La discrète Schroders en route vers les 1'000 milliards de francs d’AuM

Anne Barrat

3 minutes de lecture

«Une acquisition dans le wealth management pour consolider notre position de 1er groupe financier étranger en Suisse? Certainement», répond Marc Brodard de Schroders.

La très britannique, et tout aussi discrète Schroder & Co Banque cache bien son jeu. Elle fait partie du groupe Schroders qui fut fondé en 1804 par les frères Schröder venus de Hambourg (et devenu Schroder au fil des générations) aujourd’hui coté en bourse et affiche de nombreuses cartes à son actif depuis 218 ans. Avec une envie intacte de faire son chemin aussi bien dans la gestion d’actifs que dans la gestion de fortune. Un chemin semé d’opérations de croissance externe, sous l’œil de la famille (bien)veillant au destin du groupe, comme l’explique Marc Brodard, Head of Private Clients Switzerland et membre du comité exécutif de la banque en Suisse.

«La discrétion est une des caractéristiques, sinon valeurs, essentielles de la famille Schroder.»
Près de 1’000 milliards de francs sous gestion et une marque somme toute pas aussi flamboyante que d’autres qui gèrent moins d’actifs, comment expliquez-vous ce paradoxe? Par une volonté de rester exclusive?

Exclusive non, discrète oui. La discrétion est une des caractéristiques, sinon valeurs, essentielles de la famille Schroder. Or, s’ils n’occupent plus de poste de direction opérationnelle, ils sont toujours très impliqués dans la stratégie du groupe, et contrôlent toujours 47% des actions avec droit de vote depuis l’introduction en bourse sur le London Stock Exchange en 1959, en plus de sièges au conseil d’administration. Qu’ils fassent moins de bruit que d’autres ne les empêchent pas d’avancer, sur le secteur de la gestion de fortune notamment. Car, et c’est l’autre élément de réponse, le groupe Schroders est avant tout vu comme un gérant d’actifs: l’asset management représentent environ 90% des AuM groupe, la gestion de fortune 10%. La croissance de la gestion de fortune s’inscrit dans les priorités du groupe aujourd’hui.

Pourquoi? Est-ce un infléchissement de la stratégie séculaire de Schroders? Ou un complément?

Le groupe a compris depuis bien longtemps la convergence entre les métiers de la gestion d’actifs de clients institutionnels et la gestion de clients privés, family offices et GFI compris. C’est pour cette raison qu’ils ont racheté Cazenove Capital Holdings en 2013, un des gros acteurs indépendants de la gestion de fortune en Angleterre, avec près de 20 milliards de livres d’actifs sous gestion à l’époque. Cette opération qui a fortement contribué à augmenter la contribution du wealth management au profit net du groupe. Les gérants d’actifs sont de plus en plus enclins à se rapprocher des investisseurs en ne passant plus par la case des intermédiaires. Une déclinaison d’une revendication dans l’air du temps, qui consiste à raccourcir le circuit entre producteur et consommateur: relocalisation de la production et circuits courts sont à la grande consommation ce que la désintermédiation est à industrie financière. Il s’agit d’un mouvement irrésistible bien plus que d’une tendance. Dans ce contexte, il est évident que les ressources de Schroders en termes d’asset management sont un avantage concurrentiel clés pour la croissance de la gestion de fortune. Ce qui explique la place de choix de la Suisse dans l’architecture du groupe.

«Notre part de marché en Suisse croît à mesure que nous sommes en bonne position pour accompagner la démocratisation des actifs privés.»
Comment se traduit cette place de la Suisse dans le groupe de Schroders, pas forcément évidente pour un observateur non initié?

L’entité légale Schroder & Co Banque, qui bénéficie d’une licence bancaire depuis 1967 en Suisse et capitalise sur un siège à Zurich et une succursale à Genève, centralise les opérations IT de l’ensemble du wealth management du groupe ainsi que les activités de comptabilisation des clients privés où qu’ils résident dans le monde. Un client de Singapour est ainsi administré sur la plateforme de notre Centre de service de Zurich, qui compte quelque 150 personnes. Schroders en Suisse compte plus de 500 personnes en tout, ce qui en fait le deuxième hub du groupe en termes de personnel (5’500 employés dans les 35 pays où il est présent). Une plateforme de banquiers privés, une plateforme d’analystes et d’asset managers, une plateforme opérationnelle, Schroders en Suisse se taille une part significative dans le groupe, bien au-delà de ce que donnerait à penser le montant des 84,1 milliards de francs d’actifs sous gestion.

Cette force en interne trouve-t-elle un écho en externe? 

Le poids de Schroders en Suisse lui permet de se hisser au rang de premier groupe financier étranger en Suisse. Ce poids résulte non seulement de ses ressources humaines et opérationnelles, mais aussi de la palette de son offre, depuis les actifs traditionnels aux actifs privés, ces derniers s’avérant un élément de différenciation de nos concurrents très appréciés des clients. Schroders Capital, l’entité qui regroupe tous les actifs privés – le private equity, renforcé par l’acquisition d’Adveq en 2017, l’immobilier, les infrastructures, le non coté et la microfinance (avec l’acquisition de Blue Orchard en 2019) –  est un atout solide pour attirer et répondre aux besoins d’une clientèle en quête de diversification. Notre part de marché en Suisse croît à mesure que nous sommes en bonne position pour accompagner la démocratisation des actifs privés, et permettre une entrée sur les marchés privés à partir de 50'000 francs. Peu d’acteurs peuvent le faire, de moins en moins en réalité, à cause de la pression sur les marges que connaissent tous les gérants de fortune: elles sont passées de quelque 150 bp brut il y a 15 ans à 80 bp en moyenne aujourd’hui et ce sans que les coûts fixes ne diminuent, montée en puissance des contraintes règlementaires oblige. Une équation difficile, favorable à des mariages.

Mariages, consolidation, comment voyez-vous cette question?

Le paysage bancaire helvétique a déjà perdu une centaine de banques, un chiffre qui aurait été plus élevé si les conditions très favorables sur les marchés financiers ces dernières années, crise sanitaire ou non, n’avaient pas assuré la survie de (trop) petits pour survivre. La consolidation se poursuivra donc, 2022 s’annonçant plus difficile. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, nous serons très attentifs à l’opportunité que nous cherchons depuis quelques années. La perle rare, qui non seulement remplisse nos objectifs de consolidation d’activités dans nos pays cibles mais aussi soit en ligne avec les valeurs d’un groupe, d’une famille pour qui loyauté, discrétion, exemplarité, véritable excellence ne sont susceptibles d’aucun compromis.

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