Le cycle haussier est reparti

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

«Nous assistons en vérité non à une baisse généralisée des cours mais à une dispersion des performances» affirme Yves Bonzon de Julius Baer.

L’année a été difficile. Les marchés financiers ont atteint leur point le plus haut le 4 janvier et depuis, ce fut la chute … puis la dégringolade. Mais alors que le consensus parait tabler en faveur d’une récession dans les prochains mois, Yves Bonzon, CIO de Julius Baer, se montre étonnamment optimiste. Selon lui, le nouveau cycle haussier pourrait bien avoir commencé le 13 octobre.

La Fed vient d’augmenter les taux. Qu’en attendez-vous?

Les taux sont à 4% comme attendu et une augmentation de 50 points de base supplémentaires en décembre n’étonnerait personne. En début d’année prochaine, c’est surtout le rythme du resserrement quantitatif qu’il faudra suivre de très près.

«Certes les FAANMG déçoivent mais leurs difficultés dépassent largement les éléments conjoncturels.»
Le sentiment général est très négatif. Quel est le vôtre?

Je suis bien plus optimiste que le «sentiment général». A mes yeux, un nouveau cycle haussier des actions a commencé le 13 octobre. Enfin, disons plutôt que nous estimons à 70% la probabilité qu’un cycle haussier ait déjà démarré et entre 20 et 30% les chances d’une récession. Certes les FAANMG déçoivent mais leurs difficultés dépassent largement les éléments conjoncturels. Leurs dépenses d’investissement ont explosé – Google a engagé 13'000 collaborateurs supplémentaires, Meta engloutit des dizaines de milliards dans le métavers et Amazon dans la logistique – et leur free cash-flow s’est rétréci avec une réduction évidente de leurs valorisations. Elles se sont elles-mêmes infligées la baisse de leurs profits. Pendant que l’attention se focalise sur Meta et ses consœurs, les résultats d’un très grand nombre de sociétés sont au-dessus des attentes. Regardez Caterpillar par exemple! Ce auquel nous assistons en vérité n’est pas une baisse généralisée mais une dispersion des performances. Tout le monde attend la grande capitulation mais elle ne se produira pas. Et les investisseurs privés ont compris qu’avec l’inflation, le cash n’est pas une solution. A 5 ans, la seule protection possible se trouve dans les actifs réels, revalorisés par la fin des taux zéro. Reste que le market timing n’est pas aisé: que le S&P ait perdu 25% ne garantit pas qu’il va rebondir avec le même élan.

Est-ce donc la fin de la répression financière?

Fin des taux zéro ne signifie pas fin de la répression financière. Les taux nominaux resteront relativement bas pour ne pas alourdir le service des dettes publiques. En d’autres termes, le taux d’intérêt réel n’explosera pas. Ce à quoi nous assistons est l’épongement progressif de la masse monétaire, un retrait graduel de la liquidité. En conséquence, l’inflation risque de surprendre plutôt à la baisse qu’à la hausse l’an prochain, même si les banques centrales interrompent la pression sur les taux qui, par ailleurs, est déjà comprise dans les prix actuels des actifs financiers. Ce que nous voyons est un retour à la normale, un terme à la sur-inflation des actifs financiers qui était le résultat de l’assouplissement quantitatif. L’économie américaine a encaissé une hausse extraordinairement rapide des taux sans récession. Si cette majoration n’avait pas été absorbée par l’économie - et même par les marchés financiers - les crédits spread bancaires auraient grimpé et l’or aussi. Cette stabilité dans des conditions pareilles n’était pas prévisible. Ce que nous observons aussi est que, pour l’instant, le «quantitative tightening» est compensé par une croissance des crédits bancaires. Si toutefois le crédit bancaire venait à faillir, nous serions précipités dans la récession et la stagflation.

«L’économie est passé de la déflation à l’inflation car, pour la première fois depuis 30 ans, il y un déficit de main d’œuvre faiblement ou moyennement qualifiée.»
L’une des causes de l’inflation est l’augmentation des coûts unitaires du travail dus au manque de main d’œuvre postpandémie.

C’est exactement le cas et je dois dire que nous ne l’avions pas prévu. Il est vrai que c’est la première fois dans l’histoire des marchés que l’on observe un «bear market» sans baisse des bénéfices. L’économie est passé de la déflation à l’inflation car, pour la première fois depuis 30 ans, il y un déficit de main d’œuvre faiblement ou moyennement qualifiée. Aux Etats-Unis, ce déficit se monte à 3 millions de personnes: un million d’immigrants qui ne sont pas arrivés, un million de «baby boomers» qui sont partis à la retraite prématurément et un autre million d’individus qui ne sont tout simplement pas retournés travailler après le Covid. Même en Europe, on constate ce déficit de main d’œuvre. Par contre, la consommation se montre très résiliente. Ce qui nourrit le phénomène inflationniste.

Comment se comporteront les matières premières?

Il n’y aura pas de boom des matières premières comme dans la première décennie des années 2000 car la Chine ne sera plus l’immense marché d’expansion qu’elle a été. La production d’acier sera compromise. Par contre, les cours d’autres matières comme le cuivre continueront à monter en raison de la transition énergétique.

Vous nous disiez en début d’année qu’à l’avenir il faudrait se poser la question ««la région où je pense investir peut-elle devenir victime de sanctions?». Confirmez-vous cette impression?

Il n’y absolument aucun doute: le «global investing» comme nous l’avons connu est bel et bien terminé. Dans un monde multipolaire, certains paris rapportent plus de coups que de lauriers. Comme vous le savez, nous n’avons plus d’allocation dédiée à la Chine, elle est désormais réintégrée à notre allocation pan-asiatique.

Avez-vous en tête un «scenario du pire»?

La Russie est dans une impasse et de tragiques actions de sa part ne sont pas totalement exclues. Mais je ne crois pas à l’Armageddon. Et compte tenu de la structure de l’opposition en Russie, le départ (ou la disparition) de Poutine pourrait déstabiliser la situation encore plus. Tant que ça ne dérape pas, la situation est intégrée par les marchés.

Le mot de la fin?

Le cycle haussier est reparti. Mieux vaut étudier les fondamentaux que de broyer du noir.

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