Prudence sur les actions européennes et américaines

Emmanuel Garessus

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Le Japon fait partie des marchés attractifs pour 2024, selon Ann-Katrin Petersen, de BlackRock Investment Institute.

L’époque de la Grande Modération est définitivement révolue, selon le BlackRock Investment Institute. Les marchés ne sont plus unidirectionnels. Les gains sont plus difficiles à trouver. La volatilité et l’incertitude accompagnent durablement l’investisseur, selon les perspectives 2024. La flexibilité sera la mère des vertus. Ann-Katrin Petersen, Senior Investment Strategist du BlackRock Investment Institute répond à Allnews sur les opportunités offertes aux investisseurs:

Est-ce que 2024 sera une bonne année pour les marchés financiers?

L’investisseur n’enregistrera une performance positive l’année prochaine qu’à la condition d’avoir un comportement actif. Avant la pandémie, la majorité des placements prenaient de la valeur (dans un contexte de politique structurellement accommodante de la part des banques centrales). Dorénavant, il s’agira d’être sélectif et d’adopter une approche granulaire. La flexibilité sera une condition de réussite majeure en 2024.

L’environnement macroéconomique pourrait ne pas être l’ami de l’investisseur, si je pense à une croissance atone et une inflation sous-jacente persistante. La politique restrictive des banques centrales n’encourage pas à la prise de risque en soi.

«Nous démarrerons avec une approche prudente envers les actions américaines et européennes.»
Proposez-vous d’être prudent actuellement et de prendre progressivement davantage de risques au fil des mois?

Nous proposons d’investir davantage au fur et à mesure de l’année. Mais nous démarrerons avec une approche prudente envers les actions américaines et européennes. Nous aimons toutefois les valeurs japonaises ainsi que certains secteurs et thèmes d’investissement.

Avez-vous des exemples?

Nous conseillons par exemple - c’est l’un de nos thèmes favoris - les titres liés à l’intelligence artificielle (IA) dans les marchés industrialisés. Notre exposition à ce domaine d’activité ne manquera pas d’évoluer. L’attention se porte maintenant sur les semi-conducteurs et elle devrait se déplacer vers les infrastructures de data et l’adoption des applications d’IA.

Les marchés ont une idée par année. L’IA a marqué cette année boursière. Est-ce possible d’avoir deux années centrées sur 7 grandes Big Techs?

Les marchés ont davantage qu’une idée par an. Ils ont d’ailleurs beaucoup été très volatiles durant l’année écoulée. Même à l’égard de la politique monétaire, les attentes ont varié fortement ainsi qu’en ont témoigné les pics de volatilité des marchés obligataires.

En 2023, nous avions assisté à une forte dispersion des rendements au sein des différentes classes d’actifs. Ce sera un thème d’investissement majeur et il devrait se prolonger en 2024.

Comment se comporter dans ces conditions?

Face à une faible croissance et des taux d’intérêt élevés de la part des banques centrales, les marges des entreprises seront sous pression. Les marchés pourraient être moins rémunérateurs que pendant la Grande Modération. Le Beta des marchés sera moins un soutien qu’il ne l’a été dans le passé. L’investisseur devra être plus actif et cet effort de sélection sera de mieux en mieux rémunéré.

La diversification des actions peut être géographique. Nous préférons par exemple le Japon aux Etats-Unis ou à l’Europe.

Nous apprécions le Japon, particulièrement en vertu d’une approche des entreprises locales plus favorable aux actionnaires que dans le passé et pour des questions de valorisation. Le Japon a ranimé l’inflation sans la laisser exploser, ce qui a permis à la banque centrale de normaliser sa politique monétaire sans la rendre aussi restrictive que les autres principaux instituts d’émission.

Beaucoup d’investisseurs perdent avec la baisse du yen ce qu’ils gagnent avec les actions japonaises. Comment sortir de ce dilemme?

Nous préférons ne pas couvrir nos positions en actions japonaises contre le risque de change. Nous devrions profiter de la plus-value attendue sur le yen dans le sillage de la normalisation de la politique monétaire japonaise.

«Le Beta des marchés sera moins un soutien qu’il ne l’a été dans le passé.»
Le dollar donne quelques signes de faiblesse. Est-ce qu’il va baisser?

Le dollar dépend principalement de deux éléments. Le premier est le différentiel de taux d’intérêt, qui a été longtemps en faveur du billet vert. Cet avantage devrait disparaître avec la baisse des taux d’intérêt que devrait entreprendre la Fed. Nous attendons toutefois une moindre diminution des taux que le marché.

Le deuxième élément clé est le sentiment du marché. Son évolution est très incertaine puisqu’elle dépend d’une situation géopolitique complexe. Lorsque cette dernière est tendue, le billet vert est considéré comme une valeur refuge. Dans la perspective d’une désescalade des tensions géopolitiques, la monnaie américaine devrait s’affaiblir.

Est-ce que l’élection présidentielle américaine influencera fortement les marchés financiers ou sera-t-elle un non-événement?

L’élection présidentielle américaine ne sera certainement pas un non-événement pour les marchés. Elle fera partie des nombreux rendez-vous politiques importants en 2024.

Elle sera surtout cruciale pour les marchés dans la mesure où elle indiquera les futurs développements de la politique budgétaire. Ce n’est d’ailleurs pas durant une année présidentielle que l’on assiste à une consolidation des finances publiques. C’est pourquoi nous nous attendons à une plus grande maîtrise des déficits publiques en Europe qu’aux Etats-Unis.

Vous prévoyez une baisse des taux américains. Quel sera le plancher des rendements obligataires américains en 2024?

Nous ne pouvons pas donner de chiffre à ce sujet, mais nous figurons dans le camp des établissements qui ne recommandent pas les obligations à longue duration et qui préfèrent à la place des obligations à court terme. Malgré la récente baisse des rendements, plusieurs facteurs incitent à penser que l’inflation restera élevée ou reprendra davantage de hauteur à moyen terme. Les perspectives budgétaires en font clairement partie. Le nombre d’émissions, donc l’offre d’obligations d’Etat américaines, demeure élevé tandis que la demande est réduite par les efforts de la banque centrale de réduire son bilan et par le moindre appétit des investisseurs chinois et japonais. L’inflation devrait également inciter à la prudence, si l’on considère la rigidité de l’inflation sous-jacente et les pressions haussières des salaires. C’est pourquoi nous continuons d’aimer les stratégiquement les obligations liées à l’inflation et nous privilégions les titres à court terme.

Qu’en est-il des obligations émergentes?

Nous préférons les obligations émergentes en monnaies fortes à celles en monnaies locales dans une optique tactique (6 à 12 mois), en raison de la réduction de l’écart entre ces dernières et les taux américains. Par ailleurs, les banques centrales des pays émergents sont plus avancées dans leur normalisation des taux d’intérêt.

Les actions suisses ont beaucoup déçu, selon l’indice SMI, en 2023. Qu’en attendez-vous en 2024?

Leur rendement est fonction de la monnaie de référence. Il a été plus favorable pour les investisseurs basés en euros, en raison de la hausse du franc. La piètre performance des actions suisses a été surprenante dans la mesure où ce marché est défensif et orienté vers la qualité, ce qui aurait dû lui profiter dans un contexte de forte volatilité et d’incertitudes conjoncturelles. En 2024, les actions suisses ont un rôle à jouer dans un portefeuille diversifié, précisément en raison de leur caractère défensif.

L’or vient de fortement s’apprécier. Comment se protéger contre un choc éventuel en 2024?

Les mérites d’une diversification dans les obligations souveraines et leur statut de valeur refuge sont moindres que dans le passé en raison de la volatilité des perspectives d’inflation. La prime d’une longue duration devrait encore augmenter tant aux Etats-Unis qu’en Europe.

L’or ajoute à la diversification, mais il ne paye ni coupon, ni dividende. Nous préférons par exemple certains métaux industriels, dans la perspective d’une décarbonation de l’économie.

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