Andréa Maechler: «Tenir compte de la dynamique de l’inflation»

Yves Hulmann

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Le fait que la hausse des prix en Suisse soit plus modeste qu’ailleurs n’aurait pas justifié un statu quo jeudi, relève la membre de la direction générale de la BNS.

©Keystone

La décision annoncée jeudi matin par la Banque nationale suisse (BNS) de relever d’un demi-point son principal taux directeur a largement surpris les marchés qui s’attendaient tout au plus à un relèvement d’un quart de point - voire seulement à ce qu’elle fournisse des indications plus précises en vue de sa décision de septembre.

C’est avec calme et conviction qu’Andréa Maechler, membre de la direction de la BNS depuis 2015, est venue expliquer hier après-midi la décision de l’institut d’émission devant un parterre de spécialistes de l’investissement réunis à l’occasion des Journées de la prévoyance 2022 qui se sont déroulées mercredi et jeudi à Montreux.

Pourquoi relever d’un seul de 50 points de base ses taux en juin alors que la BNS assurait encore en mars dernier que le renchérissement n’était qu’un phénomène temporaire en ce qui concerne la Suisse, avec une prévision d’inflation conditionnelle inférieure à 1% pour 2023? Face à cette question qui était omniprésente jeudi, Andréa Maechler a comparé l’inflation de 2,9% observée en mai en Suisse non seulement par rapport à celle observée ailleurs mais a aussi insisté sur la dynamique propre de la hausse des prix en Suisse.

Certes, l’inflation dépasse les 8% aux Etats-Unis alors qu’elle reste encore inférieure à 3% en Suisse, a-t-elle admis. Toutefois, «en comparaison historique, l’inflation n’a plus été aussi élevée en Suisse depuis les années quatre-vingt, lorsque la hausse des prix était alimentée par les prix élevée du pétrole», a-t-elle mis en perspective.

éviter que l’inflation s’étende à l’ensemble des biens et services

En outre, même si l’inflation reste plus basse en Suisse qu’ailleurs, l’évolution des prix présente beaucoup de points communs avec ce que l’on observe dans d’autres pays. Si une large partie de la hausse des prix en Suisse s’explique par l’augmentation des prix de l’énergie et des coûts dus à des problèmes de livraison, il y a divers facteurs qui contribuent au renchérissement. «En Suisse aussi, l’inflation s’observe désormais dans une large palette de biens et services», observe-t-elle. Et c’est précisément cette tendance que la BNS entend contrer.

La hausse des coûts des transports complique la donne

Deux événements sont venus passablement compliquer la donne ce printemps, argumente-t-elle. D’une part, il y a la bien sûr la guerre en Ukraine qui renforce les coûts non seulement de l’énergie mais aussi de toutes sortes de matières premières. D’autre part, il y a eu les mesures de reconfinement mises en place par la Chine durant l’hiver et au printemps qui ont empêché une détente de la situation dans le domaine des transports et de la gestion des chaînes d’approvisionnement. A titre d’exemple, le transport d’un conteneur de 40 pieds coûte entre l’Asie et l’Europe désormais 10'000 dollars, comparé à 200 dollars avant la pandémie de COVID-19. La situation ne va-t-elle pas se corriger d’elle-même au fur et à mesure que la Chine assouplit ses mesures de confinement? Cela pourrait contribuer à améliorer la situation, admet Andréa Maechler – qui s’empresse de pointer du doigt un autre aspect, celui de l’évolution des salaires.

Un marché du travail toujours tendu

Avec un taux de chômage situé à 3,6% aux Etats-Unis en mai et alors qu’il n’atteint plus que 2,1% en Suisse, le niveau de sans-emploi se situe à l’un de ses plus bas niveaux historiques dans plusieurs pays. «Ce n’est bien sûr pas négatif en soi mais cela enlève une partie de la marge de manœuvre dont disposent les entreprises lorsqu’elles doivent recruter», observe Andréa Maechler. En corollaire, il y a une forte hausse des salaires nominaux dans certains pays – aux Etats-Unis, elle se situe entre 6 et 7%, tandis qu’elle est d’environ 2,5% dans la zone euro.

Compte tenu de tous ces éléments, la question n’est pas seulement de savoir à quel niveau l’inflation se situe actuellement mais aussi de tenir compte de la dynamique de l’évolution des prix, a-t-elle mis en perspective.

La force du franc, un rempart suffisant contre l’inflation?

La force du franc, qui contribue à réduire les coûts des biens importés, ne suffirait-elle pas à limiter les risques d’une envolée de l’inflation en Suisse, pour peu que l’on laisse la monnaie helvétique s’apprécier un peu plus? A ce sujet, Andréa Maechler relève le fait que le franc suisse n’a pas autant joué son rôle de monnaie refuge depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine comme cela a été le cas dans le contexte d’autres crises. La BNS est prête à agir à la fois contre une trop forte appréciation du franc – mais aussi contre une trop forte dépréciation du de la monnaie helvétique, a-t-elle jugé utile de préciser.

Jeudi, la devise helvétique a regagné du terrain face la monnaie européenne, s’appréciant momentanément à 1,0131 franc par euro en milieu d’après-midi, comparé à 1,0380 franc par euro en début de matinée avant l’annonce. Quel est le nouveau seuil de tolérance de la BNS concernant le franc? «Passons à la prochaine question», s’est contenté de répondre Andréa Maechler.

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