Bonnes nouvelles – Weekly note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

7 minutes de lecture

Il y a bien des choses positives à dire sur l’économie mondiale.

Bien que la situation sanitaire liée à la deuxième vague de la pandémie soit préoccupante dans de nombreux pays, nous souhaitons mettre l’accent sur quelques bonnes nouvelles. Par exemple, félicitons Joe Biden, le prochain président des États-Unis, qui fête aujourd’hui ses 78 ans. Il a un long chemin à parcourir, et c’est avec impatience que nous attendons ce qu’il va faire.

Mais il y a encore plus captivant: la réponse à la question de savoir pourquoi le marché haussier est un marathon, qui nous réserve encore plusieurs étapes intéressantes. Et il y a également bien des choses positives à dire sur l’économie mondiale.

En tout cas, nos recommandations pour le week-end sont 100% relaxantes. Découvrez deux nouvelles étoiles au firmament culturel: le roman magistral de Willi Wottreng «Jenische Reise» et le nouveau CD émouvant du groupe culte londonien «Faithless», peut-être le meilleur de ses vingt ans de carrière.

1. Potentiel supplémentaire: les phases classiques des marchés haussiers

Désorientés, bon nombre d’investisseurs se demandent comment les marchés se portent actuellement, comment les évolutions passées et futures sont liées, combien de temps durera le rallye boursier, ou encore ce qui pourrait se passer ensuite. Autant de questions fondamentales. Bien qu’il ne soit possible de répondre que par des approximations, nous décelons encore du potentiel, car les marchés haussiers ressemblent plus à un marathon qu’à un sprint.

Examinons donc le cosmos des «marchés financiers» sous trois angles : 1) avec humour, 2) d’un point de vue chronologique, sur la base d’un modèle de quatre phases, et 3) selon notre analyse traditionnelle des revirements des marchés.

Première perspective: clin d’oeil de Kallaugher

Kevin Kallaugher («KAL»), artiste multi-primé et finaliste du prix Pulitzer 2020 de la caricature politique, qui dessine pour le magazine The Economist depuis plus de 40 ans, a imaginé en 1997 une caricature subtile de la psychologie boursière, représentant avec habilité la circulation de l’information dans une ambiance agitée et montrant comment de petits malentendus relevant du «téléphone arabe» peuvent avoir parfois de graves retombées. Surtout lorsqu’un individu transfère ses émotions à un groupe et déclenche des mouvements grégaires, voire de fortes exagérations. Kallaugher a mis ainsi en évidence qu’une simple remarque était susceptible d’induire des renversements de tendance lourds de conséquences.

Ce dessin iconique réunit tous les ingrédients d’une bonne caricature: humour, exagération et réduction à l’essentiel:

Deuxième perspective: les quatre phases des marchés haussiers

Un examen plus approfondi des marchés haussiers permet d’identifier un schéma particulier qui comporte souvent quatre phases caractéristiques:

Phase 1: pessimisme («Nous ne sommes pas encore sortis de la crise.»)

Phase 2: scepticisme («La crise serait-elle déjà surmontée?»)

Phase 3: acceptation («OK, il n’y a pas d’alternative de toute façon.»)

Phase 4: confiance et euphorie («C’est le moment ou jamais d’investir! À ne pas rater!»)

Cette succession de phases nous rappelle-t-elle notre propre expérience ? Peut-être. Car il est bien connu que les marchés boursiers sont façonnés par des émotions, des craintes, des espoirs ou des projections. Mais aussi par des «nouvelles et de fausses nouvelles», comme l’illustre la caricature très animée de KAL. Mais lorsque les voix des individus s’élèvent en choeur, on observe souvent l’apparition de phases typiques dont les investisseurs visionnaires peuvent certainement tirer profit.

Si l’on compare le rallye boursier actuel avec les quatre phases de l’évolution du précédent marché haussier (de 2009 à 2019), de nombreux éléments indiquent que nous nous trouvons pour l’instant dans la deuxième phase, celle du «scepticisme», ce qui se conçoit parfaitement au vu de la deuxième vague de la pandémie. Le graphique 2 illustre les quatre phases du dernier grand marché haussier.

  • Phase 1: pessimisme (2009 – 2011). Dans une certaine mesure, cette première phase a trouvé son origine dans l’heure la plus sombre de la grande crise financière, en mars 2009, alors que le S&P 500 avait chuté à 676 points et que le SMI suisse affichait 4307 points. Elle a été suivie par un redressement très inattendu des actions, dans un contexte de faibles volumes de transactions, et ce redressement n’a été relayé qu’une fois la crise de l’euro surmontée (2011).
  • Phase 2: scepticisme (2011 – 2012). La deuxième phase de la reprise a été marquée par un scepticisme généralisé parmi de nombreux investisseurs. Rien de surprenant à cela au vu de la rapidité à laquelle la crise de l’euro a succédé à la grande crise financière. Néanmoins, en dépit du scepticisme général, la reprise conjoncturelle naissante a induit une baisse des taux d’intérêt directeurs à des niveaux extrêmement bas. On a alors observé une vague de rachats d’actions.
  • Phase 3: acceptation (2012 – 2015). La reprise de l’économie et des marchés boursiers sur trois ans a convaincu les investisseurs qu’ils avaient affaire à un marché haussier. Cette évolution a été interrompue par le choc du franc en janvier 2015, puis par l’effondrement des prix du pétrole et enfin par les craintes d’une récession imminente (qui ne s’est pas concrétisée). Une correction notable a suivi.
  • Phase 4: confiance (2016 – 2020). Après que les revers de 2015 se sont révélés temporaires, les marchés boursiers mondiaux ont repris leur envol, soutenus par une augmentation des rachats d’actions. L’économie était florissante et l’espoir de voir les cours atteindre des sommets inédits s’est largement répandu. Mais comme chacun le sait, la pandémie et les mesures de confinement ont déclenché la récession la plus courte et l’effondrement le plus rapide des marchés financiers, suivi par leur reprise la plus foudroyante de l’histoire d’après-guerre.

Et où nous situons-nous à présent? Il semble que beaucoup de choses se déroulent en accéléré cette année: la récession, le redressement des marchés boursiers ou encore le développement étonnamment rapide des vaccins. Ce rythme laisse penser que la phase pessimiste de la première reprise est déjà derrière nous et qu’une brève hausse succède à nouveau à une baisse de courte durée. Cela paraît plausible. Et qui sait: peut-être que la «phase de scepticisme» est proche de son terme elle aussi, ce qui semble toutefois moins probable au vu des niveaux élevés de liquidités des investisseurs, mais néanmoins possible.

Quoi qu’il en soit, bon nombre de facteurs indiquent qu’au moins deux grandes phases de hausse nous attendent. Examinons à cet égard nos indicateurs fondamentaux annonçant les revirements des marchés financiers.

Troisième perspective: indicateurs fondamentaux des marchés boursiers

Sur la base de 14 indicateurs précoces, notre modèle a, par le passé, annoncé les pics des marchés haussiers environ trois à six mois à l’avance. Le tableau 1 présente la situation actuelle: le feu est (encore) vert.

2. Commerce et changement: des signes positifs pour l’économie mondiale

Commençons par la mauvaise nouvelle: la deuxième vague de pandémie fait à nouveau payer un lourd tribut économique à l’État, à la conjoncture et à la société. C’est indéniable. Le quatrième trimestre constituera un nouveau défi pour les secteurs déjà durement touchés du tourisme, de la restauration, du sport et de la culture. Mais il y a aussi des lueurs d’espoir, et pas seulement dans le domaine de la santé: le changement structurel rapide de l’économie ainsi qu’une nouvelle ère de politique budgétaire et monétaire laissent envisager les choses sous un meilleur jour. Étudions cinq aspects à titre d’exemple:

1. Un Noël sous le signe de la soif de consommation et des liquidités records

Nous ne devrions jamais sous-estimer le pouvoir de la culture de la consommation. Les gens achètent quand ils sont heureux - et quand ils sont tristes, car le shopping fait secréter l’hormone du bonheur, la dopamine, ce qui «booste» les consommateurs ou chasse le blues. Et il y a plus encore: acheter en ligne procure un double plaisir, d’abord en cliquant, puis en recevant la commande.

Bien entendu, il faut de l’argent ou un crédit pour pouvoir dépenser. Mais il y a une bonne nouvelle pour l’économie: le secteur privé, ou du moins les classes de revenu disposant d’un pouvoir d’achat, possèdent actuellement des réserves de liquidités records résultant des paiements de transfert et de l’épargne accumulée pendant les périodes de confinement, comme le montrent les chiffres du graphique 3 concernant les États-Unis.

Pendant la période de Noël, les clients devraient donc être nombreux cette année également, que ce soit en ligne ou hors ligne.

Encore des doutes? Alors, regardez la Chine. La semaine dernière, lors du traditionnel «Single’s Day» (journée des célibataires), les clients avides de consommation ont fait très fort. Les deux plus grands commerçants en ligne, Alibaba et JD, ont vendu à eux seuls des produits de 250'000 marques différentes (dont 31'000 marques étrangères) pour l’équivalent de 105 milliards de francs suisses (3 milliards de paquets), soit environ un tiers de plus qu’en 2019. La semaine prochaine aura lieu le «Black Friday», pendant américain du Single’s Day chinois, qui est devenu le jour où de nombreux détaillants réalisent leur chiffre d’affaires le plus élevé, en Suisse également.

2. Politique budgétaire et monétaire – bien échauffée pour la seconde mitemps?

La pandémie a introduit une nouvelle ère de politique monétaire et budgétaire. Aujourd’hui, ces deux moyens d’intervention dont disposent les gouvernements sont devenus indissociables. Ils constituent une communauté de destins. Lors de la prochaine crise, les responsables de la politique budgétaire continueront probablement à définir les paquets d’aide, et les responsables de la politiq ue monétaire les signeront. Aux États-Unis, cela correspond à la «théorie monétaire m oderne». Et il en va de même dans la zone euro, comme l’a récemment souligné la p résidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde1. Le graphique 4 illustre cette complémentarité: les dépenses budgétaires de l’État se retrouvent au débit du bilan de la Banque nationale.

3. Enfin de l’espoir dans la guerre contre le virus

Les annonces concernant deux vaccins très efficaces ont déjà stimulé les marchés. Environ 240 autres candidats vaccins sont engagés dans une course mondiale contre la montre. L’Asie du Nord a déjà maîtrisé la pandémie, du moins selon les études épidémiologiques. En outre, son économie est en plein essor et ses marchés boursiers montent en flèche.

En résumé, les investisseurs ont de bonnes raisons de croire que la reprise des marchés financiers va se poursuivre, car notre mode de vie et notre économie ne seront pas anéantis par le virus.

4. Productivité: ceux qu’on dit morts vivent plus longtemps

Il y a un phénomène qui a intrigué les statisticiens et les économistes pendant longtemps: malgré l’utilisation croissante de la «technologie intelligente», la productivité mesurée n’a cessé de baisser depuis 2002. Pourtant, toutes les récessions stimulent la productivité (le graphique 5 met en relief les phases de récession). Et il semble que ce principe s’applique tout particulièrement à cette crise.

5. RCEP: la redécouverte du libre-échange?

Après huit ans de négociations, le plus grand accord de libre-échange au monde, le Partenariat régional économique global (Regional Comprehensive Economic Partnership / RCEP), a été signé la semaine dernière, et le timing n’est certainement pas une coïncidence. Quinze pays, qui regroupent 2,2 milliards d’habitants et représentent 30% de la production économique mondiale ainsi que 28% du commerce mondial, viennent de créer la plus grande zone de libre-échange du globe. Cet accord vise à réduire les droits de douane et les quotas, et il adopte la primauté du multilatéralisme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Il s’agit également d’un tour de force politico-économique du gouvernement chinois, qui pourrait bien inverser la tendance au protectionnisme. Bien entendu, les paroles doivent toujours être suivies d’actes. Mais cela n’en demeure pas moins un grand pas vers le libre-échange et la suppression des droits de douane en Asie, tout ce qui fait le bonheur des consommateurs, des entreprises et des marchés.

3. Littérature et musique: deux nouvelles étoiles au firmament culturel

Pour la sombre saison d’hiver, je souhaite vous recommander deux étoiles qui scintillent dans le firmament de la culture: le roman aussi brillant qu’émouvant intitulé «Jenische Reise» (voyage yéniche) de l’auteur suisse Willi Wottreng2, un chef-d’oeuvre qui mériterait sans aucun doute le prochain Prix suisse du livre. En 211 pages seulement, l’écrivain relate l’histoire d’Anna, la protagoniste, qui représente un groupe ethnique nomade européen: les Yéniches. Ce récit parsemé de légendes s’étale sur mille ans, un véritable exploit littéraire.

Les lecteurs suivent le périple d’Anna à travers l’Europe, de Lorraine à la Hongrie, en passant par Anvers, Thessalonique et les profondes vallées des Alpes suisses. C’est un récit rédigé avec art et d’autant plus captivant qu’il porte sur une minorité inconnue. L’oeuvre de Wottreng est un hommage aux gens de la rue, qui vivaient dans la pauvreté, démunis de tout, mais très riches de valeurs humaines et souvent généreux. Le fait que le roman relate une fiction plutôt que des événements réellement vécus crée sa grande force, et chaque page renouvelle le plaisir de lire. «Jenische Reise» ne s’inscrirait pas à la fois dans les canons de la littérature contemporaine suisse et dans ceux de la littérature historique suisse si ce n’était pas un roman. Un roman capable de nous envoûter.

Changeons de registre: c’est avec leur premier album intitulé «Reverence» que les trois membres de «Faithless», Sister Bliss, Maxi Jazz et Rollo, ont écrit l’histoire de la musique dans les années 1990. Bien que ce groupe soit né dans la lumière stroboscopique des boîtes de nuit londoniennes, son génie musical ne laisse pratiquement aucun mélomane indifférent. Ses musiciens (le chanteur Maxi Jazz est absent du dernier CD) sont perfectionnistes et musicalement aussi symbiotiques que seuls l’étaient peut-être Paul McCartney et John Lennon avant eux.

Alors que son album «The Dance» sorti en 2010 devait être le dernier, le groupe a changé d’avis et produit «All Blessed», une oeuvre complète, qui est peut-être la meilleure: elle vous fait vibrer, vous emporte, vous donne des frissons, et vous ne pouvez pas vous empêcher de suivre le rythme inimitable de Rollo. L’enregistrement des voix puissantes exploite tout le spectre sonore des basses profondes et de la prise de son vocale. Il fait revivre l’espace musical si particulier que ces musiciens exceptionnels ont créé à Londres il y a 30 ans3.

 

1 Discours d’ouverture prononcé au Forum BCE des banques centrales: La politique monétaire dans une situation d’urgence pandémique
2 Comme d’habitude, magnifiquement édité par Bilger Verlag, Zurich, ISBN 978-3-03762-087-8, 211 pages, relié avec un ruban marque-page.
3 «All Blessed» est sorti en CD et en vinyle chez BMG. Lien vers la page d’accueil du groupe.

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