La reflation n’ira pas sans redistribution

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

«Sur l’inflation, le débat est mal articulé. Transitoire pour l’instant, elle est structurelle à long terme». Entretien avec Yves Bonzon de Julius Baer.

La faible volatilité actuelle reflète le peu de controverse entre les investisseurs. Nourrie au cours des derniers mois par les propositions de mesures fiscales de la Maison Blanche, la polémique sur l’inflation semble être passée au second plan. Par ailleurs, la résolution de la pandémie semble suivre son cours; le variant Delta touche certes davantage les jeunes mais ne parait pas inquiéter les marchés outre mesure. Sans changement de paradigme, le calme s’est rétabli et devrait durer. Mais dans une période où les attentes sont faibles, le moindre choc peut redéclencher la volatilité. On l’a vu le mois dernier avec les mouvements sur le dollar. Les risques de crise restent faibles en raison des plans de soutien gouvernementaux mais un choc externe est toujours possible. Difficile à l’heure qu’il est de discerner entre signaux superficiels et fondamentaux, estime Yves Bonzon, Chief Investment Officer de la banque Julius Baer. Entretien.

Le risque d’inflation s’est donc estompé?

Sur l’inflation, le débat est mal articulé. Elle est transitoire pour l’instant et structurelle à long terme car le sens de l’histoire indique une reflation à 3 - 5 ans dans les pays développés. Dans l’immédiat une relative tranquillité sociale sera préservée (en particulier par le soutien accordé aux demandeurs d’emploi), mais une hausse des prix peut devenir difficile à gérer en raison des tensions sociales exacerbées par la crise du Covid. Si l’inflation s’avère ne pas être transitoire - en raison de goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement et/ou d’un regain de demande qui ne résorbe pas -, le problème ne sera pas Jerome Powell mais Janet Yellen. En d’autres termes, si on a peur de l’inflation, il faudra remettre sur l’établi les politiques de Joe Biden et ses ambitions fiscales peut-être excessives. A ce propos, BridgeWater1 estime que l’objectif de l’administration Biden est d’augmenter le poids de l’état dans l’économie et que cet exercice est conduit par l’aile gauche du parti Démocrate2.

«Pour que la reflation se fasse dans de bonnes conditions,
il faudrait assurer une certaine redistribution des richesses.»
Cette reflation peut-elle se passer sans tensions excessives?

Pour que la reflation se fasse dans de bonnes conditions, il faudrait assurer une certaine redistribution des richesses car, en termes de revenus et d’épargne, nous avons atteint une situation extrême où l’épargne est le seul fait des plus riches. L’une des solutions possibles sont les «taxes négatives» qui reviennent à décider de transférer chaque année le même montant à tout le monde. Une taxe négative pour ceux qui ne paient pas d’impôt et une baisse d’impôt pour les autres. Cette redistribution pourrait être financée par la production de monnaie, selon les principes de la théorie monétaire moderne. 

La crise du Covid n’est donc pas à l’origine du malaise que nous observons.

Loin de là. Elle a certes contribué à accroître les inégalités en précipitant l’automatisation de certains processus mais le malaise la précède largement. Le débat sur le revenu minimum – pour ne citer que lui – ne date pas des derniers mois. Il n’a rien à voir avec le Covid et tout à voir avec la robotisation. Les délocalisations des productions industrielles a certes diminué les écarts de richesse entre pays mais a accru les écarts entre classes sociales au sein des pays, notamment au sein des pays développés. Ce qui a créé un déficit structurel des revenus sauf pour les 20% les plus riches. Rappelons que ces 20% ne pouvant pas consommer en fonction de la hausse de leurs avoirs, toute la machine économique s’est grippée. L’amplitude de la destruction des postes de travail est sans précédent. Si l’inflation redécolle sans que les revenus les plus bas ne croissent, cela diluera le pouvoir d’achat des plus faibles et provoquera une catastrophe. Le défi est exceptionnel. Même en Suisse, pourtant prospère, le pouvoir d’achat marque une baisse à cause de la flambée des prix de l’immobilier. L’accès à la propriété y est de plus en plus difficile en raison de la rareté des biens. On ne peut pas imprimer du terrain comme on imprime de la monnaie! Sans compter que la qualité de l’école publique s’est détériorée avec un effet négatif sur la mobilité sociale. De ce fait, le chemin est étroit pour les gouvernants.

«Le QE n’est inflationniste que si la demande
de crédit augmente ce qui n’a pas été le cas.»
Mais l’assouplissement quantitatif n’est-il pas lui-même source d’inflation?

Ne tirez pas sur l’ambulance. Les politiques de Quantitative Easing n’ont fait que renforcer le mouvement - en sauvant les sociétés d’une crise économique bien plus grave. Le QE n’est inflationniste que si la demande de crédit augmente ce qui n’a pas été le cas. Si les gouvernements (et les milieux académiques) avaient mieux assumé leurs responsabilités, nous n’en serions pas là. Paralysant, l’excès de réglementation n’arrange rien.

Dans ces conditions, comment orienter une allocation?

Nous l’avons évoqué, la volatilité basse reflète un consensus, celui d’une reprise représentée à 95% dans les prix. Dans ces conditions, il n’y pas grand-chose à attendre du marché, ce qui ne signifie pas qu’il faut vendre: sur le marché US, nous sommes loin d’un bear market. Les obligations sont tellement chères que les actions restent préférables en gardant cependant à l’esprit que le marché des actions ne sert plus aujourd’hui à lever de l’argent mais à en récupérer, sous forme de share buyback et/ou de dividende. C’est ce cash return considérable qui maintient l’attractivité des actions d’autant que les profits des sociétés sont extrêmement élevés. Toutefois, et encore une fois, comme la volatilité est basse, le moindre petit remous peut tout bouleverser.

Où le bât pourrait-il blesser?

Les décisions du Congrès américain sont un des points de faille. Mais la grande inconnue est «Que veut Xi Jinping?». Au fond, nous n’en savons rien, c’est le noir total. Souhaite-t-il assainir le marché du crédit en limitant la croissance? Souhaite-t-il promouvoir le statut de devise de réserve du renminbi? Cherche-t-il à contrôler toute velléité d’indépendance (il a commencé avec Alibaba et continue avec les cryptos) mais sait surement qu’un excès de réglementation tuera l’innovation. Il est certain qu’il fait preuve de prudence fiscale et fait appliquer un régime monétaire conventionnel. Il reste difficile de trancher et de comprendre où veut en venir la Chine. Ce qui n’empêche pas que, relativement parlant, les actifs chinois sont intéressants. 

En résumé?

Ce n’est pas le moment le plus facile pour accrocher.

 

1 Il s’agit ici du fonds d’investissement Bridgewater Associates.
2 Dans un papier récent, Joseph Stiglitz estime que le débat sur l’inflation est un leurre agité par ceux qui veulent contrer les efforts de Biden

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