La vue tactique s’assombrit

Emmanuel Ferry, Evooq

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Des paramètres techniques qui se dégradent depuis le printemps, mais pas suffisamment pour alimenter un scénario baissier.

Il est trop tôt pour opérer un tournant défensif. La rotation basée sur les fondamentaux n’est pas terminée. Les investisseurs vont continuer d’acheter les replis de marché, mais toute reprise future nécessitera une participation plus large sur le plan technique. Une meilleure performance de l'indice S&P500 équipondéré par rapport à l'indice S&P 500 (c'est-à-dire pondéré par les capitalisations boursières) indique une large participation du marché et des conditions de marché favorables aux stock pickers. Ce fut le cas entre septembre 2020 et mai 2021, signalant un changement de leadership du marché en faveur des valeurs cycliques et Value. Le récent retracement a été alimenté par les craintes relatives à la résurgence de la pandémie, à une dynamique conjoncturelle qui a dépassé son pic et à des craintes d’épuisement de la reflation.

L’inversion de la rotation et la détérioration de la profondeur des marchés sont actuellement des forces dominantes. Depuis avril, le leadership des petites capitalisations et des valeurs cycliques a cédé la place aux FAANG+. Les mega-caps technologiques se sont avérées être un endroit défensif où se cacher lorsque les craintes liées à la pandémie augmentent. Plus récemment, la baisse inattendue des taux d’intérêt à long terme et l’aplatissement concomitant de la courbe de taux ont soutenu les thèmes risk-off, selon un scénario de fin de cycle qui se dessine en pointillés. Ces inversions de rotation ont entraîné une baisse de la participation sur le plan technique. La profondeur de marché à long terme des titres cotés au NYSE se détériore graduellement, tandis que celle à moyen terme se dégrade plus nettement, envoyant un message clairement baissier (illustrée par le pourcentage de titres du NYSE clôturant au-dessus de la moyenne mobile à 50 jours). Le pourcentage d'actions qui traitent au-dessus de leur moyenne mobile à 50 jours a chuté, surtout dans les secteurs cycliques. Les secteurs cycliques ont davantage souffert de la résurgence des cas de COVID-19 que les secteurs défensifs. Alors que 29% des actions cycliques sont au-dessus de leur moyenne mobile à 50 jours, 54% des actions défensives le sont. Lorsque la profondeur de marché des valeurs défensives est supérieure à celle des valeurs cycliques, le marché des actions au sens large a tendance à délivrer des gains plus modestes.

Les taux réels sont trop bas pour se positionner sur un scénario de dynamique de fin de cycle.

Le momentum de prix devient négatif dans les marchés émergents. Les actions des marchés émergents ont effacé tous leurs gains de l'année et se dirigent vers leur pire mois depuis mars 2020. La Chine est le principal contributeur négatif: le MSCI China (qui représente près de 40% de l'indice MSCI Emerging Markets) est en baisse de 12% cette année, contre une hausse de 8% pour le MSCI EM ex China. L'indice MSCI EM a franchi sa moyenne mobile 200 jours, cassant un support clé, annonciateur de nouvelles pressions à la baisse. Les précédents épisodes de forte baisse déclenchés par le signal de franchissement de la moyenne mobile à 200 jours ont eu lieu en 2020 (-27%), 2018 (-18%), 2015 (-31%) et 2011 (-27%). Les autres signaux ont été plus modérés, dans une fourchette de -5% à -15%.

Les actions des pays émergents sont confrontées à plusieurs vents contraires, comprenant l'incertitude réglementaire pour l'industrie technologique chinoise, le resserrement des liquidités en Chine, plusieurs relèvements de taux directeurs dans les EM, un ralentissement de la dynamique macroéconomique (faiblesse des PMI) et des bénéfices, un dollar plus fort et un déploiement plus lent de la vaccination. Malgré le positionnement plus léger des investisseurs et la forte décote de valorisation sur la Chine, les catalyseurs positifs font encore défaut. Les EM hors Chine offrent un meilleur profil risque/rendement, avec un biais plus cyclique et une plus grande sensibilité à la réouverture. D'un point de vue cross assets, nous privilégions la dette des pays émergents par rapport aux actions, en particulier en ce qui concerne les actifs chinois. L'aversion au risque déclenchée par l'effondrement du secteur technologique chinois pourrait se répercuter sur le yuan, via la vulnérabilité des banques chinoises. Le retour brutal du facteur politique en Chine pourrait accroître la pression sur la monnaie chinoise, qui semble surévaluée en raison de la plus grande fragilité des institutions financières chinoises. La dernière fois que la PBOC a été contrainte de déprécier la monnaie en 2018, le marché boursier chinois a chuté de plus de 30%. Une dévaluation chinoise constituerait donc un risque déflationniste majeur.

Malgré cette toile de fond qui s’assombrit, le sentiment des investisseurs demeure positif, avec toujours une propension forte à acheter les baisses de marché. Cette mentalité «buy the dip» reste une stratégie gagnante, en raison de la persistance de fondamentaux solides et de la convexité fournie par les banques centrales. En effet, les conditions monétaires sont toujours très accommodantes. Les taux réels et les conditions financières soutiennent la croissance économique à moyen terme et les actifs risqués à court terme. Le niveau durablement bas des taux incite fortement à conserver un biais procyclique. Les taux réels sont trop bas pour se positionner sur un scénario de dynamique de fin de cycle. Ils offrent un coussin significatif en cas d’orientation plus restrictive des conditions monétaires. La transmission de la politique monétaire fonctionne bien et la stabilité financière est assurée. C’est le message apporté par l'indice des conditions financières de la Fed de Chicago. Les pressions inflationnistes en amont ont commencé à se modérer, ce qui devrait contribuer à atténuer l'impact de la hausse des prix des biens intermédiaires. Il est encore trop tôt pour statuer sur une contagion aux salaires.

Le repli important des taux d’intérêt à long terme demeure une énigme. Cela a eu pour conséquence d’alimenter un scénario de fin de cycle avec une rotation défensive, ce qui semble prématuré. La diversification demeure la meilleure ligne de défense, dans un contexte peu lisible à court terme.

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