Que signifie le retour du Value

Emmanuel Ferry, Evooq

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Après avoir sous-performé pendant plus d'une décennie, le style Value est presque tombé en désuétude.

L’année 2020 a été un moment charnière pour faire pivoter les portefeuilles selon trois dimensions: 1 réduction maximale de la duration; 2. exposition maximale aux matières premières; 3. rotation vers le style Value. Si les deux premiers points sont désormais très consensuels, le sujet du Value fait toujours débat. Après avoir sous-performé pendant plus d'une décennie, le style Value est presque tombé en désuétude. Cette approche d'investissement, qui cherche à identifier des actions bon marché par rapport à leurs fondamentaux, est restée en vogue jusqu'à la crise financière de 2008, avant d'entamer un long déclin par rapport aux valeurs de croissance. On peut s'attendre à un retour du Value en 2021 pour trois raisons: l'environnement économique est sur le point de changer, les actions sont chères et il y a des signes grandissants de déconnexion entre la dynamique des prix et les fondamentaux.

La performance récente des actions provient davantage de l'expansion des valorisations que de la croissance des bénéfices. En conséquence, des multiples comme le ratio cours / bénéfice prospectif ont atteint des niveaux jamais vus depuis la bulle Internet. Cela est particulièrement vrai aux États-Unis. La dynamique de valorisation du marché américain mérite également d'être évoquée. La dispersion entre les actions les moins chères et les plus chères est proche des sommets historiques. Ceci est typique des marchés où les investisseurs deviennent trop complaisants et réagissent de manière excessive aux nouvelles.

Certaines dynamiques récentes, comme la flambée
des petites capitalisations, sont difficiles à justifier rationnellement.

L'environnement économique qui prévaut depuis 2008 a contribué à la sous-performance du Value, notamment aux États-Unis. La faiblesse des taux d'intérêt a soutenu les actifs à duration longue, tels que les actions de Croissance. Les deux seuls rebonds du style Value, en 2012-13 et 2016, ont coïncidé avec des périodes de reflation, lorsque les marchés ont momentanément cessé de croire à la persistance des taux bas. Alors que l'économie émerge du choc du Covid-19 et reste soutenue par des plans de relance massifs, ce biais vers le style Croissance va probablement s'affaiblir, au profit du style Value qui bénéficie du cycle de reflation. De plus, l’oligopolisation de l'économie américaine – phénomène ancien mais qui s’est accéléré depuis la crise financière - a permis à certains grands noms de la technologie de bénéficier d'un retour sur investissement élevé sur de longues périodes, pénalisant de fait le Value par rapport au style Croissance.

L'investissement Value a été conceptualisé à l'origine à la fin des années 1920 et développé dans les années 1930, notamment par Benjamin Graham. Son objectif initial était d'éviter les bulles spéculatives, c'est-à-dire les déconnexions extrêmes entre la dynamique des prix et les fondamentaux. Ce raisonnement prend tout son sens dans l'environnement actuel. Certaines dynamiques récentes, comme la flambée des petites capitalisations ou la surperformance massive de certaines valeurs technologiques non rentables, sont difficiles à justifier rationnellement. Ils semblent plutôt refléter des dysfonctionnements dans la relation entre les prix et les fondamentaux, avec des conséquences qui seront inévitablement désastreuses pour les investisseurs.

Le rééquilibrage de l’allocation Actions en faveur du style Value
ne peut attendre, même s’il y a encore des inconnues.

L'idée fondatrice de l'investissement Value est de mettre l'analyse fondamentale et la discipline de prix sur un pied d'égalité. L'objectif est d'obtenir une «marge de sécurité», comme l'appelait Graham. L’évolution des fondamentaux d’une entreprise ne peut être prédite avec certitude, mais le cours de bourse à l’instant t est une donnée connue. D'où l'importance de maintenir une discipline d'achat, c'est-à-dire d'investir lorsque le prix est nettement inférieur à la valeur intrinsèque de l'entreprise. Le problème avec les indices Value tels qu'ils sont construits aujourd'hui est qu'ils sont dérivés essentiellement de multiples de valorisation. En d'autres termes, la valeur intrinsèque n’est qu’une donnée comptable sans ajustement pour mieux refléter les réalités économiques et sans recherche de diversification, notamment au niveau sectoriel. Par exemple, l’ETF S&P 500 Value surpondère fortement le secteur financier et présente une sous-pondération encore plus grande dans le secteur de la technologie, qui résulte en grande partie de l'utilisation de données comptables non ajustées.

Le Value doit être appréhendé comme une source d’alpha, non pas comme une prime de risque. La performance relative de l'indice MSCI USA Quality par rapport à l'indice MSCI USA Value pendant plus de 40 ans révèle une corrélation significative avec le taux d'endettement des entreprises américaines. Cela suggère que les indices Value ne sont qu'un proxy du risque de défaut. Une telle relation n'a pas grand-chose à voir avec le concept de marge de sécurité et ignore l'importance de développer une vision fondamentale des entreprises. Les indices Value conduisent en fin de compte à investir de façon passive dans des sociétés de faible qualité, transformant le Value en une prime de risque de défaut étroitement liée au cycle macroéconomique. La vraie gestion Value, quant à elle, recherche les entreprises dont la valeur n'est pas reconnue par le marché. Cette distinction est significative. L'investissement Value ne consiste pas à s'exposer à une prime de risque mais à identifier les inefficiences de marché qui résultent des biais comportementaux des investisseurs.

C’est la raison pour laquelle le rééquilibrage de l’allocation Actions en faveur du style Value ne peut attendre, même s’il y a encore des inconnues, donc la principale est la capacité de l’économie à se normaliser durablement sans l’assistance des banques centrales.

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