Un risque accru de récession aux Etats-Unis

Nicolette de Joncaire

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L’assouplissement des contraintes réglementaires par l’administration Trump a compromis la solidité d’un pan de l’industrie bancaire. Entretien avec Yves Bonzon de Julius Baer.

La crise de 2008 est encore fraiche dans les mémoires. Pourtant, à aucun moment, n’avait-on assisté à une vitesse de propagation aussi stupéfiante qu’au lendemain des difficultés de la Silicon Valley Bank (SVB). Une propagation qui a d’abord atteint les banques régionales américaines puis s’est étendue jusqu’ici avec la débâcle de Credit Suisse. Aucune perception de risque systémique dans le secteur bancaire avant le 8 mars puis une inflammation immédiate dès que les difficultés de SVB sont apparues. Où en sommes-nous et qu’apporteront les prochains mois? Entretien avec Yves Bonzon, CIO de Julius Baer.

Juste pour mieux comprendre: que s’est-il passé aux Etats-Unis?

Le cœur du problème n’est pas uniquement SVB. La crise est venue de deux phénomènes sans relation apparente. L’extraordinaire explosion du capital-risque pendant la crise du covid d’une part et l’assouplissement de la réglementation sur les banques systémiques survenu en 2018 sous l’administration Trump de l’autre. Pour ce qui est des montants investis en «venture capital», rappelons seulement qu’ils sont passés de 1,5% du PIB US à 4% en deux ans grâce aux gigantesques montants créés par la Réserve fédérale et à leur généreuse distribution aux agents économiques pendant la pandémie, autrement dit à la «monnaie hélicoptère».  Actrice dominante de cet univers des start-ups, SVB a vu ses dépôts tripler en 2 ans (2020-2021). Comme la banque avait acheté des papiers obligataires à longue durée, elle s’est trouvée prise de court à devoir transformer des maturités dans des proportions anormales lorsque les taux sont montés et était, visiblement, dépourvue d’une solide stratégie de couverture du risque de taux. Par ailleurs, la modification apportée au Dodd-Frank Act par l’administration Trump en mai 2018 a considérablement accru les risques du secteur bancaire américain, en faisant passer de 50 à 250 milliards le seuil au-delà duquel un établissement était considéré comme «systémique» et ainsi contraint aux ratios prudentiels renforcés du Dodd-Frank Act. De ce fait SVB est passée sous le radar et exemptée des contrôles de liquidités adéquats. Cette faiblesse réglementaire affecte un nombre important de banques régionales. Lorsque le marché a pris conscience de cette vulnérabilité, on a pu observer une fuite des capitaux vers les banques plus importantes dotées de ratios prudentiels solides.

En dehors du cas de Credit Suisse qui était le «maillon faible», le système bancaire européen est moins rentable mais parait plus solide.
Pourquoi la Fed a-t-elle continué à élever les taux dans ce contexte?

Il est effectivement difficile de comprendre comment la Fed a pu continuer à augmenter les taux alors qu’une banque d’une valeur de plus de 200 milliards, placée sous sa supervision, était en danger. Car il s’agit tout de même de la 3e faillite bancaire des Etats-Unis en termes de taille. Si pour combattre l’inflation à court terme, la banque centrale déséquilibre le système bancaire, ce n’est pas une solution. Mais il faut rappeler que nous sommes sortis de la crise covid avec un secteur privé plus riche qu’avant la pandémie et qu’il est difficile de contrôler l’inflation avec les seuls taux d’intérêt lorsque le surplus d’épargne dû aux subventions covid bat encore tous les records et que les réserves non dépensées rendent le resserrement monétaire peu efficace. En outre, la taille du système financier, disproportionnée avec l’économie réelle à cause de la financiarisation, pèse lourd dans la balance.

Quelle probabilité de récession aux Etats-Unis?

Les turbulences bancaires vont générer un resserrement automatique des conditions monétaires. Mais, même les banques centrales ne savent pas de combien. On pourrait même craindre que si le système bancaire se déstabilise, la déflation se profile à l’horizon. Le risque de de récession aux Etats-Unis a donc notablement augmenté à cause de la crise des banques régionales et du resserrement qu’elle induit. Rappelons que ce sont ces mêmes banques régionales – dont la fragilité est maintenant révélée –, qui ont contribué à l’essentiel de la croissance de l’immobilier commercial, un segment compromis aujourd’hui par le shift des consommateurs vers l’achat online. Sans même envisager une crise bancaire plus vaste, entre vulnérabilité du financement des start-ups et fragilité de l’immobilier commercial, le choc sur l’économie peut être sérieux. Pour qui a investi dans les fonds immobiliers, il est à notre sens temps de sortir.

Et en Europe?

En dehors du cas de Credit Suisse qui était le «maillon faible», le système bancaire européen est moins rentable mais parait plus solide. Les risques sont moindres qu’aux Etats-Unis car la réglementation y est plus stricte. La panique provoquée par une transaction sur le CDS de Deutsche Bank la semaine dernière a été prise très au sérieux par le Conseil de stabilité financière et par la BCE. Des mesures concernant le traitement des trades sur CDS sont à attendre.

Qu’attendre de la dépréciation des AT1 et des Cocos de Credit Suisse?

La classe d’actifs offre une prime de risque généreuse mais il est nécessaire de bien diversifier les positions. En raison du resserrement des conditions bancaires et de la hausse du risque de récession, il faut également diminuer les positions sur les obligations high yield: le spread se situe actuellement autour de 5% mais peut dépasser 8% en cas de récession.

Est-il justifié de continuer à hausser les taux d’intérêt compte tenu des montants exorbitants de dette publique?

Le dilemme est aujourd’hui entre inflation et stabilité financière d’un côté, inflation et équilibre économique de l’autre. Les taux ne peuvent être plus élevés que la croissance du PIB sinon il n’y plus de place pour refinancer la dette publique. Un peu d’inflation, c’est bon pour diluer cette dette publique mais point trop n’en faut. On peut estimer que la nouvelle norme se situera autour de 3% car, avec les chocs d’offre créés par la nouvelle donne géopolitique, il est difficile d’envisager un retour aux 2% longtemps visés par les banques centrales. La longue (trop longue?) répression financière suivie de la récente croisade menée pour tuer la poussée inflationniste, peut avoir engendré des dégâts trop importants. Les banques centrales vont devoir revoir leur copie.

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