Cinq leaders ESG crédibles

Antoine Mach, Covalence SA

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Alors que le soupçon de greenwashing pèse sur la finance durable, la comparaison de données prospectives et rétrospectives aide à trier le bon grain de l’ivraie.

Comment construire un portefeuille d’investissement durable qui ne prête pas le flanc au soupçon de greenwashing, qui soit crédible? Alors que les signataires des principes pour l’investissement responsable (PRI) représentent deux-tiers de l’ensemble des actifs sous gestion dans le monde, reflet d’un impressionnant succès comptable pour la finance durable, ce soupçon est aujourd’hui largement répandu, tant parmi les observateurs externes qu’au sein même de l’industrie financière. Après les universitaires et les organisations non gouvernementales (ONG), ce sont depuis quelques temps les autorités de surveillance des marchés boursiers qui s’attellent à dénoncer l’écoblanchiment, c’est-à-dire la tendance à présenter un produit comme plus vert qu’il ne l’est réellement.

Depuis 2001, la société genevoise Covalence produit des notations sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Sa contribution à la lutte contre le greenwashing se traduit par une série de mesures développées en 2022. Il s’agit d’abord d’un score de réputation prospective: les données ESG narratives (articles de presse, communications d’ONG, syndicats et autres sources) sont d’abord filtrées selon l’horizon-temps qu’elles couvrent: les informations à propos des promesses et engagements des entreprises, comme les engagements net-zéro émissions de CO2 à l’horizon 2030 ou 2050, sont identifiées et marquées comme des données prospectives (forward-looking). Un score de réputation prospective est calculé avec ces informations en considérant la proportion de news positives par rapport à l’ensemble des news positives et négatives. 

Il s’agit d’identifier les entreprises qui communiquent activement sur leurs engagements et résolutions pour le futur, et dont les communications sont largement relayées et approuvées par des tiers. Cette mesure est combinée à un score ESG global, basé à la fois sur des informations qualitatives et sur des indicateurs quantitatifs. Ensuite, pour s’assurer de la crédibilité des leaders ESG ainsi identifiés, nous calculons également un score de réputation rétrospective, qui est basé sur les informations couvrant le passé. Il s’agit de comparer les promesses et les pratiques des entreprises. Si l’on constate un écart significatif entre les scores de réputation prospective et rétrospective, cela allume un signal, un risque de greenwashing, et invite à exclure, ou à sous-pondérer, le titre concerné d’un univers d’investissement. L’objectif est de sélectionner des entreprises à la fois ambitieuses dans leurs engagements pour la durabilité et responsables dans leurs pratiques actuelles. Passons en revue quelques cas de leaders ESG crédibles, selon cette approche1.

Schneider Electric, groupe français actif dans l’automatisation et la gestion de l’énergie, s’est fixé des objectifs de décarbonation validés par la Science Based Targets initiative (SBTi) sur les scope 1, 2 et 3, avec des étapes fixées en 2025, 2030, 2040 et 2050. Schneider Electric vise aussi zéro perte nette de biodiversité dans ses opérations directes d’ici 2030. Enfin, le groupe s’engage pour l’accès à l’électricité verte dans les pays en développement, avec comme objectifs pour 2025: cinquante millions de personnes bénéficiant d’un accès à l’électricité, un million recevant une formation à l’électricité, et un soutien apporté à 10’000 entrepreneurs. Si l’on considère les informations portant sur les pratiques passées de Schneider Electric, on observe également un score de réputation élevé et un faible niveau de controverses, ce qui nous rassure sur la crédibilité de ses engagements concernant le futur.

L’américain Trane Technologies, qui produit des équipements de chauffage, ventilation et réfrigération, dispose également d’un plan de décarbonation validé par SBTi. L’entreprise ambitionne ainsi de permettre à ses clients de réduire leurs émissions de CO2 d’une gigatonne d’ici à 2030, soit l’équivalent des émissions de la France, de l’Italie et de la Grande-Bretagne réunies. 

SGS, groupe suisse leader mondial dans les services d’inspection, vérification et certification, propose des solutions permettant à ses clients de mesurer l’empreinte carbone de leurs produits, d’améliorer leur efficience énergétique et de mesurer leur impact sur la biodiversité en s’appuyant sur l’analyse de l’ADN environnemental. 

Retour en France avec L’Oréal, qui domine le marché mondial des cosmétiques, et qui se signale lui aussi par des engagements affirmés en faveur du développement durable, comme l’objectif d’utiliser 100% d’emballages en plastique recyclé d’ici à 2030, et des investissements dans des sociétés développant des techniques de biorecyclage du PET et des ingrédients bio pour les cosmétiques.  

Enfin, la société Owens Corning, basée aux Etats-Unis et produisant des matériaux de construction, dispose aussi d’une stratégie de durabilité volontariste. Elle vise par exemple à recycler deux millions de tonnes de bardeaux d’asphalte d’ici 2030, et s’attaque au chantier du recyclage des pales d’éoliennes usagées.

Le point commun de ces cinq sociétés est qu’elles affichent toutes un bon score ESG, ainsi que des scores de réputation prospective et rétrospective élevés, ce qui nous rassure sur la crédibilité de leur trajectoire de durabilité. A l’inverse, certaines sociétés remplissent les deux premières conditions (scores ESG et de réputation prospective élevés), mais pas la troisième, car un volume préoccupant de controverses entache leur réputation rétrospective et génère un risque de greenwashing et des doutes sur la sincérité de leurs engagements pour l’avenir. Ainsi, Johnson Controls fait l’objet de plaintes en justice pour une affaire de pollution de l’eau aux PFAS dans le Wisconsin (USA); de son côté, la société indienne Infosys est accusée de discrimination à l’embauche sur des critères ethniques et de genre. Cela ne nous amène pas à dénigrer leurs efforts ni à rejeter définitivement ces sociétés, mais à inciter les gestionnaires à redoubler de vigilance au moment de construire un portefeuille d’investissement durable.

1Cet article ne constitue pas une recommandation concernant des décisions d’investissement.

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