BNS: attendre en juin, puis frapper fort en septembre?

Yves Hulmann

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Dans l’attente de l’annonce qui sera effectuée jeudi par la Banque nationale suisse, les avis des économistes divergent à propos du rythme du relèvement de ses taux.

De gauche à droite, Fritz Zurbrügg, Thomas Jordan et Andréa Michaela Maechler

Depuis maintenant sept ans, le rituel semblait presque immuable. A chacune de ses présentations, la Banque nationale suisse (BNS) réaffirmait, à quelques nuances près, que le franc suisse était fortement surévalué, justifiant le maintien de son taux de référence à -0,75%. Compte tenu de l’accélération de l’inflation helvétique bien au-delà de la fourchette de 0 à 2% visée ainsi que du ton nettement plus agressif adopté par la Banque centrale européenne (BCE) récemment quant à un resserrement prochain de sa politique monétaire, la décision communiquée jeudi par la BNS sera suivie avec beaucoup plus d’attention que d’habitude.

Dans l’immédiat, la plupart des économistes s’accordent sur un point: la croissance de l’économie suisse reste robuste, tandis que la forte hausse de l’inflation, bien que largement supérieure à 2% actuellement, devrait rester un phénomène temporaire en Suisse. Pour GianLuigi Mandruzzato, senior economist chez EFG Bank, «l’économie suisse s’est montrée résiliente jusqu’ici en dépit des vents contraires qui caractérisent l’économie mondiale, tout en subissant des pressions inflationnistes modérées.» Il constate ainsi que la Suisse a jusqu’à présent bien résisté aux multiples chocs qui ont frappé l'économie mondiale.

L’inflation devrait redescendre à 1% en 2023

Côté inflation, l’indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 2,9% en mai en rythme annuel, un niveau qui n’avait plus été observé depuis la crise financière globale. Toutefois, observe l’économiste, une grande partie de l'inflation totale résulte de l'augmentation des prix des biens importés, allant de l’énergie aux denrées alimentaires en passant par le prix des voitures. Sans ces facteurs, la hausse des prix est beaucoup plus modeste: «Hors alimentation et énergie, l'inflation sous-jacente reste confortablement sous le seuil de 2%, et il en va de même pour les prix à l’intérieur du pays ceux qui sont les plus sensibles aux décisions de la Banque nationale suisse (BNS). En mars, la BNS a prévu que l'inflation augmenterait temporairement en 2022, puis reviendrait vers 1% en 2023 et 2024», relève GianLuigi Mandruzzato. Par ailleurs, le niveau du franc, toujours fortement évalué, limite les risques d’une envolée de l’inflation.

Préparer les marchés à une action ultérieure

«Etonnamment, dans ce contexte, le taux de change du franc suisse s'est affaibli malgré son statut de monnaie refuge. Cela reflète probablement l'attente du marché selon laquelle la BNS relèvera ses taux plus tard et moins que les autres banques centrales, y compris la BCE. Une telle tendance ressemblerait à ce qui s'est passé dans les périodes passées de forte inflation, alimentée par les prix des matières premières, à la fin des années 1970 et juste avant la crise financière globale en 2008», analyse GianLuigi Mandruzzato. Qu’anticipe-t-il alors pour la réunion de la BNS le 16 juin? «Dans l'ensemble, la BNS laissera probablement ses taux d'intérêt inchangés jeudi et pourrait signaler un resserrement de sa politique plus tard dans l'année», prévoit-il.

Gero Jung, économiste en chef chez Mirabaud Asset Management, doute aussi que la BNS annonce un premier tour de vis dès jeudi. «Il est très improbable que la BNS annonce un relèvement de ses taux déjà cette semaine», juge-t-il. Deux raisons principales s’y opposent: d’une part, le franc reste – aux yeux de la BNS - fortement évalué, ce qui limite la pression inflationniste en Suisse. D’autre part, il n’y a pas de risque immédiat de dérapage des prix en Suisse, même si l’inflation devrait dépasser les 2% jusqu’à la fin de 2022, estime Gero Jung. «Dans sa prévision d’inflation conditionnelle de mars dernier, la BNS s’attendait à ce que celle-ci redescende à 0,9% en 2023, puis se maintienne à ce niveau en 2024», observe-t-il.

Une attitude très «faucon» de la BCE est déjà intégrée dans les prix.

Si la BCE relève ses taux au cours de l’été, la BNS ne sera-t-elle pas contrainte de suivre ce mouvement, voire de l’anticiper? Gero Jung estime, s’agissant de la BCE, que les marchés intègrent déjà une politique agressive de resserrement de taux jusqu’à la fin de l’année. «Actuellement, les marchés anticipent une hausse de 170 points de base des taux de la BCE jusqu’à la fin de cette année. Cela correspondrait à de multiples hausses de taux, y compris des hausses de 50 points de base», met-il en perspective. «Une attitude très faucon de la part de la BCE est déjà intégrée dans les prix», relève-t-il. Or, estime l’économiste, il n’est pas du tout certain que la BCE resserre ses taux aussi fortement jusqu’à la fin de cette année. «Je pense que la BCE se montrera moins faucon que ce que les marchés anticipent actuellement. En Europe - contrairement aux Etats-Unis - la hausse des salaires reste beaucoup plus modeste, et la BCE ne souhaite pas répéter la même erreur que celle commise juste avant la crise de la dette européenne, quand elle avait remonté ses taux en 2011. La BCE a tout sauf envie de se voir reprocher d’avoir tué la reprise économique en cours», fait remarquer Gero Jung.

Précéder la BCE plutôt que de la suivre?

Pour mettre fin au régime des taux négatifs en place depuis 2015, la Banque nationale suisse (BNS) aurait besoin de relever ses taux de 0,75%. Elle pourrait le faire en procédant, à trois reprises, à une hausse des taux de 0,25% lors de ses trois prochaines réunions de juin, septembre et décembre. La BNS pourrait toutefois aussi préférer attendre dans un premier temps, puis rehausser ses taux de 50 points de base dès septembre. C’est le scénario envisagé par UBS qui estimait en début de semaine que la BNS pourrait passer un tour en juin mais relever ses taux directeurs de 0,5% en septembre, puis de 0,25% en décembre.

Ne rien faire en juin, puis agir plus fortement en septembre est aussi un scénario envisagé par Stefan Gerlach, chef économiste chez EFG Bank. «La BNS pourrait préférer attendre avant d’agir dans un premier temps, puis augmenter ses taux de 50 points de base ultérieurement dans l’année», met-il en perspective. Le maintien du statut quo ce jeudi risque cependant de placer la BNS dans une situation délicate plus tard dans l’année: «Si la BNS ne fait rien maintenant, elle pourrait être mise sous pression d’agir au moment où la BCE annoncera un premier relèvement de ses taux», considère-t-il.

Une meilleure «Forward Guidance» attendue

Du côté de Credit Suisse, Claude Maurer, chef économiste pour la Suisse, ne s’attend pas à une surprise jeudi. En revanche, il espère de la BNS fournisse une «Forward Guidance» claire sur la manière dont les choses se dérouleront au cours des prochains mois», a déclaré l’économiste lors de la présentation du «Moniteur Suisse» pour le deuxième trimestre 2022. Selon lui, il est temps que la BNS communique dès à présent quel sera le chemin vers une normalisation de sa politique monétaire.

Quant à l’évolution de l’inflation elle-même au cours des prochains mois, Credit Suisse estime aussi que l’accélération des prix observée ces derniers mois restera un phénomène temporaire, du moins en ce qui concerne la Suisse. Après une inflation moyenne de 2,3% attendue en Suisse cette année, celle-ci redescendra à 1% en 2023, a indiqué mardi la banque dans ses prévisions. L’estimation de croissance pour le produit intérieur brut (PIB) reste maintenue à 2,5% en 2022, suivie de 1,6% en 2023. La croissance restera soutenue notamment par la consommation privée qui progressera de 4% cette année, puis de 1,6% l’an prochain. L’occasion pour les économistes de Credit Suisse de relativiser aussi l’impact de la hausse des prix sur la consommation: depuis 1982, une hausse de 1% du taux d’inflation n’a entraîné, en moyenne, qu’une une réduction de la consommation située entre 0,11% et 0,13%, a calculé la banque. Globalement, Claude Maurer n’anticipe pas de récession mais plutôt un ralentissement de la croissance.

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