Borat et les bitcoins

Charles-Henry Monchau, Syz

4 minutes de lecture

Une crise énergétique et un soulèvement populaire menacent la viabilité du minage de bitcoin au Kazakhstan, deuxième producteur mondial de la crypto-monnaie. Aperçu.

La crise Kazakh

La situation s'envenime au Kazakhstan, en proie à des émeutes chaotiques depuis plusieurs jours. La répression a fait des dizaines de morts dans la capitale. Le président Kassym-Jomart Tokaïev a jusque-là échoué à calmer les protestations, malgré la démission du gouvernement, l'instauration de l'état d'urgence et d'un couvre-feu nocturne dans le pays.

Même si le mouvement a pris une tournure politique, c’est bien l’inflation, et notamment les prix de l’énergie, qui est au cœur de la crise. Le mouvement de colère a débuté le dimanche 2 janvier en province (ville de Zhanaozen) en raison de la réduction des subventions du gaz de pétrole liquéfié, un carburant que beaucoup utilisent pour alimenter leurs voitures. Une nouvelle loi laisse désormais les prix du gaz être fixés par le marché, ce qui a eu pour effet de faire monter les prix en flèche en l’espace de quelques jours. Le mouvement de colère débuté en province s’est depuis étendu à la plus grande ville du pays, Almaty.

Le Kazakhstan est la première nation au monde à perdre son gouvernement du fait de la crise énergétique. Un comble pour l’un des plus grands exportateurs d’énergie au monde. Ce pays d’Asie centrale est le 9ème plus grand exportateur de charbon, le 9ème de pétrole et 12ème de gaz naturel. Les perspectives offertes par l’exportation ont joué un rôle dans la fin des subsides sur le marché domestique. Avant l’établissement des nouvelles règles, les prix domestiques étaient bien inférieurs aux coûts de production, ce qui a créé des situations de pénurie dans certaines provinces et ouvert ainsi la porte au marché noir. L’ajustement mis en place par le gouvernement apporte des solutions mais le processus d’ajustement risque d’être douloureux, surtout dans un contexte politique qui était déjà très tendu avant la crise.

Ajoutons que le peuple kazakh doit faire face depuis plusieurs mois à un autre problème énergétique: un réseau électrique surchargé qui entraine des pénuries d’électricité dans tout le pays. Coupable désigné: les dizaines de milliers de fermes de minages de crypto-monnaies, dont l’activité est très énergivore et qui a entraîné une surcharge des réseaux.

Le minage de bitcoin au Kazakhstan

Pour rappel, le minage de crypto-monnaie est une activité qui consiste à valider une transaction sur un réseau blockchain par le biais d’un calcul mathématique. Le minage techniquement surnommé «Proof of work» (preuve de travail) permet ainsi de sécuriser la blockchain. La difficulté des calculs nécessaires à la validation des transactions ne cesse d’augmenter au fil du temps. À ses débuts, le Bitcoin était miné sur des ordinateurs classiques, mais aujourd’hui la puissance de calcul est telle qu’il est obligatoire de se tourner vers des ASICs Bitcoin Miner, qui sont des ordinateurs spécialisés dans cette pratique. Des fermes de minage, regroupant des milliers d’ordinateurs, opèrent actuellement dans de nombreux pays dont le Kazakhstan. La consommation d’électricité utilisée par ces fermes pour le minage s’avère être de nos jours très onéreuse. Ainsi, le minage du Bitcoin à l’échelle planétaire consomme actuellement l’équivalent des besoins d’énergie de l’Argentine…

Dans les années 2019-2020, la Chine était le leader incontesté du minage de bitcoin avec entre 75% et 100% du «hashrate» réalisé en Chine (le «hashrate» est la puissance de minage cumulée des ordinateurs utilisés). Mais au mois de mai dernier, les autorités chinoises ont soudainement décidé de bannir le minage sur leur territoire. La blockchain a pour caractéristique d’être décentralisée et sans frontières, ce qui a amené les mineurs à s’installer dans d’autres pays en l’espace de quelques semaines et ce sans mettre à mal le réseau du bitcoin. Destinations privilégiées: les Etats-Unis, le Canada, la Russie et… le Kazakhstan. Le pays de Borat est passé en quelques mois de 9% à 18% de part de marché mondial, soit la deuxième place des pays hébergeant le plus de mineurs de crypto-monnaies (la 1ère place étant désormais occupée par les États-Unis).

Graphique: Le Kazakhstan est le 2e pays en termes de Hash Rate sur le réseau Bitcoin

Source: Decrypt

D’après le Financial Times, plus de 87,000 fermes se sont implantées au Kazakhstan, l’immense majorité venant de Chine. Pourquoi le Kazakhstan a-t-il attiré autant de mineurs? Principalement parce que ce pays voisin de la Chine fournissait – à l’époque en tout cas – de l’électricité en abondance (production deux fois supérieure à la consommation domestique) et à bas coût (4 centimes de dollar par kilowatt heure au mois de mars, soit moitié moins que la Chine et un tiers du prix de l’électricité aux Etats-Unis).

Mais l’afflux soudain de mineurs a changé la donne. Habituellement, le pays connaît une augmentation de la consommation de l’ordre de 3% chaque année, mais avec l’arrivée des mineurs, l’augmentation est de 8% en 2021, d’après le Financial Times. Le réseau électrique du Kazakhstan est surchargé, entraînant une pénurie d’électricité qui touche tout le pays. En octobre, les trois plus importantes centrales à charbon ont dû être fermées en urgence. Le sud du Kazakhstan, la partie la plus pauvre du pays en termes de couverture énergétique, est aussi le plus affecté par la pénurie.

La faible stabilité du réseau électrique commence à peser sur l’activité de minage qui subit en quelque sorte le principe de l’«arroseur arrosé». Autre contrainte subie par les mineurs: les troubles sociaux qui découlent de la crise énergétique ont incité le gouvernement à restreindre l’accès à internet – et ce afin d’éviter la constitution de groupes d’oppositions via les réseaux sociaux.

Ces restrictions compliquent encore davantage l’activité des mineurs dont certains vont devoir se résoudre à quitter le Kazakhstan et déplacer leurs fermes aux Etats Unis – c’est en tout cas le souhait de mineurs tels que BIT Mining et Canaan. Suite à l’éviction des mineurs de Chine, la part de marché des Etats-Unis a grimpé à 35%. Elle pourrait donc continuer à grimper après ces événements au Kazakhstan – même si la migration de fermes devrait être beaucoup moins importante que dans le cas des événements chinois l’été dernier.   

Certes, le gouvernement Kazakh a décidé de durcir le ton. Mais il a surtout dans son viseur les mineurs illégaux. Il en existe en effet deux catégories de mineurs: ceux enregistrés par le gouvernement et les illégaux. D’après le Financial Times, le gouvernement a attribué cette pénurie à une augmentation du nombre de mineurs qui ne sont pas enregistrés. Une taxe va donc être introduite sur la consommation d’électricité par les mineurs, ce qui va permettre au gouvernement de différencier les mineurs officiels de ceux qui travaillent dans l’illégalité, mais aussi apporter une manne financière supplémentaire pour investir dans le réseau électrique. Contrairement aux chinois, le gouvernement Kazakh ne semble pas enclin à chasser de son territoire une activité qui contribue à la croissance du PIB. Le pays s'attend à ce que le minage de cryptographie ajoute 1,5 milliard de dollars à son économie au cours des cinq prochaines années. Un chiffre qui pourrait devenir encore plus important si les illégaux s’officialisent et si le Kazakhstan est en mesure de garder ses «fermiers».

Quelles conséquences pour le prix bitcoin?

Il existe tout d’abord des implications à court terme pour le prix du bitcoin qui a fortement chuté (-12%) depuis le début de l’année. Même si d’autres raisons sont évoquées pour expliquer la baisse, il existe en effet une corrélation positive entre le «hashrate» et le prix du bitcoin. En attendant que ces fermes se relocalisent (aux Etats-Unis) ou que la situation se stabilise au Kazakhstan, le «hashrate» est en baisse et pèse sur le prix du bitcoin.

Graphique: Hahsrate total

Source; Blockchain.com

A plus long-terme se pose à nouveau la question de la surconsommation énergétique des crypto-monnaies. Le lien entre pénuries d’électricité et minage de bitcoin n’est pas restreint au Kazakhstan. En effet, l’Iran a été contraint d’interdire le minage de cryptomonnaies pendant quatre mois en 2021 pour éviter des pannes d’électricité. Le Texas, qui a connu une série de pannes l’hiver dernier, est lui aussi devenu un eldorado pour les mineurs, avec des prix bas et une réglementation souple. La forte hausse de la consommation d’électricité par les mineurs laisse craindre des coupures d’électricité similaires.

A l’ère du dérèglement climatique, la surconsommation énergétique liée au minage pourrait amener de nombreux pays à interdire les activités liées aux crypto-monnaies. En Suède, des institutions ont demandé à l’Union européenne de bannir le minage.

Cependant, des solutions apparaissent. Des projets de fermes de minage alimentées par des panneaux photovoltaïques sont à l’étude, notamment du côté de Square, l’entreprise de Jack Dorsey, ex-PDG de Twitter. Cowa, la plus grande ferme de minage en Europe et localisée en Norvège, est alimentée à 100% par l’énergie hydro-électrique.  

Depuis sa création en 2009, le bitcoin est passé par de très nombreuses crises et des crash spectaculaires (cf. tableau ci-dessous). La crise Kazakh crée en effet de nouveaux risques mais aussi des opportunités.

Graphique: historique des baisses du bitcoin depuis septembre 2010

Source: Charlie Bilello

A lire aussi...