La main d’œuvre des pays développés, grande perdante de la mondialisation, n’en tolère plus les conséquences. Entretien avec Yves Bonzon de Julius Baer.
L’équilibre entre forces inflationnistes et déflationnistes est en transition. L’ère néolibérale, caractérisée par la financiarisation, la dérégulation et la mondialisation, semble devoir s’achever car la main d’œuvre des pays développés, grande perdante de l’exercice, n’en tolère plus les conséquences. Pour corriger la pression inflationniste, la solution n’est pas à chercher dans les politiques monétaires – qui écraseraient la valeur des actifs, réduisant certes les inégalités mais aussi la richesse globale –, mais dans les politiques fiscales. Qui ont aussi leur coût. La transition énergétique, en particulier, est inflationniste dans un premier temps. Quant à la performance de 2021, un simple coup d’œil est révélateur de son extraordinaire concentration sur un nombre très limité de titres. Point de fin d’année avec Yves Bonzon, Chief Investment Officer de la banque Julius Baer.
L’inflation s’installera d’autant plus durablement que la transition énergétique est inflationniste: en restreignant l’offre de combustibles fossiles pour limiter l’émission de CO2, en exigeant des investissements importants dans les nouvelles technologies et les infrastructures, en accroissant la pression sur certaines matières premières critiques. Ce n’est qu’au terme de 5 ou 10 ans qu’elle deviendrait déflationniste.
Cela ne me parait pas la bonne solution. On ne peut pas corriger l’inflation actuelle par la politique monétaire sans déflater les actifs, ce qui réduirait certes les inégalités mais appauvrirait tout le monde. Et puis les banques centrales peuvent influer sur certains coûts mais pas sur ceux des matières de base, facteurs importants de la hausse des prix. La solution ne peut se trouver que dans les politiques fiscales. Idéalement, il faudrait resserrer modestement la politique monétaire en stimulant simultanément l’économie par le support fiscal. Par exemple, les «taxes négatives» permettraient de rééquilibrer les écarts de revenus. Le mécanisme bénéficierait à ceux qui ne paient pas d’impôt et ont une propension marginale à consommer élevée.
Le déséquilibre postpandémique entre offre et demande reste, à mon sens, conjoncturel. Je ne peux identifier aucun changement fondamental ni d’un côté ni de l’autre entre décembre 2019 et aujourd’hui. On parle certes beaucoup de relocalisation des capacités de production (un exemple étant celui des semi-conducteurs) mais l’impact en restera mineur. La Chine demeurera la fabrique du monde dans le futur prévisible.
Caractérisée par la financiarisation, la dérégulation et la mondialisation, elle semble effectivement devoir s’achever car la main d’œuvre des pays développés, grande perdante de l’exercice, n’en tolère plus les conséquences. Avec pour effet de modifier l’équilibre entre forces inflationnistes et déflationnistes. Progressivement, le courant déflationniste induit de l’entrée de la Chine dans le commerce international en 2001 sera amené à s’affaiblir.
Le virage chinois est inspiré de ce qu’on appelle le capitalisme rhénan, un système économique caractéristique de l'économie allemande de l’après-guerre, basé sur un modèle dans lequel le contrat social entre employés et actionnaires (les employés représentés par les syndicats en particulier) joue un rôle primordial. Ce modèle favorise le créancier aux dépends de l’actionnaire et, tout en créant peu d’inflation, génère suffisamment de croissance. Cette configuration tend à limiter les inégalités sociales. Le gouvernement chinois affiche de surcroit clairement sa volonté de couper l’élan des modèles d’affaires digitaux. D’où l’effondrement boursier des Alibaba, Tencent et autres Meituan.
Elle a été incroyablement concentrée sur quelques titres. Si l’on retire les quelques 300 titres US Growth de l’indice global (MSCI all country world), la performance n’est que de 1,6% au lieu des 14% affichés début décembre. Même chose sur le Nasdaq, l’essentiel de la performance vient de Apple, Microsoft, Google, Nvidia et Tesla, soit 13,5% des 19% totaux. En fait, cette concentration n’est pas si nouvelle qu’on peut l’imaginer. En moyenne, la plupart des valeurs des grands indices surperforment à peine les T-bills. La vraie surperformance vient de seulement 3% des titres les meilleurs. Ce qui signifie que les gérants actifs n’ont pas droit à l’erreur: rater quelques-unes de ces valeurs équivaut à une condamnation.
D’autant que les indices ne sont pas si passifs que cela. Leur composition varie énormément avec le temps. Comme nous le notions récemment, «une version statique de l’indice Dow Jones de 1997 se négocierait 65% en dessous du niveau actuel». Oui, les indices sont difficiles à battre, notamment parce que les fournisseurs de ces indices les gèrent activement.
Un resserrement intempestif de la Fed. En vérité, la courbe des taux montre que l’inflation structurelle n’est pas si forte. Si la Fed panique et serre trop la vis, nous pourrions aller vers une correction majeure.