L’investisseur face au risque géopolitique

Emmanuel Ferry, Union Securities Switzerland SA

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Les attaques terroristes du Hamas sur Israël et le risque d’extension du conflit nous rappellent l’importance des risques extra-financiers de type géopolitique.

Les événements géopolitiques ont des impacts marqués et une probabilité d'occurrence très faible. La transmission économique d'un choc géopolitique peut être temporaire ou persistante. Les effets sur les marchés financiers sont toujours ponctuels dans un premier temps: la baisse des marchés actions (S&P500) autour des événements géopolitiques est en moyenne de 6% sur une durée de 14 jours, suivie d'un rebond en moyenne de 7,4% sur 23 jours. Ces observations sont basées sur 60 années d’histoire boursière et près d’une vingtaine d’épisodes. Le marché avait perdu 6,5% durant la Guerre des Six Jours (1967) et -13,9% durant la Guerre du Kippour (1973).

Le pattern est donc une première baisse rapide mais d’ampleur limitée, suivie d’un retracement total du choc initial. Cela signifie que la meilleure stratégie pour l'investisseur pourrait être de ne pas réagir quand le choc éclate. Une sur-réaction émotionnelle serait forcément destructrice de valeur (vendre trop tard et racheter trop tard, ce qui revient à cristalliser la perte). Si l'événement à des conséquences durables (récession, inflation, remontée des primes de risques, changement des corrélations entre classes d’actifs, ...), il entraînera inévitablement une inflexion de tendance, qu'il conviendra alors d'intégrer dans l'allocation d'actifs. Il n'y a pas de moyens crédibles de couvrir le risque géopolitique dans un portefeuille. Donald Rumsfeld, Secrétaire de la Défense des États-Unis, avait très bien résumé en février 2002 la problématique, qui pourrait s'appliquer parfaitement bien à l’investissement: «Il y a des choses qui sont connues comme étant connues. Et il y a celles qui sont connues comme étant inconnues. C'est-à-dire qu'elles sont, à l'heure actuelle, connues comme n'étant pas connues. Mais il y a aussi tout l'inconnu inconnu. Ce sont les choses dont il n'est pas connu qu'elles sont inconnues».

Depuis plusieurs années déjà, le retour du risque géopolitique a pour toile de fond la transition vers un nouvel équilibre stratégique international et un contexte macro-financier plus fragile.

Si un scénario d’investissement peut difficilement intégrer des prévisions géopolitiques, le fait géopolitique peut néanmoins être structurant pour les marchés financiers. C'est la Guerre du Viêt Nam qui entraîne les Etats-Unis dans le double bear market Actions et obligataire, qui s'étendra de 1966 à 1981. Ce sont les dividendes de la paix issues de la fin de la Guerre froide avec la chute du Mur de Berlin en 1989 qui accélèrent le processus de compression des primes de risque (réduction des dépenses publiques, globalisation, déréglementation, indépendance des banques centrales) dans les années 1990. Plus proche de nous, c'est le déclenchement de la deuxième Intifada le 28 septembre 2000 – un an avant les attentats du 11 septembre – qui marque le retour du risque géopolitique global.

Depuis plusieurs années déjà, le retour du risque géopolitique a pour toile de fond la transition vers un nouvel équilibre stratégique international (monde multipolaire) et un contexte macro-financier plus fragile: retour de l'Etat dans l'économie, regains protectionnistes, fin du multilatéralisme et émergence de nouvelles alliances, relance des dépenses militaires, ruptures plus fréquentes dans l'approvisionnement des ressources naturelles. Pour l'investisseur, la grille de lecture des risques géopolitiques s'articule autour de quatre principaux facteurs de tensions: 1/ les tensions dans les ressources naturelles, avec des chocs d'offre ou des revendications territoriales (pétrole, matières premières agricoles, eau, métaux industriels); 2/ le creusement des inégalités, qui peuvent conduire à des mesures protectionnistes, des mesures de rétorsions commerciales, ou une guerre des changes; 3/ des ambitions nationalistes, associées au risque de prolifération nucléaire ou des contestations de frontières; 4/ des revendications idéologiques spécifiques (attaques terroristes).

Les réponses dans un portefeuille sont multiples: 1/ la diversification vers des classes d’actifs non traditionnelles (matières premières); 2/ la discipline de gestion (réduire les biais de comportement); 3/ s’assurer d’être en mesure de profiter des chocs de volatilité; 4/ avoir une forte exposition à des stratégies «anti-fragiles», qui auront la réelle capacité de se renforcer dans les phases de tensions (absolute returns, contrôle de risque, pur alpha).

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