Quand Jerome Powell fait équipe avec Adam Smith

Julien Serbit, Prime Partners

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Qu’on appelle ça le retour à la moyenne ou la main invisible, la mécanique économique et financière a tendance à corriger ses propres excès.

Ce phénomène est plutôt intuitif quand on y réfléchit. Si votre baguette de pain commence à vous couter trop cher vous pourriez ne plus en acheter. Le boulanger risque alors de faire face à une baisse de ses ventes et finira probablement par ajuster son prix pour attirer à nouveau un plus grand nombre de clients et ce même si sa marge sur chaque baguette s’en trouve un peu réduite. Le prix du produit se sera donc ajusté.

Ce type de mécanisme, quelque peu simpliste dans sa forme, n’est évidemment pas aussi fluide en pratique. Les ajustements de prix prennent du temps et sont entravés par un grand nombre de facteurs ou d’évènements, prévisibles ou non. Le chemin tortueux vers le retour à la moyenne provoque moult doutes chez les investisseurs et induit son lot de décisions de gestion hasardeuses voir de timings désastreux.

Alors désastre allons-nous avoir d’ici la fin de l’année ? La question est sur toutes les lèvres dans une année où les performances demeurent bonnes mais très concentrées aux secteurs technologiques et où la géopolitique n’aura cessé de noircir le tableau.

Depuis quelques mois les investisseurs trouvent le temps long avec des marchés actions qui évoluent plutôt latéralement et des indices obligataires finalement moins enthousiasmants que prévus dans un environnement de taux durablement élevés.

À quelques semaines du coup de sifflet final de 2023, on sent poindre chez certains l’envie de mettre un peu de pression sur l’arbitre afin qu’il renvoie tout le monde aux vestiaires.

Il convient à mon sens de s’engager un peu : il semble assez improbable que les portefeuilles abandonnent toute la performance de l’année d’ici à fin décembre. Les grandes valeurs technologiques américaines, amplement responsables de la bonne tenue du S&P 500 cette année (et encore plus de celle du Nasdaq) ne voient pas de menace spécifique planer sur leur activité au cours des prochaines semaines.

Certes, les motifs d’inquiétude sont nombreux et le flux d’information quotidien venant bercer les opérateurs se veut moins optimiste qu’il y a quelques mois où tout n’était que révolution de l’intelligence artificielle et certitude d’un soft landing (voir no landing) de l’économie américaine.

Après des évènements tels que la pandémie, le conflit Ukrainien et la poussée d’inflation, le retour à la moyenne de nombreux indicateurs économiques et financiers est pleinement amorcé.

Il devient de plus en plus évident que les conditions monétaires restrictives montrent leurs effets et cela risque bien d’être évoqué dans les discours des chefs d’entreprise lors des publications du Q3. Le marché n’appréciera probablement que modérément une certaine prudence dans les «guidances» de 2024 mais ne devrait toutefois pas complètement occulter des chiffres qui, ce trimestre encore, devraient être éloignés de la catastrophe économique régulièrement redoutée depuis 18 mois.

En résumé et pour finir 2023, de la volatilité oui, un krach non.

De plus, méfions-nous des discours un brin pessimistes où sont listés de nombreux changements structurels à venir dans nos sociétés et qui dépeignent le monde de demain comme hautement imprévisible et sombre. Nul besoin d’énumérer tout ce qui est tombé d’imprévu sur la tête des investisseurs ces vingt dernières années. La capacité à s’adapter à l’environnement économique est une caractéristique des marchés financiers et c’est plutôt la patience des opérateurs qui fait souvent défaut.

Les banquiers centraux tiennent fermement le gouvernail des bourses mondiales et qu’on le veuille ou non c’est avant tout leurs actions et plus largement leurs attitudes qui initient régulièrement les différentes phases de marché. Malgré une résilience de l’économie américaine largement sous-estimée depuis 2022, les politiques monétaires restrictives commencent à montrer des résultats de plus en plus tangibles et ont refroidi des pans entiers de la première économie mondiale sans en casser la dynamique cette année. Le marché de l’emploi américain en est le premier témoin.

La direction des marchés financiers en 2024 va donc résider en partie dans la capacité des grands argentiers à amorcer un changement de ton et à potentiellement accepter implicitement que l’inflation s’installe à des niveaux un peu plus élevés que lors des quinze dernières années. Tout cela sans pour autant admettre un quelconque échec dans leur combat contre cette dernière, crédibilité oblige. Un numéro d’équilibriste tant dans les actes que dans la communication.

Après des évènements tels que la pandémie, le conflit Ukrainien et la poussée d’inflation, le retour à la moyenne de nombreux indicateurs économiques et financiers est pleinement amorcé. Quand on y pense bien, c’est souvent notre impatience quelque peu chronique qui donne à ces processus une dimension sinueuse. Ce n’est de loin pas une quelconque incompétence ou d’éventuelles tergiversations des banques centrales. Ces dernières ont jusqu’ici plutôt bien accompagné ce phénomène d’autorégulation de l’économie afin de le rendre le moins douloureux possible, tant au travers du niveau général des prix que du taux de chômage.

Nul besoin de rappeler qu’une fois les compteurs remis à zéro en fin d’année, les grandes questions qui animent actuellement les marchés demeureront. Les réponses continueront généralement de prendre plus de temps à se dessiner que les opérateurs ne l’aimeraient.

Certains pourraient cependant trouver un peu de réconfort en se rappelant que la période 2020-2023, si brutale aura-t-elle été, semble en voie de se normaliser. Retour à la moyenne ou main invisible, la mécanique économique reprendra ses droits vers un nouvel équilibre.

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