, le ralentissement de la croissance du PIB nominal n’est pas non plus une bonne nouvelle, car les recettes fiscales risquent de ne pas s’accroître dans la mesure escomptée, ce qui aura des répercussions négatives sur les déficits, vu que les niveaux de dépenses tendent à être d’ordre plus contractuel, donc moins compressibles. À moyen terme, cette menace pour la stabilité fiscale est la principale inquiétude des investisseurs en obligations d’État.
Les commentateurs du marché aiment toujours mettre en évidence les risques. Le choix est vaste, mais à l’aube de la nouvelle année, il y en a quelques-uns qui viennent immédiatement à l’esprit. Les deux guerres en cours menacent encore l’approvisionnement en énergie et génèrent donc de l’incertitude quant aux prix futurs de l’énergie. Cela risque aussi de transformer l’atterrissage en douceur en stagflation. En raison de la guerre en Ukraine et du conflit au Proche-Orient, les perspectives de paix et de sécurité ne sont pas claires, ce qui signifie que la nervosité règne dans les cercles diplomatiques. Les dépenses publiques allouées à la défense et à la sécurité ont augmenté. Cette situation assombrit les perspectives budgétaires. Elle pourrait aussi entraver les échanges commerciaux et les voyages. En élargissant le champ géopolitique, on constate que la volonté de la Chine d’étendre sa sphère d’influence a déjà provoqué une réévaluation des chaînes d’approvisionnement et des relations commerciales. En termes de perturbations majeures de l’activité économique ou de la paix dans le monde, l’importance relative de ces risques est difficile à évaluer pour les investisseurs, mais la situation devrait les inciter à adopter une attitude plus prudente.
L’une des échelles de mesure du risque boursier, le VIX - ou «indice de la peur» - est actuellement à un niveau exceptionnellement bas. Cela indique qu’à l’heure actuelle, les investisseurs sont plutôt sereins et ne se prémunissent pas particulièrement contre un éventuel retournement de marché. Il est possible que bon nombre d’investisseurs aient encore leurs placements principalement dans les liquidités, et qu’ils ne ressentent donc pas le besoin de se couvrir, ou que les investisseurs soient nombreux à penser que le day trading ou le recours à des fonds négociés en bourse leur permettrait de sortir facilement de leurs positions si la situation commençait à se dégrader. En ce qui me concerne, je pense qu’il s’agit d’une excellente opportunité de s’acheter une protection lorsqu’aussi bien les perspectives macroéconomiques que le paysage géopolitique présentent des risques. Sur un autre grand marché liquide, celui des changes, la volatilité est également faible.
L’attention se portera largement sur les élections américaines de 2024, mais il pourrait également y avoir des élections au Royaume-Uni et de nombreuses autres dans le monde, notamment au Mexique, en Inde, en Indonésie et à Taïwan, de même qu’une élection présidentielle en Russie (je me demande qui pourrait bien la remporter?). Pour moi, la situation politique mondiale ne constitue actuellement pas une source d’espoir en vue d’une croissance plus stable. Les démocraties occidentales sont menacées par des acteurs mondiaux malveillants, mais également de l’intérieur, car tant les politiciens au pouvoir que les représentants des partis traditionnels se voient critiqués pour la façon dont ils ont répondu aux défis tels que l’immigration, l’adaptation au changement climatique et la pandémie de Covid. Le populisme est une menace pour la social-démocratie fondée sur le marché, comme nous l’avons vu lors des récentes élections aux Pays-Bas, et avec Donald Trump en pole position dans les sondages d’opinion aux États-Unis. Le populisme génère de l’incertitude qui, à son tour, menace la stabilité économique. Or, tout cela ne se traduit pas dans les primes de risque.
La baisse des taux d’intérêt à l’échelon mondial devrait finir par favoriser la croissance. Mais cela ne suffira pas, car les taux ne retrouveront pas leurs niveaux d’après la grande crise de 2008. La politique budgétaire est affectée par des déficits importants et des coûts accrus de service de la dette. Le commerce mondial, en tant que moteur de la prospérité, n’est pas exactement en train de marcher à reculons, mais il n’a plus la vigueur qu’il avait autrefois, en raison des tensions entre les États-Unis et la Chine, des sanctions contre la Russie et du désir d’une minorité bruyante, mais puissante, dans certains pays européens de suivre l’exemple britannique et de quitter un bloc commercial et économique qui représente pourtant la meilleure chance de garantir une croissance économique stable et forte. L’impact positif de la Chine sur le reste du monde, dû à son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce et à la croissance rapide qu’a connu son modèle de production à faibles coûts, s’est pratiquement estompé. Les motifs de morosité ne manquent pas.
J’ai déjà écrit que l’intelligence artificielle suscitait certainement des espoirs, car elle stimule la productivité et constitue un élément tangible sur lequel les investisseurs en actions peuvent porter leur attention. Une augmentation générale des taux de participation au marché du travail serait également utile pour stimuler la croissance potentielle. Il serait également bénéfique de mobiliser davantage de capitaux pour soutenir le renforcement des pratiques durables dans toute une série de secteurs, en particulier si ces moyens peuvent être orientés vers la fourniture d’une énergie durable et locale, et le soutien des pratiques agricoles dans le Sud. La nouvelle selon laquelle les Émirats arabes unis, pays hôte de la COP28, vont lancer un fonds de 30 milliards de dollars pour lutter contre le changement climatique est la bienvenue. En effet, des investissements plus importants dans les efforts de transition énergétique, dans l’agriculture durable - qui permet de freiner la perte de biodiversité tout en augmentant les rendements - et dans la biotechnologie - qui contribue à réduire les maladies chroniques, qui pèsent lourdement sur les systèmes de santé - auraient un effet multiplicateur sur la croissance et produiraient des effets sociaux positifs. Il est évident que la fin des conflits en Ukraine et au Proche-Orient serait un évènement positif, surtout si les accords de paix pouvaient ouvrir la voie à la reconstruction des régions les plus dévastées par les conflits.
Nos propres perspectives décrivent l’année 2024 comme une étape de milieu, plutôt que de fin de cycle. Cela veut dire que nous ne nous attendons pas à une destruction massive d’emplois et d’entreprises, comme c’est habituellement le cas en période de récession. Voilà au moins une source de réconfort. En même temps, je peine à distinguer des causes d’optimisme. D’où ma préférence pour un plus grand degré de certitude plutôt que pour la spéculation sur les rendements attendus (obligations, croissance qualitative des actions, etc.). Il ne fait cependant aucun doute que la fin des deux conflits militaires actuels et un rapprochement encore plus marqué dans les relations sino-américaines justifieraient une plus grande prise de risque. Les marchés boursiers européens pourraient réagir positivement à la fin de la guerre en Ukraine, car cela atténuerait les inquiétudes quant à la sécurité énergétique et offrirait des opportunités de croissance qui découleraient de l’adhésion future de l’Ukraine à l’Union européenne.
Je me régale à revoir encore et encore les images du but d’Alejandro Garnacho, marqué pour Manchester United sur une bicyclette retournée, lors du match contre Everton la semaine dernière. C’était un geste de toute beauté qui a mis en évidence le potentiel de ce jeune joueur de 19 ans, appelé à devenir une future superstar. En effet, le vivier de la relève de United est richement doté, comme il a toujours eu tendance à l’être. Dans l’ensemble, j’ai constaté une amélioration, même si le fait de laisser s’échapper un avantage de 3-1 contre Galatasaray à Istanbul en Ligue des champions souligne la nécessité d’améliorer certains points (le milieu de terrain, le gardien de but, la tendance de Bruno Fernandes à galvauder des coups francs). La qualification pour la phase à élimination directe de la Ligue des champions semble désormais lointaine, mais United est en bonne position en Premier League et, une fois libérée des distractions de la compétition européenne, l’équipe pourrait sérieusement ambitionner de se retrouver dans les quatre premiers à la fin de la saison. Le club est en train de constituer un groupe solide de jeunes joueurs talentueux tels que Garnacho, Rasmus Højlund, Facundo Pellistri et Kobbie Mainoo. L’avenir est radieux, jeune et rouge.