Remerciements (aux marchés haussiers)

Chris Iggo, AXA IM

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Les revenus ont beaucoup augmenté au cours des deuxième et troisième trimestres, et pourraient donc continuer à le faire avant que l’optimisme ne se dissipe.

La ligne du récit macroéconomique est en train de changer. Étant donné que le marché voit arriver des données plus faibles sur la situation économique et l’inflation actuelle, il ne semble pas juger nécessaire que soit procédé à un nouveau resserrement de la politique monétaire. Mais les banques centrales n’ont pas l’intention de baisser la garde et essaieront d’écarter l’idée d’une baisse des taux pouvant avoir lieu dans un avenir proche. Il en résulte un marché obligataire plus haussier, même si les taux d’intérêt restent élevés. Les revenus ont beaucoup augmenté au cours des deuxième et troisième trimestres, et pourraient donc continuer à le faire avant que l’optimisme ne se dissipe. Avec peu de nouvelles nous parvenant sur les marchés, pour le reste de l’année 2023 – et l’approche des fêtes – la typique reprise du Père Noël a commencé tôt.

Feux d’artifice de novembre

Les marchés obligataires font ce qu’ils ont l’habitude de faire en novembre: ils se redressent. Selon Bloomberg, durant le mois de novembre des dix dernières années, le rendement total moyen des indices ICE BofA US Treasury, UK Gilt et German Bund a été respectivement de 0,62%, 0,94% et 0,57%. Que l’on veuille voir ou non un lien avec les tendances saisonnières de l’action des prix sur les marchés financiers, la performance de novembre 2023 est assez facile à expliquer. Soutenus par un rapport en demi-teinte sur l’emploi américain et des chiffres de l’inflation américaine et britannique légèrement inférieurs à ceux des prévisions pour le mois d’octobre, les marchés semblent en effet considérer que c’est à nouveau aux banquiers centraux de prouver la pertinence de ce qui les conduit à prôner le «higher for longer». Pour contrecarrer la tentation croissante des marchés de vouloir anticiper des baisses de taux significatives en 2024, la Réserve fédérale américaine (Fed), la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque d’Angleterre (BoE) devront réaffirmer les grandes lignes de leurs orientations politiques respectives. Si elles ne le font pas, les marchés obligataires risquent de s’emballer. L’année de l’obligation pourrait alors être condensée en seulement deux mois.

Toujours élevés

Une analyse à tête reposée nous amène à conclure qu’entre les investisseurs obligataires et les banques centrales, le jeu du chat et de la souris n’est pas près de s’arrêter. Les chiffres de l’inflation d’octobre ont été certes plus faibles que prévu, mais restent néanmoins à un niveau plus élevé que ce qui est souhaité. De plus, les données portant sur la croissance ne sont pas encore suffisamment faibles pour ramener l’inflation aux niveaux visés par les banques centrales. En fait, malgré la hausse des obligations à long terme, les prévisions de taux n’ont diminué que modestement. Les prévisions pour le taux des Fed Funds à la fin de 2024, dérivé du marché à terme des Fed Funds, sont de 4,35% contre 4,80% à la mi-octobre. Des prix de marché du même ordre pour la BCE et la BoE montrent une situation inchangée pour la première et une attente légèrement plus forte d’un nouvel assouplissement quantitatif de la part de la seconde. Baisse des taux: oui, mais pas en début d’année et seulement sous forme d’effacement partiel des relèvements enregistrés ces deux dernières années.

Réduction de moitié, et à nouveau de moitié

On entend souvent dire que «le dernier kilomètre sera le plus difficile» dans ce marathon vers un niveau d’inflation correspondant aux valeurs ciblées. L’affirmation du Premier ministre britannique Rishi Sunak, selon laquelle son gouvernement a réduit l’inflation de moitié, est à peu près aussi crédible que ne le serait une posture dans laquelle je revendiquerais être à l’origine des 13 championnats anglais de football remportés de fait par Sir Alex Ferguson. Réduire encore de moitié l’inflation au Royaume-Uni, pour la ramener finalement au niveau de l’objectif fixé, pourrait s’avérer aussi difficile que de voir, dans un avenir proche, Manchester United remporter un nouveau titre de champion de Premier League (le défi de l’inflation étant probablement le plus facile à relever des deux). Si les courbes de Phillips - qui montrent la relation existant entre inflation et chômage - sont plus plates qu’elles ne l’ont été par le passé, il faudra un affaiblissement prononcé des marchés de l’emploi pour franchir cette dernière étape. Les banquiers centraux pensent que cela est nécessaire, à moins bien sûr que le scénario d’atterrissage en douceur ne se réalise par le biais d’une combinaison de tendances salutaires sur le plan des matières premières, de l’énergie, des prix de l’immobilier et des salaires, évoluant dans le même sens, avec en plus des dépenses de consommation stables. Pour l’heure, l’hypothèse à favoriser est que les responsables de la politique monétaire ne changeront pas d’avis, ce qui signifie que les taux courts resteront élevés jusqu’à un moment déjà bien avancé de l’année 2024.

Les obligations sont correctes

Ceci ne doit pas détourner les investisseurs des titres à revenu fixe. Un nouveau relèvement des taux d’intérêt est peu probable, et l’évolution récente des prix du marché a fait apparaître que, si les revenus sont au rendez-vous, il existe une demande réelle pour les titres à revenu fixe. Le recul rapide du rendement de 5% des bons du Trésor américain à 10 ans, ainsi que la forte demande pour le gilt britannique 2043 émis le 15 novembre apportent des arguments en faveur de ce point de vue. J’ai abondamment écrit récemment à propos des opportunités de valeur potentielle que recèlent les obligations, étant donné la situation en termes de rendements et l’émergence d’une prime de risque plus importante. Il semble que bon nombre d’investisseurs partagent ces prises de position.

Pression de fin d’année

Du côté des obligations d’entreprise, nous nous trouvons au moment de l’année où les nouvelles offres se font plus rares. Les liquidités se tarissent pendant la période des fêtes. Par ailleurs, un resserrement du crédit est déjà en cours. Sur le marché britannique, l’écart ajusté en fonction des options sur l’indice ICE BofA UK Corporate Bond est passé de 170 points de base (pb), notés à la fin du mois d’octobre, à environ 150 pb au moment de la rédaction du présent billet. Un resserrement similaire des écarts s’est produit sur les marchés du crédit, ce qui a contribué à la bonne performance du rendement total jusqu’à présent, en ce mois de novembre. Le manque d’offre et la forte demande en fin d’année devraient favoriser le crédit sur les marchés de l’investissement et du haut rendement.

Gare aux excès

Si l’année 2024 verra un ralentissement de la croissance du PIB nominal et des attentes clairement différentes en matière de taux d’intérêt, voire un changement significatif des taux-mêmes, il évident que cela constituera une toile de fond plus favorable aux obligations. Ceci devrait profiter au crédit, et l’absence d’accumulation excessive d’emprunts spéculatifs dans le cadre de ce cycle ne laisse présager qu’une marge de manœuvre limitée pour l’élargissement des écarts de crédit, du moins si les conditions économiques se détériorent réellement. De toute évidence, le risque d’élargissement de l’écart sera plus grand si les revenus et les bénéfices des entreprises se trouvent sous pression, ou si les entreprises à effet de levier donnent des signes de perturbation. Comme toujours, les investisseurs obligataires doivent se montrer vigilants face à la détérioration du crédit. Mais dans une perspective hiérarchisée, l’exposition au risque de crédit semble être un élément gérable.

Risques pour les revenus

Les marchés boursiers ont également connu un bon mois de novembre, bien que la plupart d’entre eux évoluent au-dessous du niveau auquel ils se trouvaient lorsque la Fed a relevé ses taux d’intérêt pour la dernière fois, le 26 juillet. L’avenir s’articulera autour de la croissance. Les marchés ont accueilli favorablement les données indiquant une inflation en recul et l’assouplissement des rendements obligataires. Si tant est qu’il faut un ralentissement plus marqué de la croissance pour réellement venir à bout de l’inflation, cela pourrait poser davantage de problèmes aux marchés des actions, car une telle situation se traduira inévitablement par un ralentissement des recettes brutes et une pression sur les marges si la tentation de thésauriser la main-d’œuvre persiste. Même si nous prévoyons un ralentissement de la croissance du PIB nominal en 2024, le scénario de l’atterrissage en douceur pourrait suffire à soutenir la croissance des bénéfices. Toutefois, le consensus ascendant pour l’univers des actions MSCI All Country World prévoit une croissance de 10% pour l’année prochaine. C’est plus que la performance réalisée en 2023 (jusqu’ici), avec un rythme de croissance nominale nettement plus élevé. Si l’on tient à ce que ces estimations de croissance soient concrétisées, les valeurs technologiques liées à l’intelligence artificielle seront encore plus sous pression pour être à la hauteur des attentes. Avec l’indice de volatilité VIX se négociant à un prix inférieur à 14 au moment de la rédaction de ce billet (juste dans le quartile inférieur des observations depuis 1990), cela ne coûte pas cher de couvrir l’exposition aux actions, ainsi que le risque que tout écart par rapport à l’atterrissage en douceur ferait peser sur la capacité du marché boursier américain à maintenir les niveaux de valorisation actuels. Les inquiétudes portant sur la valorisation sont plus limitées dans les autres parties du globe. Toute fissure dans l’optimisme régnant à l’égard des actions américaines se traduirait par une surperformance correspondante des actions européennes et japonaises.

Sables mouvants

Je perçois un changement dans la dynamique macroéconomique. Dans une perspective large de l’évolution des prix, l’augmentation mensuelle récente de l’indice des prix à la consommation au Royaume-Uni a été beaucoup plus proche de la moyenne historique de chaque mois (mesuré entre 1990 et 2022) que ce qui a pu être observé durant chacune des deux dernières années. En d’autres termes, l’inflation est en train de rentrer dans les clous. Le taux d’inflation en glissement annuel reste élevé, mais si la dynamique récente se poursuit, l’inflation sera plus faible l’année prochaine. Le marché obligataire le perçoit clairement.

Les banques centrales pourraient assouplir leur politique monétaire à l’approche de campagnes électorales qui, en 2024, pourraient être décisives aussi bien aux États-Unis qu’au Royaume-Uni. Il s’agit d’une discussion que nous réservons pour une autre occasion, mais le seul impact positif durable que nous gardons du gouvernement que Liz Truss a brièvement dirigé au Royaume-Uni, a été le fait d’introduire de la valeur sur le marché des gilts. Durant l’année écoulée, l’indice de rendement total des gilts a progressé de 3,3%. Le Gilt 2061, largement adopté, a augmenté de 18% au cours du mois passé. Si nous étions Américains, ce serait une occasion bienvenue de rendre grâce.

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