Les atouts du capital-risque en Suisse

Yves Hulmann

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Pour Michael Stucky de Serpentine Ventures, la Suisse dispose d’industries prometteuses notamment dans les sciences de la vie, les sciences des matériaux et les fintechs. 

Après une période marquée par la forte correction des valeurs technologiques tout au long de 2022, puis par les déboires de banques régionales aux Etats-Unis comme la Silicon Valley Bank ce printemps, quel est le climat d’investissement dans le capital-risque actuellement ce côté de l’Atlantique? Le point sur la situation en Suisse avec Michael Stucky, qui assure la fonction de Venture Partner chez Serpentine Ventures, le gestionnaire d'investissement en capital-risque de Swiss Ventures Group (SWVG).

Quel est le climat d’investissement actuellement dans le private equity et, plus spécifiquement, en ce qui concerne le capital-risque?

Le climat d'investissement actuel dans le private equity et le capital-risque est solide, avec des montants record de capitaux levés par des fonds au niveau mondial par un passé récent, dont le déploiement, il est vrai, s'est ralenti au cours des derniers trimestres. Alors que nous constatons une évolution vers des transactions plus importantes – les investisseurs recherchant des rendements plus stables dans un environnement de taux d'intérêt bas pour le private equity –, le capital-risque s'est transformé en un marché d'acheteurs, où les entreprises aspirent à étendre leur marge de manœuvre financière aussi loin que possible, et où les investisseurs imposent des conditions plus strictes que par le passé.

La faillite de la Silicon Valley Bank a-t-elle jeté un froid sur l’ensemble du secteur – ou s’agit-il d’un phénomène limité à la Californie?

La faillite de la Silicon Valley Bank n'a pas jeté un froid sur l’ensemble du secteur, mais elle a suscité des inquiétudes quant à la concentration des risques sur quelques grands acteurs, en particulier dans le secteur des fintechs. L’effondrement de la banque était en partie le résultat d'un désalignement plus large des durées sur le côté actif et passif de son bilan, exposant une vulnérabilité à la hausse des taux d'intérêt. De nombreuses startups et investisseurs américains en capital-risque s'appuyaient toutefois sur le prêteur pour obtenir un effet de levier. Selon nous, la faillite de la banque a été contenue.

Qu’en est-il en Suisse? Les flux de financement dédiés aux start-up sont-ils très différents des Etats-Unis ou de pays comme l’Allemagne par exemple – ou évoluent-ils de manière similaire?

La tendance générale est similaire, mais il y a des distinctions importantes. Avec près de 4 milliards de francs de capital-risque déployés en 2022, dont trois transactions représentant 1,4 milliard de francs suisses (Source: Swiss Venture Capital Report 2023, ndlr), les start-up suisses ont une fois de plus établi un nouveau record en termes de fonds levés. Par rapport aux États-Unis, cependant, où le capital déployé s'est élevé à 288 milliards de dollars américains (Source: PitchBook, ndlr), il existe un certain potentiel d’amélioration. Cela est particulièrement vrai si l'on considère que la Suisse reste l'un des pays les plus innovants au monde, avec des universités de premier ordre, des fondateurs très talentueux et l'un des taux de brevets les plus élevés par habitant. Ces éléments, combinés aux capitaux potentiellement disponibles auprès des investisseurs (institutionnels), indiquent clairement que l'on pourrait faire davantage en termes d'investissement en capital-risque afin d’égaler la force d'innovation du pays.

 Dans le domaine des technologies «profondes», la Suisse jouit d'une solide réputation en matière d'innovation dans l'IA (intelligence artificielle), la blockchain et la cybersécurité.

En particulier, la rareté du capital de croissance et le temps nécessaire pour lever des fonds plus importants font que le temps nécessaire pour que les innovations atteignent les marchés est comparativement plus long qu'à l'échelle internationale. Il est donc important de combler ce fossé afin de retenir les talents qui contribueront à terme à la résolution des grands défis mondiaux et aideront au développement économique de la Suisse.

En ce qui concerne les différentes étapes de financement, on entend souvent dire que le segment « early stage » est celui où il est le plus difficile d’obtenir des financements? Que propose Serpentine Ventures dans ce domaine?

En général, plus le stade est précoce, plus il est élevé au niveau du spectre risque/récompense. Avec son «Rookie Fund», Serpentine Ventures soutient les entreprises au stade le plus précoce possible, souvent en phase de pré-amorçage, avec des tickets plus petits qui peuvent être déployés en quelques semaines. Une fois qu’une société du portefeuille a été intégrée, une équipe dédiée au développement du portefeuille, complétée par des conseillers exclusifs expérimentés, soutiendra activement l’entreprise afin de garantir une forte probabilité de succès.

Quels sont les segments qui, à votre avis, sont les plus prometteurs en Suisse actuellement?

La Suisse dispose d'une gamme variée de secteurs et d'industries prometteurs, avec des atouts particuliers dans les secteurs à forte intensité de propriété intellectuelle, tels que les sciences de la vie, les sciences des matériaux, les technologies de pointe et les fintechs. Dans le domaine des sciences de la vie, les jeunes entreprises de biotechnologie et de technologie médicale sont en plein essor. Dans le domaine de la finance, le pays est une plaque tournante pour la gestion d'actifs et la banque privée, et des start-ups fintech émergent dans des domaines tels que les paiements numériques et les crypto-monnaies. Dans le domaine des technologies «profondes», la Suisse jouit d'une solide réputation en matière d'innovation dans l'IA (intelligence artificielle), la blockchain et la cybersécurité.

Pouvez-vous citer des exemples de start-up ou de sociétés dans lesquelles Serpentine Ventures a investi récemment?

En septembre 2022, par l'intermédiaire de son fonds Flagship, Serpentine Ventures s'est allié à Converge VC et New North Ventures, deux sociétés de capital-risque basées aux États-Unis, pour investir dans un tour de table sursouscrit de 5 millions de dollars dans CYBERA Global Inc, une société de cybersécurité en plein essor. Nous avons investi en raison de l'équipe de direction de haut niveau, des mesures de croissance et des résultats financiers attrayants, de l'ADN «swiss made» de CYBERA en matière de normes de qualité et de confiance, ainsi que de son ambition mondiale sur un marché qui, selon nous, témoignera d’une forte expansion au cours des dix prochaines années. CYBERA a été créée pour combler deux lacunes évidentes sur le marché: l'enregistrement et le partage des rapports des victimes et la création d'une liste de surveillance mondiale pour les comptes problématiques.

En dehors de la cyber-sécurité, quels sont les autres exemples de sociétés dans lesquelles vous avez investi?

Dans le cadre du fonds de croissance, Serpentine Ventures a investi début 2023 dans la société munichoise Apaleo, la première plateforme de gestion immobilière API qui révolutionne la manière dont les hôtels et les locations de vacances gèrent leurs activités. Apaleo alimente des marques dans plus de 15 pays, bouleversant la nature des logiciels d’hôtellerie en passant des suites d'un seul fournisseur à une technologie de pointe. Les groupes hôteliers avant-gardistes et les entreprises de l'hôtellerie technologique tirent déjà parti de la plateforme ouverte avec des clients tels que numa, Mollie’s by Soho House, mk hotels, Zetter Hotels & co, Limehome, SV Group, HR Group, Vagabond Club, et Lindemann Hotels.

L’intelligence artificielle (IA) est un domaine qui concentre énormément d’attention actuellement. Quelles sont les chances des start-up suisses pour se positionner sur des services ou solutions qui reposent sur l’intelligence artificielle?

Nous avons constaté une forte augmentation des «pitchs» basés sur l'IA/LLM dans notre pipeline et nous sommes convaincus que les startups suisses contribueront au secteur. Actuellement, nous suivons plus de 20 modèles différents, qui revendiquent souvent une niche plus petite et plus spécialisée qu’openai. Un bon exemple est deepjudge, qui permet une compréhension et un traitement avancés de documents juridiques basés sur le contexte. Nous continuerons à observer de près l'évolution de ce secteur en devenir, en particulier dans et autour des grands centres technologiques européens, afin d'identifier les opportunités intéressantes à un stade précoce.

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