A pandémie durable, durabilité endémique

Anne Barrat

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Le COVID a renforcé l’intérêt des investisseurs institutionnels pour les actifs durables. Un intérêt ni naïf ni béat explique Hannah Simons de Schroders.

Présente à Building Bridges pour discuter avec BlueOrchard  des solutions d’investissements pour le climat sur les marchés publics et privés dans le cadre d’une table ronde modérée par Maria-Teresa Zappia, Chief Impact & Blended Finance Officer et Deputy CEO de BlueOrchard, Hannah Simons, Responsable de la stratégie de développement durable chez Schroders, est revenue sur les enseignements de l’étude dédiée aux comportements et attentes des investisseurs institutionnels en 2021. Laquelle étude, publiée par le groupe fondé en Angleterre il y a de plus de 200 ans, permet de mettre en perspective l’attention croissante qu’attirent les thématiques de durabilité et d’impact. «Si les investisseurs institutionnels se disent prêts à accroître leur exposition aux actifs durables, ils expriment des inquiétudes quant à l’écoblanchiment et demandent plus de clarté sur les objectifs, les stratégies et les résultats concrets et tangibles souligne-t-elle.

80% des investisseurs institutionnels trouvent l'investissement durable difficile. Pourtant ils sont toujours plus nombreux à l’adopter. Comment expliquez-vous ce paradoxe?

C’est en effet ce qu’il ressort de l’édition 2021 de l'étude «Schroders Institutional Investor 2021», réalisée auprès d’un échantillon de 750 investisseurs institutionnels, gérant collectivement de 26,8 billions de dollars d'actifs. Une étude dont l’un des principaux enseignement met l’accent sur les attentes des investisseurs institutionnels qui pourraient être résumées ainsi: plus et mieux. Plus (de lisibilité) sur leurs investissements durables ainsi que de meilleures informations de la part de leurs gestionnaires d'actifs contribueront à améliorer la transparence et la pertinence des données permettant de mesurer très concrètement l’impact de leurs investissements. La courte pause de la pandémie de COVID entre 2020 et 2021 leur a donné le temps de réfléchir, de repenser leur stratégie d’investissement, de regarder attentivement les chiffres et de réaliser que la performance était au rendez-vous. Ce point est crucial, qui montre qu’un préjugé selon lequel les investissements durables rapportent moins que les fonds conventionnels, cède le pas. En 2021, les investisseurs institutionnels à travers le monde redoutant que les investissements durables aient un impact négatif sur la performance «n’étaient plus que» 38% contre 45% en 2020, et un sur deux en 2018. In fine, le COVID a braqué les projecteurs sur les actifs durables et amené l’ensemble de la communauté des investisseurs à les privilégier par rapport aux actifs traditionnels.

Ce retournement a-t-il touché l’ensemble de la communauté des investisseurs?

C’est un phénomène général. Endémique en quelque sorte. 54% souhaitent avoir un impact positif sur la société et la planète grâce à des investissements durables. Selon l’étude Schroders Global Investors 2021, seuls 8% des investisseurs ne croient pas aux avantages des investissements durables – contre près d’une personne sur cinq (18%) en 2018. S’il est un effet collatéral positif du COVID-19, c’est bien l’accélération de l'adoption de l'investissement durable, qui était déjà en croissance constante depuis que Schroders a commencé à suivre ces données en 2017: il est en train de devenir la nouvelle norme, remplaçant les investissements traditionnels.

Il est intéressant de noter que les coûts deviennent de plus en plus un sujet de préoccupation.

Cela dit, ce phénomène a pris une ampleur toute particulière chez les investisseurs institutionnels: en 2021, 52% d’entre eux ont reconnu que le rôle de l'investissement durable au sein de leur institution était devenu plus important en raison de la Covid-19. Avec des variations importantes en fonction des zones géographiques – 62% en en Europe, 56% en Amérique latine, 48% en Asie et 41% aux États-Unis.

Quels freins restent-ils encore à la généralisation de l’adoption des actifs durables?

Les investisseurs ont besoin de clarté sur les objectifs et les stratégies des gestionnaires de fonds et de plus en plus, beaucoup veulent également connaître les impacts de leurs investissements. Leurs principales réserves à l’égard des actifs durables concernent l'écoblanchiment –59% identifient l'écoblanchiment comme le plus grand défi pour investir durablement – et le manque de transparence des données. Deux problèmes qui sont tout à fait réels et pour lesquels le principal obstacle réside dans le manque de données et, quand elles existent, leur fiabilité. Ces revendications sont d’autant plus légitimes que les investisseurs ont accru leur exposition à des actifs durables sans pour autant avoir davantage de visibilité sur la mesure et la quantification de l’impact de ces investissements durables. Ce n’est pas nouveau, ils le réclament depuis longtemps. Ce qui a changé c’est que la pandémie de Covid-19 ayant joué comme un catalyseur de l'investissement durable, le défi lié à la mesure de l'impact des investissements est devenu une priorité. Ce problème est en partie traité par les nouvelles réglementations de l'UE sur la finance durable (SFDR).

Ecoblanchiment et manque de transparence sont-elles les seules critiques des investisseurs vis-à-vis des actifs durables?

Ce sont en effet les principales inquiétudes, la seconde en particulier. Ainsi, 53% des investisseurs dans le monde expliquent que l’absence de transparence et de données, qui crée des difficultés pour gérer les risques, est un obstacle majeur. Ils regrettent la lenteur de la mise en place des normes réglementaires susceptibles d’améliorer la cohérence des données et du reporting en matière de critères ESG. Ainsi, 53% appellent des données et preuves qui montrent que l'investissement durable offre de meilleurs rendements, 40% un reporting régulier montrant l'impact des investissements sur la société et la planète, 36% une auto-certification du fournisseur de l'investissement prouvant qu'il est durable.

Mais pas les seules. Il est ainsi intéressant de noter que les coûts deviennent de plus en plus un sujet de préoccupation. Les données sur la durabilité étant encore naissantes et difficiles à rassembler sans l'aide de fournisseurs tiers, les collecter s’avère souvent coûteux. Une autre critique concerne l’accent sur l’environnement aux détriments des autres cratères ESG dont 67% des investisseurs considèrent leur intégration comme l’outil privilégié de l’investissement durable. L’étude révèle que 64% d’entre eux pensent également que les questions environnementales sont le sujet d'engagement le plus important pour les gestionnaires d'actifs au détriment du S et du G.

Comment un gestionnaire d’actifs peut-il lever ces obstacles et répondre aux évolutions des investisseurs?

En continuant de travailler sur les trois dimensions essentielles: le rendement, le risque et l’impact. Les deux premières sont bien connues des gestionnaires, la troisième demande une ingénierie nouvelle. Et ce d’autant plus que les attitudes des investisseurs deviennent plus spécifiques, avec une demande croissante d'investissements thématiques, sur des aspects environnementaux et sociaux spécifiques pour avoir des impacts tangibles. A mesure que leur appétit et leur compréhension de la durabilité deviennent plus sophistiqués et qu’ils passent du «devoir» investir de manière durable vers le «vouloir» avoir un impact, nous devons inventer des solutions tridimensionnelles qui accordent autant de poids au trio rendement, risque, et impact.