Le dividende de la paix

Nicolette de Joncaire

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Le dividende de la paix avait trouvé sa forme la plus aboutie en Europe. Il a disparu pour toujours.  Entretien avec Yves Bonzon de Julius Baer.

Il a ignoré la politique pendant 30 ans mais devant l’instrumentalisation de l’économie et de la finance à des fins politiques, Yves Bonzon a changé de perspective le 24 février. Les choix d’investissement seront dorénavant déterminés par les réactions politiques domestiques. Il faudra recalibrer l’empreinte géographique des portefeuilles et tout investisseur devra décider s’il est prêt à prendre le risque d’investir dans des régions qui peuvent être objets de sanctions du jour au lendemain. Toutefois, si le calcul économique est désormais subordonné au politique, l’avenir n’en est pas plus prévisible pour autant.

«Un bel arrangement semblait-il mais générateur d’inégalités record et donc, in fine, de déficit de la demande.»
Quel est (et sera) l’impact de la guerre en Ukraine sur les économies occidentales et plus particulièrement l’Europe?

L’attaque de l’Ukraine par la Russie a (et aura) des conséquences formidables. On parlait dans les années 1990 du «dividende de la paix» dont l’exploitation a pris sa forme la plus aboutie en Europe. C’est grâce à lui que l’Europe a pu se permettre de déléguer à d’autres régions toutes les activités à forte intensité de capital: l’industrie à la Chine, la technologie aux Etats-Unis, l’énergie à la Russie. Pour ce qui est de cette dernière, la dépendance de certains pays est passée de 30% à 50% en moins de 20 ans. Abondance de main d’œuvre, d’énergie, de biens manufacturés, tout trouvait son origine … ailleurs. Les sociétés occidentales n’investissaient pas sur leur sol, les politiques fiscales se voulaient ultra-orthodoxes et l’utilisation des monnaies «friedmanienne». En cas de coup dur, les banques centrales intervenaient. Un bel arrangement semblait-il mais générateur d’inégalités record et donc, in fine, de déficit de la demande. Un arrangement qui s’est, en tous cas, achevé le 24 février.

A quelles politiques monétaires et fiscales peut-on s’attendre?

On l’observe déjà et c’était inhabituel, la Fed resserre la politique monétaire en plein choc exogène car ce choc est inflationniste ce qui met les banques centrales en position délicate. Le choc sera aussi sensible sur le revenu moyen des populations européennes et encouragera des politiques fiscales plus généreuses pour compenser un impact violent qui peut mener à des tensions sociales ingérables, comme on l’avait constaté pour bien moins avec les Gilets Jaunes. Les banques centrales vont donc tenter de normaliser l’inflation mais sans tuer la reprise, avec des taux autour de 2% pour éviter le stress du service de la dette publique. La Fed peut accepter des niveaux d’inflation à 3-4% mais pas à 5-6%. A terme et selon l’intensité du rapatriement des chaines d’approvisionnement, les investissements locaux vont s’accroitre et la vitesse de circulation de la masse monétaire va augmenter en raison d’un afflux de demandes de crédit. Et, si le multiplicateur monétaire augmente, la remontée des taux ne sera pas aussi douloureuse.

«Au vu du contexte, les actions feront un peu mieux que les obligations même défensives.»
Dans ces conditions, comment se positionner sur les marchés financiers?

A court terme, les bénéfices seront au rendez-vous et les marchés actions relativement bien protégés. Je dirais qu’au vu du contexte les actions feront un peu mieux que les obligations même défensives. Quant à la classe des marchés émergents, elle a été directement affectée négativement par la dégradation des actifs russes.

Dans ce nouveau contexte, comment réfléchir une politique d’investissement?

L’instrumentalisation de l’économie et de la finance à des fins de guerre économique pose des problématiques auxquelles nous n’avions pas coutume de faire face. Le risque est désormais à appréhender en fonction des réactions politiques domestiques. Pour le diminuer, il faut systématiquement se poser la question «la région où je pense investir peut-elle devenir victime de sanctions?» Il ne se passe pas une semaine sans que les autorités américaines n’imposent des sanctions à des personnalités chinoises notamment et désormais à la Russie. Il faudra donc à l’avenir recalibrer l’empreinte géographique des portefeuilles et décider si on veut prendre le risque d’investir dans des régions susceptibles d’être sanctionnées du jour au lendemain. Ce choix appartient à chaque investisseur individuellement.

A ce propos, quelle est votre attitude vis-à-vis des actifs chinois?

En 2017, nous avions décidé d’allouer une poche stratégique à la Chine que nous avions déjà coupée de moitié l’an dernier. Avec la nouvelle donne, la Chine fait toujours partie des portefeuilles mais n’a plus d’allocation dédiée. Nous l’avons réintégrée dans la poche des marchés asiatiques, entérinant ce que nous percevons comme une scission du monde, prenant acte d’une bipolarité politique qu’on ne peut ignorer. De là à voir un jour fleurir des emprunts nationaux perpétuels à zéro-coupon…

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