La diversité sectorielle, un atout clé pour le capital-risque en Suisse

Yves Hulmann

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Pour Mike Baur de Swiss Ventures Group, si seuls 4 ou 5% des avoirs des caisses de pension étaient allouées au capital-risque, l’impact sur l’économie helvétique serait énorme.

Beaucoup de caisses de pension n’investissent encore qu’une toute petite partie de leurs avoirs dans le capital-risque. A quels aspects faut-il être attentif lorsque l’on investit dans ce domaine et quelles sont les opportunités dans le capital-risque en Suisse? Le point avec Mike Baur, directeur et co-fondateur de Swiss Ventures Group, une société qu’il a cofondée en 2015 et qui a lancé son premier véhicule d’investissements de capital-risque centré sur des jeunes pousses helvétiques en 2016, avant de développer ensuite différents fonds d’investissements dédiés aux investisseurs qualifiés et institutionnels.

Quelles ont été les principales étapes du développement de Swiss Ventures Group depuis sa création et pourquoi vaut-il la peine d’investir dans le capital-risque actuellement?

Notre développement s’est effectué en plusieurs étapes. Durant une première phase, soit principalement entre 2015 et 2018, nous avons mis l’accent sur des investissement dans de jeunes pousses avant tout actives dans la «tech» et qui se trouvaient encore à un stade de développement situé très en amont que l’on pourrait décrire comme «super early stage». Entre 2016 et 2019, nous avons ainsi procédé à 27 investissements dans des entreprises «early stage» via notre premier véhicule d’investissement qui est désormais fermé à de nouveaux investisseurs. Parmi ces sociétés, il y en a eu une qui a effectué une IPO sur Euronext en février 2021, tandis que deux autres jeunes pousses ont été revendues à l’automne de la même année aux Etats-Unis dans le cadre d’une transaction de type «trade sales». Nous avons pu réaliser une performance pour nos investisseurs de 3,69 fois le capital investi et un IRR de 57,76%. Notre approche d’investissement consistait à suivre de près ces sociétés avec un accompagnement très actif qui a permis à ces start-up d’avoir un développement plus rapide. C’est essentiel a notre avis pour créer de la surperformance et pour se situer donc dans les 10% des meilleures fonds à capital-risque mondiaux.

Hormis ce premier véhicule d’investissement – qui n’est donc plus ouvert aux investisseurs –, nous avons aussi lancé dans le cadre de nos activités de Venture Asset Management deux autres programmes d’investissement qui incluent à leur tour plusieurs fonds thématiques et qui sont, eux, encore ouverts aux investisseurs. Le premier de ces deux programmes, lancé en avril 2020 en plein Covid, a déjà procédé à 44 investissements (à fin avril 2022). Le second, démarré en 2022, devrait se poursuivre jusqu’à 2024. Nous sommes le premier Venture Asset Manager dédié ici en Suisse qui a été autorisé par la Finma.

En 2015 et 2016, tout le monde voulait que l’on investisse dans la fintech – or, on n’a finalement pas vu grand-chose se concrétiser dans ce domaine, du moins pas en ce qui concerne la Suisse.
De quelles ressources disposez-vous en Suisse?

Nous avons une équipe d’une quarantaine de personnes réparties entre Zurich, où nous avons l’essentiel de nos effectifs, mais aussi Berne, Lausanne et bientôt à Genève aussi. Nous prévoyons d’ouvrir une antenne à Genève durant la seconde moitié de l’année.

Vos différents fonds sont essentiellement axés sur le capital d’amorçage, ou «early stage». Ne s’agit-il pas d’un segment risqué – d’autant plus en période de forte volatilité sur les marchés?

Nous ne nous limitons pas au seul capital d’amorçage ou «early stage» mais avons aussi développé les investissements dans le «mid stage» via nos différents programmes qui accompagnent des entreprises tout au long de leur cycles de vie. Parmi ces fonds «lifecycle», nous en avons un qui se concentre sur la Suisse et se focalise sur des entreprises situées encore très en amont de leur développement («pre-seed»), tandis qu’un autre investit aussi bien dans des sociétés suisses, européennes et américaines à un stade de développement un peu plus avancé («seed & serie A»). Nous avons aussi un troisième fonds de croissance pour des sociétés suisses, européennes et américaines avec des tickets d’investissement de 5 millions à 20 millions de francs (série B, C et suite). S’y ajoutent enfin aussi des véhicules plus thématiques, comme notre fonds de capital-risque consacré aux sociétés suisses actives dans le diabète (Swiss Diabetes Venture Fund I), un véhicule d’investissement qui bénéficie notamment de l’appui de la famille Michel qui avait créé Ypsomed.

Quels thèmes d’investissement vous paraissent porteurs actuellement?

En 2015 et 2016, tout le monde voulait que l’on investisse dans la fintech – or, on n’a finalement pas vu grand-chose se concrétiser dans ce domaine, du moins pas en ce qui concerne la Suisse. C’est pourquoi nous préférons rester complètement ouverts en matière de thèmes d’investissement. On s’intéresse à des sociétés issues de divers domaines qui incluent aussi bien la cybersécurité, la FoodTech (alimentation), la PropTech (solutions dans le domaine immobilier) que le Metaverse. Dans ce dernier domaine, je pense que l’attrait de cette technologie ne concerne pas seulement les loisirs mais qu’elle offre des perspectives très intéressantes aussi dans le domaine industriel, par exemple.

Du côté des investisseurs institutionnels, quelle est la motivation principale pour placer de l’argent dans ce type de véhicules: apporter un soutien au financement de l’innovation en Suisse ou diversifier davantage le profil risque/rendement de son portefeuille de placements?

L’un n’exclut pas l’autre bien sûr. Si l’on regarde les développements dans le domaine du financement des start-up en Suisse au cours de ses dernières années, on voit qu’un secteur très dynamique est parvenu à se créer. Du côté des placements privés, une société comme Partners Group est un très bel exemple de réussite. S’agissant des possibilités d’investissement dans les technologies innovantes pour les institutions de prévoyance, la loi d’investissement qui régit les caisses de pension permet depuis le 1er janvier 2022 à celles-ci d’investir jusqu’à 5% de leur fortune de placement dans le capital-risque. C’est la première fois que le capital-risque apparaît comme classe d’actifs dédiée en Suisse dans l’ordonnance sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (OPP 2) et l’ordonnance sur les fondations de placement (OFP).

Il y a beaucoup de grands groupes qui ont besoin d’acquérir des start-up pour continuer de croître et d’innover.
5%, est-ce peu ou beaucoup?

Même si seulement 4 ou 5% des avoirs des caisses de pension étaient allouées au capital-risque en Suisse, cela aurait un énorme impact pour l’économie suisse et la création de nouvelles sociétés innovantes. Je pense que dans cinq ans la classe d’actifs «venture» fera partie de l’allocation alternative chez les institutionnels de manière très naturelle.

En période de forte volatilité sur les marchés, comment se comportent les placements dans le capital-risque – suivent-ils la bourse ou évoluent-ils de façon différente?

Le capital-risque est en partie dé-corrélé de l’évolution des classes d’actifs les plus liquides comme les actions. Le capital-risque, tout comme le capital-investissement, n’est pas soumis à la même volatilité journalière que les actions. En outre, il s’agit d’une classe d’actifs qui repose sur une approche de long terme, qui va souvent jusqu’à 10 ou 12 ans, et qui est moins influencée par des résultats trimestriels par exemple.

Qu’en est-il du risque de liquidités?

Des études ont montré que sur une période de 8 ou 10 ans, la performance du capital-risque a dépassé celle des autres marchés privés.

Il n’y a pratiquement plus d’IPO actuellement. Est-ce que cela a une influence sur les valorisations des sociétés incluses dans les fonds de capital-risque?

On peut analyser ici les choses de deux façons. Jusqu’en fin d’année dernière, beaucoup de start-up ou sociétés non cotées étaient beaucoup trop chères pour nous. Depuis le début de cette année, les valeurs de la «tech» – surtout dans leur phase de croissance – ont énormément souffert et les valorisations ont baissé en conséquence. Cela nous donne l’opportunité de rentrer dans des start-ups qui étaient auparavant hors de notre portée. Une situation idéale pour notre fonds de croissance qui vient d’être lancé. Hormis l’entrée en bourse, les jeunes sociétés ont aussi la possibilité d’opter pour un «trade sales», soit d’être rachetées par d’autres entreprises. Il y a beaucoup de grands groupes qui ont besoin d’acquérir des start-up pour continuer de croître et d’innover. En résumé, il y a beaucoup moins d’IPO actuellement que l’an dernier – en revanche, côté «trade sales», le marché reste dynamique et je n’observe pas de ralentissement, essentiellement par le fait que les grands groupes ont beaucoup de cash à déployer.