Libérer la liquidité

Nicolette de Joncaire

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Les actifs privés sont réservés aux investisseurs qualifiés. Un frein considérable à l’investissement d’impact. La solution de Guillaume Bonnel de Credit Suisse.

L’un des axes principaux de Building Bridges cette semaine est l’inadéquation entre offre et demande de financement des Objectifs de Développement Durable (ODD). Une problématique pour partie liée à la structure de l’offre et à la réglementation. Et à laquelle Guillaume Bonnel, responsable des produits et services durables au Credit Suisse, répond par une proposition qu’il a élaborée dans le cadre de sa participation au groupe de travail «supply and demand mismatch» de Building Bridges, organisé par SFG et auquel le Credit Suisse participe activement, en tant qu’un des principaux sponsors.

Son constat? Le financement sous forme de produit d’investissement est très présent et la Suisse – Genève tout particulièrement – offre une belle gamme de produits d’impact investing. C’est par ailleurs le cas de manière croissante à l’étranger également. Souvent présentées sous forme de produits d’investissements spécialisés dans des classes d’actifs non cotées (dette privée, private equity), ces solutions sont largement ouvertes aux investisseurs institutionnels. Mais quid des petits investisseurs?

Quelles sont vos observations du marché de l’impact investing aujourd’hui?

Il existe désormais une vaste palette de solutions d’impact investing robustes et intéressantes, couvrant un large panorama d’objectifs de développement durable, allant de de l’inclusion financière à la préservation de la biodiversité, en passant par l’accès à l’éducation, à la santé, et par la lutte contre le changement climatique. Les solutions d’investissements à impact sont là. Mais, ces solutions prennent souvent la forme de produits d’investissements spécialisés dans des classes d’actifs non cotées : dette privée, private equity. Car il est en effet très difficile de démontrer un véritable impact au travers des classes d’actifs cotées. La simple détention d’un titre d’entreprise vertueuse a un impact limité. Seules les stratégies d’engagement actionnarial peuvent démontrer un impact matériel. Pour cette raison, le marché de l’impact investing est largement constitué de classes d’actifs privées.

En quoi cela pose-t-il problème?

Les régulateurs, tant en Suisse qu’ailleurs, contraignent les banques et autres intermédiaires financiers à réserver ces classes d’actifs aux investisseurs qualifiés et/ou professionnels, un statut réservé aux investisseurs les plus aguerris et les plus fortunés, soit une fraction relativement minime d’entre eux (environ 5 ou 6%). Même les fonds de pension ont des contraintes régulatoires qui les empêchent souvent d’y accéder.

La transparence n’a jamais été un vrai problème dans le monde de l’impact investing, et de nombreux mécanismes sont désormais en place pour considérablement réduire le risque associé à ces produits.
Pour quelles raisons?

Aux yeux des organes de réglementation, les produits de type private equity ou private debt présentent une opacité, des risques et une absence de liquidité trop importantes. Les régulateurs cherchent à protéger les investisseurs «retail» en évitant de leur donner accès à des produits d’investissement qu’ils risquent de ne pas bien comprendre, qui met leur capital à risque de perte, et qui les obligent parfois à rester investis sur de longues périodes, sans possibilité de se voir rembourser, en cas de besoin de liquidité rapide (maladie, divorce, achat d’une maison). En conséquence, privé de l’accès à une majorité d’investisseurs, l’impact investing reste largement sous exploité, et demeure un marché niche.

Par quel angle entendez-vous aborder ce problème?

La transparence n’a jamais été un vrai problème dans le monde de l’impact investing, et de nombreux mécanismes sont désormais en place pour considérablement réduire le risque associé à ces produits. Reste à résoudre la problématique de la liquidité.

Comment proposez-vous de le traiter?

Notre proposition est de mobiliser du capital au travers d’un partenariat public / privé, un consortium de fonds d’Etat, de banques de développement, de banques globales et d’autres acteurs comme les fonds souverains, sous forme d’un fonds d’investissement doté de quelques centaines de millions d’euros. Ce véhicule aurait pour fonction de garantir une liquidité quotidienne à des produits d’investissement d’impact investing en rachetant leurs parts aux investisseurs privés ayant besoin de liquidité.

Qui fournirait le capital de départ?

Je vois bien s’impliquer les banques de développement européennes et suisses. KFW en Allemagne ou le SECO en Suisse ainsi qu’un certain nombre de fonds souverains. Puis il faudra convaincre les banques et les entreprises globales (CS, UBS, Nestlé) de mettre une partie de leur bilan à disposition.

Ce mécanisme garantirait donc que, dans le besoin, un investisseur privé puisse vendre la part de son capital investi dans l’impact investing?

Oui. Ce fonds rachèterait les parts au prix de l’instant T ce qui implique qu’il faut être en mesure à tout moment de pouvoir évaluer le prix des dites-parts. Il faut donc un «auditeur» ou un «market maker» capable de valider un prix juste pour les actifs garantis par ce mécanisme. Naturellement, seuls les produits d’investissement estampillés «Impact Investing» y auraient accès. Il est donc nécessaire de définir une organisation capable de garantir l’authenticité de l’approche et de la labelliser. Notez que, au passage, ces deux éléments amélioreraient la transparence des produits garantis. Grâce à ce mécanisme, la liquidité ne serait plus un problème, et l’impact investing s’ouvrirait ainsi à tous, y compris aux investisseurs qualifiés pour lesquels le manque de liquidité est aujourd’hui un obstacle, certains fonds de pension notamment. Il s’agit d’utiliser l’argent public à meilleur escient : construire l’infrastructure pour débloquer l’investissement privé vers l’impact investing.

La valorisation de l’impact nécessite des mesures très sérieuses.
Est-il aisé de fixer la valeur nette d’inventaire d’un fonds d’impact investing?

Tout autant que celle de n’importe quel autre fonds. BlueOrchard, pour ne citer que lui, publie les VNI de ses fonds mensuellement. Le problème se pose pour des fonds de private equity moins transparents que ceux de BlueOrchard. Mais ils assurent en general une publication trimestrielle.

Qui et comment garantirait-on la valorisation de l’impact?

La valorisation de l’impact nécessite des mesures très sérieuses. On peut imaginer que ce cela fasse partie des prérogatives de l’International Sustainability Standards Board (ISSB) nouvellement créé. Avec une approche légitimée par l’ONU.

Qu’en penseraient les régulateurs?

Combinée avec les mécanismes de réduction du risque et la transparence déjà existants, cette solution permettrait aux régulateurs de rendre accessible l’impact investing à l’ensemble des investisseurs, débloquant ainsi un obstacle majeur permettant de mettre des milliers de milliards d’investissement au service de causes utiles pour les objectifs de développement durable. Notez que cette mesure permettrait aussi de diversifier l’investissement global au-delà des quelques milliers de sociétés cotées mondialement, et donc de considérablement réduire le risque pour les investisseurs.

Ce mécanisme ne risque-t-il pas d’être trop sollicité épuisant les ressources mises à disposition?

Tout au contraire. Il y a fort à parier que peu d’investisseurs l’utiliseraient au final. L’absence de liquidité est surtout un obstacle psychologique. D’expérience, les investisseurs l’exigent à priori, mais l’utilisent très peu à posteriori.

Au fil du temps, ce fonds deviendrait une sorte de fonds de fonds d’impact investing?

Effectivement, au fil du temps, le cash se transformerait progressivement en fonds de fonds d’impact investing qui pourrait, soit dit en passant, s’avérer très intéressant pour des investisseurs souhaitant s’exposer à l’impact investing de manière très diversifiée. Mais ce n’est pas son objectif initial.

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