L’allocation d’actifs en dix points

Emmanuel Ferry, Union Securities Switzerland SA

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Le début d’année permet de dresser quelques enseignements pour la conduite de l’allocation d’actifs cette année.

  • 1. Les actions mondiales sont déjà en hausse de 5,7% cette année, soit une performance identique à l’année dernière sur la même période. La dynamique est toutefois différente. Si la fin de l’année 2023 avait connu un «garbage rally» soutenu par des anticipations agressives de baisses de taux de la Fed, le début d’année est nettement plus sélectif. La détente significative des conditions monétaires en fin d’année (pivot monétaire de la Fed) s’est interrompue en janvier, notamment suite au contrepied de la Fed, conditionnant les baisses de taux à une poursuite du repli de l’inflation.
  • 2. Le leadership s’est à nouveau concentré sur les géants de la tech, avec un biais semi-conducteurs / intelligence artificielle. Si on exclut les 25 premiers contributeurs à la hausse du S&P500, le S&P475 ne progresse que de 2,7% au cours des deux premiers mois de l’année (vs. +13,5% pour les 25 premiers contributeurs). NVIDIA a progressé de 63% au cours des deux premiers mois de l’année, ayant une contribution à la hausse du S&P500 équivalente à celle du S&P475. La concentration du marché actions américains est désormais extrême, dépassant les précédents pics historiques (2000, 1941), pour se rapprocher du record enregistré en 1933 (sur la base du poids dans la capitalisation boursière des 10% des sociétés cotées).
  • 3. L’accentuation des craintes sur le marché de l’immobilier commercial américain (qui totalise une valeur de 20 trillions de dollars) a pesé à nouveau sur les banques régionales. Cela s’est traduit par une forte dispersion entre les sociétés ayant des bilans solides et celles ayant un profil de zombie. Les besoins de refinancement à l’horizon fin 2025 sont estimés à 1 trillion dans l’immobilier commercial. Cette menace est perçue comme l’épicentre d’une possible prochaine crise financière.
  • 4. Pourtant, les spreads de crédit High Yield ont continué de se compresser, passant de 440pb fin octobre 2023 à 310pb aujourd’hui, ce qui constitue un retour vers les précédents points bas historiques (2021, 2007, 1997). Or, le marché du crédit précède en général le marché actions. Ce point est particulièrement crucial au vu de la configuration actuelle, dominée par un point bas structurel de la volatilité et un pic structurel d’endettement des entreprises.

En termes réels, l’or demeure 17% en dessous du pic historique de 1980.

  • 5. La séquence haussière actuelle de +24% pour le S&P500 depuis fin octobre n’est pas exceptionnelle mais pourrait assez vite marquer une pause. En moyenne depuis 1929, le marché actions américain connait des pullbacks (repli de 5%) trois fois par an et des corrections (baisse d’au moins 10%) une fois par an. La dernière correction a eu lieur entre les mois d’août et octobre 2023 (-10,3% pour le S&P500), faisant suite à l’ajustement de 7,5% en février-mars 2023.
  • 6. La classe d’actifs obligataire demeure en légère baisse au début mars (-1,4% pour le US Agg Bond index, -0,7% pour le Global Agg). La dette US est toujours en dessous de son précédent point haut depuis 43 mois, de -11,3% contre un maximum de -17,2%. Le réajustement des attentes sur la Fed a pesé sur les marchés obligataires. Les Etats-Unis affichent des chiffres records sur la dette publique: un encours de 34,5 trillions de dollars, soit un rythme actuel de progression de 1 trillion chaque trimestre. Si le risque de crédit des Etats-Unis demeure stable, les cours de l’or, classe d’actifs lié à la thématique de débasement, ont progressé au-delà de 2100 USD/oz, précédent record. Toutefois en termes réels, l’or demeure 17% en dessous du pic historique de 1980. De son côté, le Bitcoin a connu une envolée significative au-delà de 65’000 dollars (+58% en début d’année), soutenu par l’approbation d’ETF crypto, ce qui légitimise la nouvelle classe d’actifs.
  • 7. Le mix macro «croissance / inflation» demeure favorable aux Etats-Unis. Les attentes de croissance du PIB pour 2024 sont revues en hausse de manière continue depuis août dernier, à l’inverse du consensus sur l’Europe et la Chine. Le leadership américain se confirme, au-delà de la thématique technologique. Si on considère des indices équipondérés en dollar, les actions mondiales sont quasiment inchangées depuis le début de l’année, le marché US est en hausse de 3,8%, l’Europe est en baisse de -1,1% et les émergents de -1,3%. Le Japon, dont l’indice Nikkei progresse de près de 20% cette année, s’inscrit derrière les Etats-Unis sur un base comparable (+3,3%).
  • 8. La polarisation sur le cash est maximale. L’encours des fonds monétaires dépasse 6 trillions de dollars (+1,2 trillion sur un an), soit un record historique. L’attractivité relative des liquidités est au plus haut depuis 2000 face aux actions (écart Earning Yield – rendement du Cash), tandis que la pente de la courbe des taux US reste fortement inversée (US 10-2 ans: -41pb; contre une moyenne de long terme de +85pb). La réallocation des liquidités sera un thème clé d’allocation d’actifs ces prochains trimestres. La remontée des indicateurs avancés d’inflation, si elle se confirme, pourrait contrarier la re-normalisation des deux grandes classes d’actifs actions et Govies (décorrélation, performance ajustée du risque). A l’inverse, cela est susceptible de soutenir les matières premières et les stratégies absolute returns. Les cours du pétrole brut sont déjà en progression de près de 12% depuis le début de l’année.
  • 9. La remontée de la volatilité implicite des actions depuis le point bas de décembre (VIX passant de 12 à 14 aujourd’hui) est encore très graduelle. La faiblesse de la volatilité implicite et de l’écart de volatilité «implicite – réalisée» témoigne d’un excès de complaisance à ce stade du cycle, notamment au terme d’un cycle agressif de resserrement monétaire. C’est la deuxième anomalie de marché, après celle liée à la faiblesse des spreads de crédit High Yield. La normalisation de ces deux éléments pourrait aller de pair.
  • 10. Les points clés à surveiller sont d’abord du côté de la Fed, avec un possible scénario de statu quo monétaire plus durable et une sous-estimation par le marché de l’impact lié aux retraits de liquidité (QT). Sur le plan bottom-up, la question porte sur l’évolution des marges bénéficiaires, avec un risque de squeeze (hausse des coûts salariaux et de la charge d’intérêts, affaiblissement de la croissance topline), susceptible de créer davantage de dispersion entre les sociétés. Enfin, sur un plan top/down, les questions vont se focaliser sur le profil de l’inflation, la contagion éventuelle de la crise du commercial real estate américain aux banques, et l’élargissement de la profondeur de marché Actions en dehors du momentum AI/Tech.

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