Crédit privé européen: les ingrédients clés

Mark Wilton, Barings

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Prenez de l’ancienneté, ajoutez de la gestion du risque et saupoudrez le tout d’une approche ESG adaptée.

Le marché du crédit privé européen évolue selon trois grands axes qui en déterminent de plus en plus la dynamique concurrentielle et, à terme, les rendements. 

Le bénéfice de l’ancienneté

La pandémie a eu un impact notable sur le paysage concurrentiel du marché du crédit privé en Europe. Les opérations sont toujours plus concentrées et menées par un nombre restreint de prêteurs, une tendance qui s’amorçait déjà avant la crise du COVID mais qui s’est considérablement accélérée sur les 18 derniers mois. Si, dans le passé, des sponsors de capital-investissement pouvaient se tourner vers cinq à dix prêteurs pour des offres de financement, ce nombre est aujourd’hui réduit à deux ou trois. De plus, les transactions en Europe sont souvent réalisées avec un seul prêteur contrairement aux Etats-Unis. 

Les prêteurs attitrés ont également un avantage sur le marché secondaire.

Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que les prêteurs directs les mieux établis, au bénéfice d’une solide réputation et de relations privilégiées avec les différents sponsors, disposent d’un avantage considérable sur leurs concurrents. L’envergure du prêteur joue également un rôle important, car elle lui permet de multiplier les opportunités d’agir en tant que prêteur attitré et lui donne ainsi un meilleur accès aux flux des opérations. Si un emprunteur a besoin d’une source de financement supplémentaire, par exemple, son prêteur attitré est plus en mesure de souscrire rapidement une nouvelle transaction. Cette dernière peut par ailleurs, de par la relation préexistante entre les deux parties, être réalisée intégralement hors marché. 

Les prêteurs attitrés ont également un avantage sur le marché secondaire, s’étant déjà plongés plus d’une fois dans les finances des emprunteurs et pouvant ainsi évaluer de manière plus éclairée les mérites de conclure des transactions additionnelles. Ceci leur permet de fixer des prix de manière plus précise et de mieux gérer le risque.

Le retour de la prudence

Un changement est également en train de s’opérer dans la manière dont les investisseurs envisagent le risque et le rendement sur le marché du crédit privé européen. Compte tenu de la quantité importante de capitaux levés ces dernières années dans le cadre de stratégies de crédit privé, il n’est pas étonnant que certains acteurs du marché se soient engagés dans une course au rendement sans trop s’intéresser aux risques encourus. Qu’il s’agisse d’endettements excessifs, de conditions et de structurations agressives ou encore de prêts à des secteurs plus exposés au risque, le système était extrêmement fébrile à la veille de la pandémie. 

Aujourd’hui, les conséquences de cette prise de risque excessive se manifestent avant tout dans la divergence des performances des portefeuilles. Les prêteurs plus fortement concentrés sur des secteurs comme celui du commerce de détail et de la restauration, qui ont été touchés de manière disproportionnée par le ralentissement économique, ont particulièrement souffert. L’adoption d’une approche plus conservatrice, privilégiant les rendements ajustés au risque et évitant les secteurs cycliques, s’est en revanche révélée payante pour certains acteurs.

En effet, aussi bien les sponsors de capital-investissement que les emprunteurs reconnaissent qu’un endettement excessif et des conditions agressives ne jouent à long-terme ni en faveur de l’emprunteur, ni en faveur du prêteur. Un endettement plus faible permet aux emprunteurs de conserver une plus grande partie de leurs flux de trésorerie, ce qui leur permet d’investir dans la croissance plutôt que de devoir tout consacrer au remboursement de leurs intérêts. Un point qui tient particulièrement à cœur de certains sponsors de capital-investissement, eux-mêmes focalisés sur la croissance. 

Le crédit privé constitue une classe d’actifs illiquide, avec un cycle de vie typique de trois à cinq ans.
Des approches ESG innovantes

Les investisseurs s’intéressent chaque jour davantage à l’ESG. Mais ils ne sont pas les seuls: les gérants, les sponsors et les emprunteurs font de même. Or le crédit privé requiert une méthode d’analyse ESG différente de celle appliquée aux investissements en actions et en titres à revenus fixes cotés. En premier lieu, le crédit privé constitue une classe d’actifs illiquide, avec un cycle de vie typique de trois à cinq ans. Contrairement aux marchés syndiqués, il n’y a que peu, voire pas, de possibilité d’entrer ou de sortir des accords de prêts ou de s’en désinvestir. De plus, et contrairement aux investisseurs en actions, les détenteurs de la dette ne possèdent pas d’actions d’entreprises et ne siègent pas aux conseils d’administration. Ils n’ont donc aucune influence directe sur les comportements ou les décisions d’une entreprise. Autant de facteurs qui rendent une diligence raisonnable en matière d’ESG fondamentale, et ce dès le début. 

Dans le cadre du crédit privé, les prêts liés à la durabilité constituent une approche innovante qui peut inciter les entreprises de taille moyenne à améliorer leurs pratiques ESG. En substance, les prêteurs peuvent personnaliser les accords de prêts en y intégrant des dispositions spécifiques en matière d’ESG ou de durabilité. Si une entreprise répond à un certain nombre de ces dispositions, elle peut obtenir une réduction de ses coûts d’emprunt. Si des ajustements de la marge de crédit liés à la durabilité offrent aux emprunteurs une incitation matérielle, l’ampleur de la réduction de leurs charges d’intérêts – généralement de l’ordre de 5 à 10 points de base – n’a pas d’impact significatif pour les investisseurs. Ou plutôt, il s’agit d’un impact que les investisseurs soucieux de l’ESG peuvent être prêts à accepter, ce dernier étant clairement destiné à améliorer les comportements de l’entreprise au profit de l’environnement et de la société en général. Les prêts ESG ou liés à la durabilité devraient ainsi devenir de plus en plus la norme dans le secteur, les incitations et les motivations des investisseurs, des gestionnaires, des sponsors et des emprunteurs de trouvant de plus en plus alignées. 

Comme toutes les classes d’actifs, le marché européen du crédit privé continue de changer et d’évoluer. Aujourd’hui, l’importance croissante de l’envergure et des relations préexistantes d’un prêteur, de même que l’attention portée au risque et à l’ESG, sont les principaux facteurs impactant la dynamique concurrentielle de ce marché. Et, avec la bonne approche, offrir des rendements à la fois attractifs et ajustés au risque reste un objectif réalisable. 

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