La récession, risque numéro 1 auprès des assureurs

Emmanuel Garessus

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Selon un rapport de BlackRock, 89% des assureurs veulent augmenter la pondération des marchés privés. Interview d’Olivier Van Eyseren et Maria Sala.

Après l’inflation, en 2022, la récession est, cette année, le premier risque macroéconomique cité par les assureurs, dans le 12e sondage de BlackRock sur les investissements de ces derniers. Il est cité par 59% des 378 directeurs d’assurances interrogés en juillet, dont 10 de Suisse, représentant 29'000 milliards de dollars sous gestion. Le risque d’inflation arrive en seconde position (46%), devant un environnement de taux élevé (42%).

Les assureurs s’adaptent non seulement aux changements conjoncturels mais ils répondent également aux cinq grands défis que sont le vieillissement démographique, la décarbonation, la fragmentation géopolitique, les nouvelles fonctions des institutions financières et la disruption numérique.

Au cours des 12 à 24 prochains mois, les assureurs mettront l’accent sur la flexibilité. Les actifs qui devraient le plus augmenter sont les crédits alternatifs de haute qualité (39% de hausse et 13% de baisse), les obligations publiques (36% et 8%), les actions cotées (33% et 12%), les marchés de crédit privés (33% et 23%) et les Suisses indiquent aussi les hedge funds (38% de hausses et 7% de baisses).

Au chapitre des marchés privés, on notera que 89% des sondés entendent augmenter leur allocation à cette classe d’actifs au cours des deux prochaines années. L’accent est surtout placé en faveur des crédits directs (60%) et des stratégies diversifiées, au détriment de l’immobilier (dette et actions) et du private equity traditionnel. Olivier van Eyseren, responsable de la clientèle assurance auprès de BlackRock en Europe, et Maria Sala, responsable de la clientèle institutionnelle de BlackRock à Genève, répondent aux questions d’Allnews:

Le risque principal auprès des assureurs est celui d’une récession. Comme chaque signe de ralentissement traduit une prochaine baisse des taux, n’est-ce pas plutôt une opportunité en termes d’investissements?

Olivier Van Eyseren (OE) Le risque de récession est effectivement le plus significatif auprès des assureurs cette année.  Il exprime aussi une source d’opportunités.

En raison de ce risque de récession, les assureurs expriment un besoin de flexibilité accrue dans leur travail de mise en oeuvre de leur allocation d’actifs. L’augmentation prévue des investissements dans les marchés privés (89% des sondés) répond à ce souci, en particulier à travers des prêts directs aux entreprises de moyenne taille (direct lending).

«En raison de ce risque de récession, les assureurs expriment un besoin de flexibilité accrue»
Est-ce que les marchés privés ne réduisent pas la flexibilité dans la mesure où l’argent se retrouve ainsi bloqué plusieurs années?

OE. Non. Cette décision résulte de la nature et de la duration de leur bilan. Aujourd’hui, au sein des marchés privés, 36% des clients veulent réduire leur exposition au private equity ou à l’immobilier, qui tous deux ont une duration relativement longue et incertaine. En revanche, les assureurs veulent augmenter leur exposition à des actifs privés qui profitent d’une duration plus courte, comme la dette privée ou la dette d’entreprises. La dimension risque s’ajoute donc à celle concernant la duration. Les assureurs peuvent ainsi chercher une prime sans s’exposer sur du très long terme.

J’ajoute un bémol: l’intérêt est assez marqué pour les infrastructures, ayant une duration longue, mais moins risquées en termes de crédit. Le passif des assureurs-vie peut dépasser par exemple une duration de 30 ans. La quête de flexibilité est un souci présent dans l’allocation de chaque classe d’actifs.

L’attrait croissant de la dette d’entreprise exprime-t-il un besoin d’augmentation de l’appétit au risque?

OE. Le crédit aux entreprises fait partie des actifs qui leur permet de moduler leur profil d’investissement en fonction de la situation économique et financière. Une majorité de ces mêmes assureurs affirment aussi dans ce rapport qu’ils continueront à investir dans la dette publique (obligations cotées), laquelle représente l’essentiel de leurs investissements. La flexibilité ne conduit pas à changer leur allocation d’actifs de façon dramatique mais à l’adapter aux conditions actuelles en respectant leur allocation stratégique.

Maria Sala (MS): Cette quête de flexibilité s’accompagne d’une recherche de qualité. Dans les sous-classes qui composent l’allocation stratégique, il s’agit d’être plus sélectif. Dans les marchés privés, ce penchant pour la dette privée se traduit par une sélection de secteurs anti-cycliques et moins sensibles au risque de récession.

«54% des personnes interrogées citent la volatilité comme principal obstacle à la mise en oeuvre de leur stratégie durable»
Qu’en est-il des assureurs suisses?

MS. La dizaine d’assureurs suisses qui ont répondu au sondage expriment une moindre préoccupation au risque de récession que la moyenne internationale.

Leur recherche de qualité se traduit par des placements par exemple plus résilients dans les différentes classes d’actifs.

Quelles autres différences observez-vous en Suisse?

MS. Les assureurs suisses craignent davantage que la moyenne que des crises éclatent dans les marché émergents. Leurs homologues européens soulignent, eux, davantage de craintes pour le système bancaire global.

Ils sont également plus optimistes à l’égard de la recherche de rendement dans les énergies durables ou propres. Ces dernières années, les assureurs ont établi une stratégie en matière de durabilité que les conditions de marchés permettent de mettre en oeuvre en ce moment. En Suisse, 70% des assureurs observent des opportunités dans les infrastructures renouvelables, contre 62% en Europe.

Quelle est la pondération accordée par les assurances dans les marchés privés?

OE. Aujourd’hui, 38% des assureurs indiquent que leur allocation aux marchés privés se situe entre 1 et 3%. Elle est assez faible, mais 60% s’attendent à la porter entre 1 et 5% ces 2 prochaines années.

Quelle est l’attitude des assureurs à l’égard des obligations souveraines?

OE. 86% des sondés veulent maintenir ou augmenter leur allocation dans la dette étatique ou quasi-étatique.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans les réponses des assurances? Est-ce le faible risque géopolitique, numéro 1 des risques en 2021, ou le rôle modeste des critères de durabilité?

OE: Le risque géopolitique est sous-jacent au rapport. Nos clients l’abordent de façon spécifique sur les facteurs de risque sous-jacents. Ils l’évaluent moins dans le cadre d’une interrogation macro-économique qu’en fonction du risque qu’il signifie pour eux-mêmes et leur bilan.

La principale surprise de 2023 pour les assurances vient à 71% de la dynamique d’inflation. Les sondés considéraient l’inflation comme un risque mais sa dynamique les a surpris. La 2e plus grande surprise tient à la volatilité des marchés, plus élevée qu’attendu.

En matière de durabilité, 54% des personnes interrogées citent la volatilité comme principal obstacle à la mise en œuvre de leur stratégie durable. Ce pourcentage dépasse la capacité à générer des rendements suffisants (43%).

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