Les marchés privés en pleine mutation

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Avec la démocratisation du capital-risque et l’introduction de la gestion passive, la classe d’actifs évolue rapidement. Entretien avec Andreas Bezner de Stableton.

Les investisseurs qui cherchent à diversifier leur portefeuille se tourneraient volontiers vers les marchés privés mais l’entrée y est encore difficile, voire impossible pour les montants modestes. Pourtant, ils se démocratisent. Avec des produits structurés sous forme d’AMC ou de fonds de placement, l’exposition aux sociétés privées, notamment aux plus innovantes, devient possible. Eclairage avec Andreas Bezner, CEO de Stableton.

Où sont, selon vous, les opportunités les plus attractives sur le private equity à l'heure actuelle?

Les marchés privés offrent une exposition à plusieurs classes d’actifs notamment le capital-risque, l’immobilier, les infrastructures ou la dette privée. Au sein de cet univers, le capital-risque me parait le segment le plus porteur en ce moment pour plusieurs raisons. En premier lieu, il n’a jamais été aussi facile de créer une entreprise grâce à une multiplication des services cloud qui réduisent considérablement les coûts de mise en place et de fonctionnement. Par ailleurs, les capitaux pour financer les entreprises innovantes sont largement disponibles. On peut ainsi observer un fabuleux éventail de jeunes sociétés offrant des innovations dans les secteurs de l’énergie, de la santé, de la mobilité ou des fintechs qui ont levé suffisamment de fonds pour ne pas avoir besoin d’entrer en bourse pour financer leur essor. Dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la robotique ou des technologiques climatiques, il est presque impossible d’identifier des acteurs forts cotés en bourse. La créativité est concentrée dans de nouvelles entreprises dont les capitaux sont privés et où la création de valeur est immense.

Stableton est spécialiste de l’investissement sur les marchés privés. En quoi vous différenciez-vous des autres experts?

Les marchés privés ont été, jusqu’à présent, un univers très sélectif hors d’atteinte de l’investisseur moyen. Notre objectif est de l’ouvrir à un plus large panel, notamment aux gérants de fortune, afin qu’ils puissent y saisir des opportunités qui leur étaient fermées dans un passé encore récent. Pour ce faire, nous assurons une palette de services (due diligence, liquidité, etc.) qui permet un accès intuitif au capital-risque et aux entreprises en pleine croissance qu’il finance. Une sorte de booking.com de l’investissement privé.

Quelle clientèle visez-vous plus précisément et avec quels produits?

Les investisseurs que nous visons plus particulièrement sont les intermédiaires financiers, les gérants de fortune, les banques privées ainsi que les family offices pourvus d’équipes d’investissement professionnelles, mais aussi les investisseurs privés. Au sein de l’univers du marché privé, nous nous intéressons essentiellement aux entreprises financées par le capital-risque et qui sont déjà parvenues à une phase avancée de développement. Et sur cette base, nous lançons des produits d´investissement (AMC ou fonds) qui permettent de démocratiser les placements sur les marchés privés en ouvrant la classe d’actifs à des portefeuilles modestes pour des montants faibles.

«Il y a, à l’heure actuelle, suffisamment de «poudre sèche» pour financer les entreprises qui n'ont pas besoin d’introduction en bourse.»
N'est-il pas vrai que de toutes ces entreprises, seules quelques-unes survivent ou atteignent une taille critique qui permet la rentabilité?

C’est la raison pour laquelle nous estimons qu’il est préférable d'investir à un stade avancé plutôt qu'à un stade trop précoce, c’est-à-dire à un stade où le potentiel de croissance est déjà confirmé car l’entreprise démontre une véritable adéquation au marché. J’entends ici des entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 50 millions de dollars et qui ont franchi deux ou trois cycles de financement et atteignent la levée de fonds de série C. Avec une nette préférence pour les entreprises actives sur les marchés mondiaux. A ce stade de développement, le taux d'échec est faible mais la croissance reste supérieure de 20% à 50% par an - parfois supérieure à 100% - et les perspectives d'introduction en bourse sont à relativement proches (avec un gain moyen de l’ordre de 20% sur un jour lors de l’IPO). Sur ce segment, presqu'aucune récession n'a duré plus de 2 ans et il y a, à l’heure actuelle, suffisamment de «poudre sèche» pour financer les entreprises qui n'ont ainsi pas besoin d’introduction en bourse.

Vous mettez aussi bien des AMC et des fonds sur le marché. Quels sont les avantages et les inconvénients de l'une ou l'autre solution?

Les certificats activement gérés (AMC), compensés au sein de SIX, permettent de mettre en place des stratégies de placement à faibles coûts et s’apparentent à des titres de créance, ne délivrant que de la performance. Ils conviennent particulièrement bien aux intermédiaires financiers et aux investisseurs privés. Moins fongibles et avec des minima plus élevés à l’entrée, les fonds de placement restent privilégiés par les investisseurs institutionnels qui veulent avoir un contrôle direct sur le sous-jacent.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les marchés privés primaires et secondaires?

Les deux sont importants et fonctionnent de concert. Les marchés primaires s’adressent plus aux grands investisseurs alors que les marchés secondaires (où les échanges ont lieu avant que l'entreprise ne soit cotée en bourse) concernent davantage les investisseurs plus modestes et permettent d'accroître la liquidité. Nous nous concentrons sur les marchés secondaires parce qu'ils offrent de meilleures opportunités en réduisant le risque et en permettant d’investir avec une décote dans les entreprises les mieux financées. L’information sur les sociétés y est plus complète et les volumes échangés plus importants.

Vous avez récemment lancé un produit axé sur les licornes. De quoi s'agit-il exactement et quelle est la motivation de ce produit?

Il s'agit d'un produit fondé sur le principe de la gestion passive appliquée aux marchés privés, comme le font les ETF sur les marchés publics. L’offre d’investissement suit la logique de sélection passive d’un panier d’entreprises défini par Morningstar Indexes dans son indice de référence PitchBook® Unicorn Select 20 Index™. Le panier contient les 20 licornes les plus importantes, choisies au sein d’un univers de 1300 entreprises dont l’évaluation dépasse 1 milliard de dollars, pour une valeur combinée de 4’000 milliards de dollars, soit 15% du S&P 500. Le panier, équipondéré, est rééquilibré sur une base trimestrielle. La valeur nette d’inventaire est recalculée et disponible quotidiennement. En d’autres termes, ce produit introduit les avantages de la gestion passive et de ses coûts très bas sur les marchés privés. Conçu avec Morningstar Indexes et lancé avec Swissquote pour les clients de détail, il est à l’heure actuelle distribué exclusivement en Suisse. Un fonds de droit luxembourgeois va être lancé sur la même stratégie de suivre au mieux l'indice, qui comprend actuellement des sociétés dont la valorisation est comprise entre 10 et 140 milliards de dollars US. Notez que ces stratégies deviendront très performantes lorsque la fenêtre d’introduction en bourse s’ouvrira à nouveau.

Quelle est votre vision des marchés privés du futur?

L’investissement sur les marchés privés évolue très rapidement. Ils s’ouvrent à un éventail de plus en plus vaste d’investisseurs à des coûts de plus en plus faibles. Y sont introduits aujourd’hui des instruments et des méthodes qui ne s’appliquaient jusqu’à présent qu’aux marchés publics. La classe est en pleine révolution.

A lire aussi...