Se préparer à l’impact dans l’immobilier commercial

Aza Teeuwen, TwentyFour Asset Management

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Cette classe d’actifs attire des capitaux de divers investisseurs. Les évaluations sont-elles trop élevées?

©Keystone

Ces dernières années, l’immobilier commercial (commercial real estate, CRE) a attiré des capitaux de divers types investisseurs: parmi eux, des fonds de pension traditionnels et des investisseurs individuels, mais aussi un nombre croissant de grands fonds de private equity (PE). Cette tendance n’est pas une surprise: les taux d’occupation ont augmenté et l’offre n’a pas pu suivre le rythme de la reprise économique après la crise financière mondiale malgré le développement tous azimuts du secteur, ce qui a créé un environnement favorable aux prix de l’immobilier. Avec des évaluations qui ont de surcroît bénéficié de la politique d’assouplissement des banques centrales, cette classe d'actifs était attrayante pour de nombreux investisseurs au même titre que les prêts immobiliers commerciaux, soit directement pour les portefeuilles bancaires ou comme sous-jacent pour des transactions CMBS.

Les évaluations ont été dopées par les taux d’intérêt bas

Les évaluations des biens immobiliers commerciaux dépendent du revenu d’exploitation et des taux d’intérêt. Dans le cas d’une récession éventuelle, nous pourrions nous attendre à ce que les locataires soient moins désireux d’occuper des surfaces plus grandes et à une demande globalement faiblissante compte tenu de la nécessité pour certaines entreprises de réduire leurs effectifs. Toutefois, une récession frapperait différemment selon le pays et le secteur considérés.

S’il n’est pas possible de généraliser à propos du marché européen (et a fortiori mondial) de l’immobilier commercial, les évaluations paraissent très élevées et ont été dopées par les taux d’intérêt bas. Avec la hausse des taux, elles devraient baisser en conséquence. Cela prendra bien sûr du temps car le nombre de transactions est généralement très bas, mais si l’on en croit plusieurs sociétés d’études spécialisées dans l’immobilier commercial, nous nous trouvons actuellement dans un marché acheteur et les valorisations semblent trop élevées de 10 à 30% dans certains secteurs. On peut se demander si une baisse de cette ampleur se concrétisera, mais il ne fait aucun doute que de nombreux biens devront être vendus ou refinancés dans les années à venir.

Les marchés tendent à oublier les leçons du passé

Les investisseurs feraient bien de se souvenir que la plupart des pertes sur les ABS européens après 2008 venaient du secteur CMBS, dans un contexte où les biens immobiliers commerciaux étaient littéralement bradés par rapport à leur valeur estimée. Aujourd’hui, les biens immobiliers respectueux de l’environnement et bien situés avec des revenus élevés et diversifiés provenant de baux de longue durée seront beaucoup plus faciles à refinancer, et les fonds de private equity et «distressed» se tiennent prêts à voler au secours de ceux qui ne sont pas en mesure d’assumer un refinancement.

Au Royaume-Uni, une autre dynamique est à l’œuvre sur le marché de l’immobilier commercial: les fonds de pension britanniques amorcent tout juste leur rééquilibrage (ventes de fonds PE comprises) après la dégringolade qui a suivi le «mini-budget» désastreux du gouvernement précédent; sans compter que de nombreux investisseurs individuels sont également sortis du secteur. Un marché acheteur signifie également que l’exécution pourrait ne pas être à la hauteur des attentes des vendeurs, ce qui pourrait déclencher une baisse des évaluations encore plus importante au Royaume-Uni.

Certains sponsors auront des difficultés

S’agissant des prêts immobiliers commerciaux (et donc des CMBS), des valorisations plus faibles ne sont pas nécessairement un problème; si les rendements locatifs augmentent et que les sponsors sont disposés à mettre des capitaux sur la table, le refinancement est certainement possible. Les obligations contractuelles portant sur les ratios prêt/valeur et de couverture de la dette s’avèrent  traditionnellement très efficaces, mais certains grands sponsors ont pu emprunter en se passant largement ou totalement de ces garde-fous. Il nous paraît clair que certains d’entre eux auront des difficultés et que des prêts devront être prolongés (un point négatif pour les détenteurs d’obligations CMBS), ce qui signifie que les investisseurs en prêts immobiliers commerciaux et en CMBS devront faire preuve d’une vigilance extrême quant aux biens financés à l’avenir. Les rendements devraient refléter cette situation et tenir compte des informations différées que les investisseurs en CMBS reçoivent au sujet des baux nouveaux ou arrivant à échéance et des valorisations.

Nous sommes prudents en ce qui concerne l’exposition aux CMBS depuis quelque temps, ce qui ne veut pas dire que nous rejetons cette classe d’actifs en général mais que nous voulons être sélectifs.  Les immeubles de bureaux certifiés BREAAM ont toujours nos faveurs étant donné que les locataires et les propriétaires préfèrent les biens immobiliers respectueux de l’environnement. En revanche, nous agissons avec prudence dans le secteur de l’immobilier de détail et des hôtels. Quant à l’immobilier logistique, nous estimons que les évaluations sont actuellement trop élevées et que les détenteurs d’obligations ne sont pas récompensés pour le risque encouru.

Dans l’ensemble, nous préconisons de surveiller le secteur de l’immobilier commercial dans la mesure où il s’apprête à faire face à des défis de taille, mais des opportunités intéressantes pourraient également en découler compte tenu de l’impact potentiel sur les évaluations.

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