L’économie allemande à la fin de l’ère Merkel

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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L’atténuation des contraintes d’offre en 2022 permet d’envisager les perspectives de croissance avec optimisme.

Angela Merkel aura servi quatre mandats consécutifs de Chancelière, soit plus de quinze années. Durant cette période, elle aura eu affaire à quatre présidents des Etats-Unis, quatre présidents de la République française, cinq Premiers ministres britanniques, huit présidents du Conseil italien, trois présidents de la BCE, etc. Au plan économique, il est en général admis que son action dans les affaires européennes a eu un rôle stabilisateur lors des divers épisodes de stress, tels que la crise italienne de 2011 ou la crise grecque de 2015. 

Mais cette stabilité s’est souvent payée par une certaine lenteur dans la décision car les actions requises pour stopper le stress (création de l’EFSF/ESM, «whatever it takes» de Mario Draghi) allaient à l’encontre de l’orthodoxie monétaire et budgétaire et de ce fait pouvaient heurter l’opinion publique et la base électorale de la CDU. Toutefois, face à la pandémie, la Chancelière a voulu une réponse budgétaire rapide, aboutissant au plan de relance de l’UE. C’est peu dire que son retrait politique crée un vide au plan domestique et sur la scène internationale.

Des élections qui se tiennent dans un mouchoir de poche

A quelques semaines des élections législatives du 26 septembre, l’issue apparaît hautement incertaine. Selon les derniers sondages, les trois principaux partis de gouvernement (CDU/CSU, SPD, Grünen) et leur Spitzenkandidat respectif sont presque au coude à coude, si l’on tient compte de la marge d’erreur, à environ 20% des intentions de vote.

A ce jour, le principal gain en sièges est promis aux Verts, qui pourraient jouer le rôle de «faiseur de rois». L’alliance CDU/CSU, malgré un recul en nombre d’élus, resterait la première force au Bundestag. Depuis les précédentes élections de 2017, les politiques menées en Europe ont suscité de vifs débats en. Pour autant, l’AfD n’a semble-t-il pas élargi son audience. 

Le plus probable est une coalition à trois partis, obligeant à des compromis dans la répartition des postes ministériels et la rédaction du programme de gouvernement.

En fait, comme ailleurs dans bien d’autres démocraties occidentales, la fragmentation politique tend à augmenter alors même que le système électoral donne déjà une large part à une représentation proportionnelle. La pandémie peut aussi avoir une incidence sur la participation et le résultat (vote par correspondance). Tout cela présage des négociations longues pour former la prochaine coalition. Sur la base des projections de sièges, le plus probable est une coalition à trois partis, obligeant à des compromis dans la répartition des postes ministériels et la rédaction du programme de gouvernement. En somme, l’Allemagne continuera d’être gouvernée au centre, avec un fort attachement au projet européen, mais pour la première fois depuis quinze ans, le centre de gravité pourrait basculer du centre-droit au centre-gauche.

Pour une politique budgétaire plus activiste

Au plan macroéconomique, l’une des implications importantes des élections concerne la politique budgétaire. Aucun des trois grands partis ne proposent de remettre en cause les règles budgétaires, certaines étant inscrites dans la constitution. Pour autant, cela n’implique pas un resserrement en vue de revenir sans délai en situation d’excédent. Concernant les dépenses, la trajectoire n’a pas de raison de dévier des tendances récentes. A ce sujet, il est bon de corriger le stéréotype d’une Allemagne rétive à la dépense. De 2011 à 2019, les dépenses publiques hors intérêt ont augmenté de 3,6% par an, bien plus que dans le reste de la zone euro (1,7%). Les dépenses d’investissement public ont progressé même plus vite, de 4% par an. La nécessité d’adapter l’économie allemande à la nouvelle donne environnementale justifie d’autres investissements, en ligne avec la doxa de la Commission. Il y a un large consensus sur ce point. 

Les différences entre partis s’expriment plus nettement en matière de fiscalité et de réglementation. Les conservateurs ne prévoient pas de grands bouleversements. Le SPD plaide pour un impôt sur la fortune avec un taux de base de 1%, une réforme des droits de succession et de la taxation des couples, la création d’une taxe financière, en échange de quoi les impôts seraient réduits pour les ménages les plus modestes. Les Verts, d’accord sur ce point avec le SPD, prévoient d’augmenter le salaire minimum de 9 à 12 euros de l’heure. La mise en œuvre de telle ou telle de ces propositions dépendra, rappelons-le, du type de coalition qui sera formé et des compromis entre ses participants. De manière générale, il semble que l’idée d’avoir une politique budgétaire plus activiste, autrement dit moins dictée par les seules règles budgétaires, a fait son chemin. 

Relever la production industrielle

La prochaine coalition héritera d’une économie qui ne s’est pas totalement remise de la crise du COVID. Au début de la pandémie, l’Allemagne avait réussi à davantage limiter la casse que ses voisins grâce à un confinement moins sévère et une moindre exposition aux secteurs sinistrés (par exemple, le tourisme). A l’époque, la Chancelière avait été louée par sa bonne gestion de la première vague d’infections. Par la suite, le rebond automatique de l’activité lors de la levée des restrictions avait été plus faible. La surperformance allemande ne s’est pas maintenue. Les nouvelles vagues d’infection ont amené de nouvelles restrictions au début 2021, retardant la reprise. Au T2 2021, le PIB réel allemand est 3,3 points sous son niveau pré-pandémie (T4 2019), soit le même écart qu’en France et sensiblement le même qu’en Italie (3,8 points). 

La production industrielle est actuellement plus déprimée en Allemagne que dans le reste de la zone euro.

Alors que la demande mondiale de biens est remarquablement forte, ce qui aurait dû profiter à une puissance industrielle comme l’Allemagne, les contraintes d’offre ont été et restent prédominantes. Le problème est si aigu que la production industrielle est actuellement plus déprimée en Allemagne que dans le reste de la zone euro. Elle se situe 5 points sous son niveau pré-crise alors que l’écart est presque comblé à l’échelon de la zone grâce à des gains dans la production de matériels informatiques et pharmaceutiques. L’Allemagne pâtit de manière évidente de sa surexposition à la filière automobile, dont l’activité est 25 points sous la normale. La cause est le manque de composants électroniques, un problème d’ampleur mondiale.

Il n’est pas question de parler de désindustrialisation de l’économie allemande mais il est certain que l’avantage comparatif en termes de coût du travail que le pays avait lors de la création de l’euro et pendant une quinzaine d’années a pratiquement fondu. Le niveau des coûts unitaires de travail n’est plus désormais que marginalement inférieur en Allemagne par rapport au reste de la zone euro. A terme, cela peut réduire le dynamisme de l’industrie et réorienter la structure de production davantage vers le marché intérieur et moins vers l’exportation. 

Une économie en reprise malgré la faiblesse du secteur auto

Dans l’immédiat, la reprise va rester bridée par la faiblesse de l’automobile mais les autres secteurs de services feront plus que compenser ce handicap. En dépit d’un certain plafonnement, les derniers indices de climat des affaires venant des enquêtes Ifo et PMI présagent une accélération de la croissance du PIB au T3 (après +1,6% t/t au T2), en lien avec la poursuite du rattrapage de la consommation de services. Dans le secteur hôtellerie-restauration, par exemple, l’activité était à 40% de la normale au T2; si elle revenait à 80% au T3, ce qui n’est pas inaccessible après la fin des restrictions, cela ajouterait 0,7 point de croissance. Avec un marché du travail montrant de fortes intentions d’embauche, le niveau d’activité prépandémie devrait donc être dépassé avant la fin 2021. En 2022, l’économie allemande devrait bénéficier de la dissipation progressive des goulots d’étranglement qui brident la production (rebond décalé de la production automobile). De ce fait, les prévisionnistes anticipent, à l’inverse des autres pays développés, une croissance plus forte en 2022 qu’en 2021, de l’ordre de 3,5% et 5% respectivement. 

Sur le front de l’inflation, la vue est biaisée en partie du fait de la hausse des taux de TVA en janvier (corrigeant une baisse équivalente au S2 2020). En juillet dernier, selon l’indice harmonisé d’Eurostat, le taux d’inflation était de 3,1% sur un an, mais hors effet-TVA, de seulement 1,3%. Vu les effets de base, l’inflation est amenée à progresser encore au S2 2021, avec un pic qui pourrait atteindre ou dépasser 4%, avant une rechute dès janvier 2022. Il y a de fortes pressions sur certains prix d’input, qui peuvent au fil du temps se transmettre en partie en aval de la chaîne des prix, mais à ce stade, la poussée d’inflation apparaît technique et transitoire. Certains commentateurs mal avisés pourraient crier au loup et incriminer une nouvelle fois la BCE pour son laxisme, mais la réalité est que l’inflation sous-jacente apparait stable. Un risque haussier pourrait venir de la vigueur des prix des logements (+9,4% sur un an au T1 2021), quoique que pour l’instant l’indice des loyers ne montre pas de signes de forte accélération. A l’opposé, on notera l’absence de tensions salariales. Avant la crise, les salaires négociés affichaient des hausses de l’ordre de 2-3% par an, ce rythme est tombé à 1,4% au S1 2021.

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