Dès 2018, Rani Jabban, Managing Director et membre du Comité exécutif d’Arab Bank Switzerland, a fait entrer la banque dans l’ère de la blockchain et des cryptos. Un parcours inédit qui en a fait l’une des banques les plus avancées dans cet univers, sans avoir renoncé à son cadre originel.
Comment êtes-vous entré dans le monde alors assez particulier de la blockchain et des cryptos?
J’ai commencé à m’intéresser à la blockchain et au bitcoin en 2017 avec le boom des ICO mais en suis resté loin lors de la première bulle de 2018. Dès le début, je ne me suis pas positionné en «maximaliste», persuadé que le bitcoin serait une solution universelle, mais j’ai très vite pensé que la blockchain était une technologie fabuleuse, susceptible de changer la donne dans l’univers financier. Or, la seule véritable application de la blockchain, alors et encore aujourd’hui, est dans le domaine des devises cryptos. Pour comprendre la blockchain, il faut passer par l’expérience crypto, une expérience que nous avons acquise au cours des cinq dernières années. Il ne s’agit pas de «plug & play» et il ne suffit pas d’offrir aux clients des bitcoins mais de devenir un acteur dans l’univers de la garde, de la tokenisation, du staking, du trading et dans toutes les activités relatives au négoce et à la conservation des actifs numériques.
Par où avez-vous commencé?
Arab Bank Switzerland a lancé le trading et le custody des monnaies numériques dès 2019, après avoir adopté en 2018 la solution de garde proposée par Taurus qui est, à nos yeux, bien plus qu’un prestataire. Nous les considérons comme un partenaire stratégique et avons participé à leurs levées de fonds A et B, ce qui fait que nous en sommes aujourd’hui le 2e actionnaire après les fondateurs de la société.
Qu’en est-il de votre proof-of-concept pour le trade finance?
Ce projet, mené avec la FIATA, vise à digitaliser le bill of lading utilisé dans le négoce des matières premières et, plus généralement, dans le transport international par mer. Pour des raisons d’interopérabilité, nous avions sélectionné une blockchain publique. Reste à compléter par une couche de protection des informations sensibles. Nous développons aussi des solutions pour les collectes de fonds des ONG car la blockchain permettrait de diminuer les coûts.
Vous vous êtes également intéressés à l’art numérique.
C’était une suite logique de la démarche vers la blockchain et les cryptos. Au-delà des pixels simplets de 2021, il existe toute une palette d’artistes extraordinaires.
De quelle manière Arab Bank Switzerland s’est-elle profilée sur ce terrain?
Nous avons lancé la garde des NFTs en 2022, en parallèle du lancement d’une collection d’art digital et du premier prix d’art digital au monde, cherchant à stimuler la visibilité et l’institutionnalisation des NFTs et des courants artistiques qui y sont associés. En novembre 2022, nous avons traité du sujet devant un parterre de clients et en avons reçu une réaction très positive. Au deuxième panel, tenu en novembre 2023, beaucoup de gens intéressés par l’art traditionnel sont venus écouter et se sont étonnés de ce qu’on parle tant de code et de crypto mais si peu d’art numérique et de démarche artistique. Ce qui n’était qu’une curiosité acquiert peu à peu un statut établi et nous avons changé le titre du prix pour refléter l’évolution des mentalités. De NFT Art Prize, nous avons retiré le terme de NFT pour le renommer Digital Art Prize.
Cette initiative ne va-t-elle pas au-delà de l’art numérique?
Effectivement. Au sein d’un partenariat avec le Musée d’Orsay, Arab Bank Switzerland a joué le rôle de mécène pour la création et l’exposition de la sculpture de l’artiste français Agoria, mélange de numérique et de physique, qui projette un QR code en fonction de la lumière et a été exposée pendant un mois dans le musée en début d’année.
La blockchain représente-t-elle un atout pour les artistes?
Sans aucun doute. En permettant une transmission aisée mais sécurisée, elle donne davantage de pouvoir aux artistes. Les premiers artistes d’art digital avaient du mal à commercialiser leurs œuvres: le NFT a permis de créer un marché et l’émergence d’artistes digitaux natifs. Si nous prenons l’exemple du gagnant du prix de cette année, RVig, il faisait de l’art digital depuis 25 ans mais il lui était très difficile de vendre et de protéger ses œuvres. Avec le NFT, qui est un titre de propriété numérique, la chose devient plus aisée. L’art numérique ne représente encore que moins de 5% du marché de l’art (environ 5 milliards de francs) mais fait désormais partie des plus grandes ventes des dernières années. Cette forme d’art parle aux nouvelles générations de dirigeants qui achètent un art dans lequel elles se retrouvent. A l’heure actuelle, le marché est financièrement dominé par des artistes et des collectionneurs américains mais nous avons reçu des candidatures de 40 nationalités différentes car l’accès est facilité par la technologie.
Quelle proportion de vos actifs sous gestion sont-ils placés sur des actifs numériques et quelle en est la clientèle?
Le numérique représente entre 4 et 5% de nos actifs sous gestion et est destiné à des clients cryptonatifs (fondateurs de startups vendues, acteurs précoces de la blockchain de départ, acheteurs historiques de bitcoins) aussi bien qu’à une clientèle traditionnelle. L’introduction des actifs cryptos n’a en rien changé notre vocation de départ, celle d’une banque privée établie depuis soixante ans.