L’effet ketchup

Charles-Henry Monchau, Syz

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Il est envisageable de voir l’offre s’ajuster de manière simultanée sur les différentes causes de congestion. Et de ce fait offrir un bol d’air inespéré à la situation inflationniste. 

L’inflation fait très certainement partie des termes les plus recherchés sur le moteur Google en 2021. Combien d’articles n’ont-ils pas été écrits à ce sujet cette année, alors que l’on pensait il y a encore quelques mois que ce mot (ou ces maux comme vous préférez) avai(en)t bel et bien disparu du lexique des termes économiques.  

Comme il a déjà été maintes fois expliqué, les niveaux élevés de prix atteints des deux côtés de l’Atlantique proviennent à la fois d’un choc de demande (une reprise bien plus forte que prévue) et d’un choc au niveau de l’offre. Concernant cette dernière, nous avons pu constater cette année que le COVID-19 a eu un impact majeur sur l'efficacité des chaînes d'approvisionnement dans le monde entier. En raison de la pandémie, les chaînes d'approvisionnement ont dû faire face à l'apparition d'un nombre considérable de goulets d'étranglement qui entrainent des pénuries et des retards de livraison. Avec pour conséquence une hausse des prix.

Nous classifions ces fameux «supply bottlenecks» en quatre catégories distinctes: celles qui sévissent au niveau des chaines de production (usines automobiles, semiconducteurs, etc.), les contraintes liées au transport et à la logistique, les pénuries de main d’œuvre et enfin le déséquilibre d’offre au niveau des ressources énergétiques (pétrole, gaz naturel, etc.).

Plusieurs dirigeants de grandes entreprises automobiles et industrielles ont diffusé des messages rassurants sur la production au quatrième trimestre.

Mais alors que les chiffres de l’inflation ont continué d’affoler les compteurs ces dernières semaines, on constate quelques développements encourageants concernant les contraintes sur l’offre.

Concernant la première catégorie citée, plusieurs dirigeants de grandes entreprises automobiles et industrielles ont diffusé des messages rassurants sur la production au quatrième trimestre. Toyota, par exemple, vient d’annoncer ses objectifs de production pour décembre qui semblent en nette progression par rapport aux mois précédents, grâce notamment à un meilleur approvisionnement de semiconducteurs. Une tendance qui a également été confirmée par le géant américain General Motors.

En ce qui concerne les transports et la logistique, l’indice «Baltic Dry Index» – qui reflète le coût de transport maritime des biens à l’exportation – avait littéralement explosé à la hausse depuis la fin de l’année dernière. Il s’inscrit en net recul sur les 5 derniers mois (cf. graphique ci-dessous). A noter également une volonté politique de fluidifier le transport des marchandises. Aux Etats-Unis, la Maison Blanche a exprimé son souhait de voir tourner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 les sociétés de livraison FedEx et UPS. Même traitement pour le très congestionné port de Los Angeles.  

L’indice Baltic Dry Index est au plus bas depuis 5 mois

Source: Bloomberg

Sur le marché du travail, les chiffres américains ne laissent pas encore paraitre d’amélioration de la demande car le nombre de postes ouverts reste toujours très supérieur au nombre de demandeurs d’emploi. Le dernier rapport JOLTS a toutefois laissé transparaitre une très légère détente. Une chose est certaine: une partie des non-actifs sera bientôt forcée de revenir sur le marché du travail une fois les chèques du programme de soutien post-covid échus. Une détente au niveau de la disponibilité des demandeurs d’emploi est donc à prévoir. Cette situation est également de mise en Europe.

Reste l’énergie. Les cours du pétrole et du gaz naturel sont en recul par rapport au pic de l’automne mais demeurent élevés. La situation offre-demande pour l’or noir reste en déséquilibre défavorable (pénurie d’environ 2 millions de barils jour). Les Etats-Unis et le Japon viennent d’annoncer vouloir aller puiser dans leurs réserves stratégiques – une mesure qui sera sûrement insuffisante pour remédier aux problèmes structurels auxquels fait actuellement face cette industrie (désinvestissements des énergies fossiles pas suffisamment compensés par les sources d’énergie propres et/ou alternatives). Seules des volontés politiques (exemple: davantage de production de la part de l’OPEP) pourraient permettre de rééquilibrer l’offre par rapport à la demande. A moins que la reprise économique soit moins vigoureuse que prévue…

Quoi qu’il en soit, un bon nombre de ces goulets pourraient en fait se résorber quasiment au même moment. Ce qui nous fait penser à ces moments épiques où nous tentons de faire sortir le ketchup de sa bouteille. Dans un premier temps, rien ne sort. Le ketchup, fluide à viscosité élevée, a du mal à s’écouler sauf s’il est suffisamment sous pression. Dès lors, le ketchup jaillit et on se retrouve parfois avec plus de condiment qu’il n’en faudrait dans l’assiette.  

Une amélioration de la situation de l’offre combinée à ces tendances séculaires devrait bel et bien contribuer à une normalisation progressive de l’inflation dès l’année prochaine.

Tel pourrait être le cas pour l’offre de semiconducteurs, de main d’œuvre et des moyens de transport. Il est tout à fait envisageable de voir l’offre s’ajuster de manière simultanée sur les différents pans de l’économie qui font actuellement face à des problèmes de congestion. Et de ce fait offrir un bol d’air inespéré à la situation inflationniste.  

Ces probables améliorations au niveau de l’offre corroborent le scénario macro-économique de la Banque Syz pour 2022: celui d’une normalisation progressive de la croissance et du taux d’inflation. En effet, nous continuons de penser qu’au-delà des ajustements liés à la situation exceptionnelle de la pandémie, l’évolution générale des prix va faire face aux mêmes vents contraires qui étaient en place avant le Covid, c’est-à-dire les 3 «D» – démographie, digitalisation et dette – des facteurs dont l’impact déflationniste est avéré.

Même dans notre scénario d’une demande globale qui reste soutenue, une amélioration de la situation de l’offre combinée à ces tendances séculaires devrait bel et bien contribuer à une normalisation progressive de l’inflation dès l’année prochaine.

Attention toutefois à un possible trouble-fête, qui s’avère être l’élément à l’origine des déséquilibres actuels: le covid et les confinements qu’il impose. Comme nous avons malheureusement pu le constater ces derniers jours, la forte hausse des cas en Europe et aux Etats-Unis fait craindre de nouveaux confinements. Ces derniers pourraient de nouveau mettre à mal les chaines d’approvisionnement et annihiler une partie des efforts consentis.

Espérons qu’il ne faudra pas secouer la bouteille trop longtemps…

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