Chine: freinage cyclique, organique, ou les deux à la fois?

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

3 minutes de lecture

L’effet net à moyen terme du mix d’assoupissement du crédit et de resserrement réglementaire reste l’inconnue clé des prévisions.

Depuis le choc du printemps 2020, aucun pays n’a connu de reprise plus rapide et plus forte que la Chine. La stimulation de la demande dans le reste du monde a beaucoup fait pour le rebond de la production chinoise, alors que la demande intérieure était contrainte. Même ciblées localement, les restrictions sanitaires restent fortes (fermeture d’usines, de ports). Après une vive expansion en 2020, les flux de crédit se sont taris. En cet été 2021, le PIB paraît quasi-stagnant. Face à un trou d’air, les autorités ont pour habitude de desserrer les conditions financières. Ce qui est inhabituel est de mener en même temps un tour de vis réglementaire.

Virus et économie: le stop-and-go

Il est usuel chez les historiens de diviser le développement économique en étapes, avec la préparation du décollage, la montée en puissance, puis la maturité. Au fil de ce processus, les structures se transforment, avec moins d’industrie et plus de services, et la croissance tendancielle faiblit. En Chine, le freinage organique ne date pas d’hier, mais plutôt de 2011. Sur la décennie passée, les cibles officielles de croissance ont été peu à peu réduites. De 6% en 2019, on pouvait extrapoler un freinage vers 4,5% l’horizon 2030. Là-dessus s’ajoutent les fluctuations cycliques. En général elles sont modestes. Durant la pandémie, elles ont été exceptionnelles. Après sa chute soudaine au T1 2020, le PIB chinois a si vite rebondi que la croissance dépassera 8% en 2021 mais la tendance sous-jacente n’a aucune raison d’être bien différente de 6%.

Le bond des exportations ne doit pas faire oublier que la demande intérieure s’est redressée plus lentement que le PIB.

Ce rebond du PIB vient en bonne part de la demande extérieure, la Chine produisant ou assemblant les biens que tous les Américains et les Européens ont désiré depuis dix-huit mois pour supporter les confinements et organiser le travail à distance. Ce choc positif n’a pas lieu de se répéter, mais plutôt de se modérer. Le bond des exportations ne doit pas faire oublier que la demande intérieure s’est redressée plus lentement que le PIB. Comme ailleurs dans le monde, de nombreux secteurs opèrent sous la contrainte des restrictions anti-COVID. Au S1 2021, la valeur ajoutée de l’hôtellerie-restauration était inférieure d’environ 1 point à son niveau de 2019; l’écart est de 18 points pour le trafic aérien, de 29 points pour le trafic ferroviaire de passagers. Les touristes chinois étant privés de voyages internationaux, une partie des dépenses faites d’ordinaire à l’étranger ont été «rapatriées», entraînant un boom des importations de produits de luxe tels que les sacs à main et les montres de marque. Ce type de dépenses a un poids presque insignifiant au plan macroéconomique mais il soulève des questions sur la tolérance aux inégalités de revenu.

Les récentes statistiques économiques pointent toutes dans le sens d’un coup de froid sur l’activité durant l’été. Se combinent ici plusieurs facteurs touchant à la crise sanitaire, au resserrement des flux de crédit plus tôt dans l’année, aux restrictions des industries polluantes ou des secteurs en tension comme l’immobilier. Dire quelle part joue chacun d’eux est un exercice délicat, mais au vu de la rechute brutale de certains indices de confiance, on serait enclin à donner la priorité aux mesures sanitaires prises en réaction à la circulation du variant Delta. Hormis son effondrement en février 2020 au tout début de l’épidémie (-25 points), le PMI des services n’avait jamais enregistré un recul mensuel aussi fort (-5,7 pts) qu’en août 2021. Les restrictions sont localement si fortes qu’elles ont des répercussions sur la chaîne d’approvisionnement globale (fermeture partielle du port de Ningbo, le premier au monde pour le commerce de marchandises) et freinent les dépenses des ménages. 

Il apparaît désormais évident que la stratégie visant à éradiquer les contaminations touche à ses limites.

Si la Chine a pu prétendre en 2020 à des succès rapides contre la pandémie, offrant par la même un «modèle» pour les confinements stricts mis en place dans les pays occidentaux, il apparaît désormais évident que la stratégie visant à éradiquer les contaminations touche à ses limites. Elle oblige en effet à un stop-and-go continuel qui se répercute sur l’activité économique en gré des vagues de contaminations que personne ne peut prévoir. Avec les vaccins, il existe une stratégie alternative consistant à laisser circuler le virus ou ses variants mais à protéger la population contre les formes graves de la maladie. C’est la voie désormais suivie par l’Europe. 

A en juger par les évolutions récentes de l’économie, la stratégie de la vaccination est devenue bien supérieure à la stratégie de l’enfermement (surprises positives sur l’activité en Europe, surprises négatives sur l’activité en Chine et dans le reste de l’Asie). On ne s’attend pas à ce que les autorités chinoises proclament un changement complet de politique sanitaire et encore moins qu’elles admettent que leur action n’est pas la meilleure, mais dans les faits, le virage a déjà eu lieu. Le seuil des deux milliards de doses injectées vient d’être franchi en Chine. Il va sans dire qu’on n’a pas d’enquêtes d’opinion concernant les restrictions sanitaires mais, même en faisant part du fort nationalisme de la population, il est probable que la population en éprouve une certaine fatigue. Là encore, ce n’est pas le climat le plus propice à la dépense. Quand le degré de vaccination efficace aura atteint un seuil suffisant, il y aura un allègement des contraintes et un rebond du rythme d’activité. 

Par ailleurs, selon l’usage bien établi durant la dernière décennie, la politique économique alterne des phases de restriction quand il faut calmer certaines surchauffes (par exemple dans le secteur immobilier) et d’assouplissement face aux trous d’air du cycle. Au S1 2021, le curseur était du côté restrictif en matière de crédit; il va se déplacer dans l’autre sens au S2 2021. La banque centrale a déjà réduit le taux de réserves obligataires des banques début juillet. La dégradation récente des données ne peut qu’avancer le calendrier d’autres mesures de ce type. A la différence de la réponse indiscriminée à la crise financière de 2008, qui avait abouti à une envolée de la dette des entreprises (ce qui un fardeau pour les années suivantes), les autorités monétaires ont appris à ajuster l’outil du crédit selon les besoins des secteurs qui ont la faveur de l’Etat. La PBoC a assuré que le crédit ne manquerait pas aux petites entreprises. En même temps, le gouvernement met la pression sur le secteur technologique. Il est raisonnable d’attendre un affermissement du momentum économique d’ici la fin de l’année. 

A lire aussi...