Actions technologiques: une bulle 2.0?

Charles-Henry Monchau, FlowBank

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Les grandes capitalisations technologiques atteignent de nouveaux records. Va-t-on connaître le même épilogue qu’en l’an 2000?

L’indice MSCI des technologies de l’information est en hausse de près de 40% depuis le début de l’année. Une très nette surperformance par rapport à l’indice global qui affiche un gain de 13% en 2020. Mais le différentiel est encore plus marqué si l’on isole sept lettres magiques, les FATMANG (Facebook, Apple, Tesla, Microsoft, Amazon, Netflix et Google). Ce panier de très grandes capitalisations technologiques affiche une progression de 60% en 2020. Le poids de ces 7 géants dans les principaux indices actions a triplé depuis 2015. En effet, ces titres représentent désormais près de 15% d’un indice des pays développés.

Pour les plus expérimentés de nos lecteurs, ce scénario ressemble à s’en méprendre à celui de la fin des années nonante où une «exubérance irrationnelle» avait propulsé les actions technologiques – et notamment certaines grandes capitalisations emblématiques – à des niveaux de performance et d’évaluation stratosphériques.

Il existe toutefois certaines différences avec la période précitée. Tout d’abord, la performance du Nasdaq était nettement plus impressionnante que celle d’aujourd’hui: plus de 600% de hausse pendant la bulle «dotcom» contre un plus «modeste» gain de 200% entre 2015 et 2020. Il en est de même pour les niveaux d’évaluation. Au plus haut de la bulle, les multiples P/E (basés sur les bénéfices des 12 derniers mois) dépassaient allégrement les 80x. En 2020, ces multiples sont d’environ 35x. Cependant, la situation se complique si l’on regarde les évaluations des FATMANG: plus de 100x les bénéfices réalisés.

Dans le cycle actuel, l’évolution
des bénéfices est nettement plus favorable.

Au-delà des performances et des niveaux d’évaluation, il existe deux autres différences de taille concernant 2020 et la bulle internet. La première est celle de la croissance bénéficiaire. Au début du siècle, la très grande majorité des titres technologiques n’était pas en mesure de générer un profit. L’optimisme des investisseurs était tel que très peu de considération était donné aux perspectives bénéficiaires à court ou moyen terme. De plus, les marchés n’avaient pas non plus intégré les conséquences de la «guerre technologique», un processus Darwinien où peu d’entreprises seraient capables de survivre. Mais dans le cycle actuel, l’évolution des bénéfices est nettement plus favorable. C’est d’ailleurs encore plus vrai pour les FATMANG dont les bénéfices ont cru de 350% depuis 2015 alors même que ceux d’un indice monde affichent un recul d’environ 10% sur la même période. Une dichotomie qui nous amène un autre élément différenciant: la prime à la croissance. A la fin des années 1990, la conjoncture économique était nettement plus florissante qu’actuellement. Par exemple, la croissance du PIB nominal aux Etats-Unis s’affichait en moyenne aux alentours des 6% contre moitié moins ces dernières années. Par conséquent, la progression des résultats des entreprises s’en ressent ce qui poussent les investisseurs à payer une prime plus élevée pour les titres à forte croissance. Ce contexte valide dans une certaine mesure l’envolée des FATMANG. 

Mais cet engouement pour les actions technologiques est-il pérenne? Est-ce que certains éléments pourraient mettre un coup d’arrêt à la surperformance des «mastodontes» précités? 

A l’aube de 2021, les investisseurs doivent intégrer de nouveaux éléments. Tout d’abord de bonnes nouvelles économiques qui pourraient, paradoxalement, remettre en question l’hégémonie des titres de croissance. En effet, une hausse de la croissance du PIB nominal devrait entrainer mécaniquement une baisse de la prime accordée aux titres de croissance. Une forte reprise économique en 2021 pourrait inciter les épargnants à effectuer une rotation de leurs portefeuilles, en privilégiant les secteurs et les titres se traitant avec une décote et affichant un net retard de performance. C’est le cas par exemple des «cycliques» telles que les pétrolières. Il est également intéressant de noter que pour la première fois depuis longtemps, la croissance bénéficiaire attendue est supérieure dans les secteurs hors technologie.

Un tarissement des liquidités risquerait de «purger»
certains des excès observés cette année.

Une reprise économique forte pourrait également inciter les banques centrales à mettre un frein à leur politique monétaire ultra-expansive. Un tarissement des liquidités risquerait alors de «purger» certains des excès observés cette année: la spéculation de la part des petits porteurs (qui constituent désormais près de 20% des volumes aux Etats-Unis contre 10% au début de la décennie), l’explosion des introductions en bourse (IPO) et autres SPAC (les sociétés «chèque en blanc»), etc. 

D’un point de vue plus micro-économique, signalons également que l’étau règlementaire se resserre chaque jour davantage sur les GAFA, et ce des deux côtés de l’Atlantique. Facebook pourrait par exemple être bientôt obligé de se séparer de WhatsApp et d’Instagram. 

Tout comme en 2000, la question de la croissance bénéficiaire de certaines entreprises technologiques à long-terme pourrait également se poser. C’est le cas par exemple de sociétés de logiciels telles que Snowflake qui se paye sur une base de 100x les ventes de l’année prochaine. Certes, ce multiple devrait descendre à 15 fois dans quelques années mais il faudra que la croissance soit au rendez-vous. 

Enfin, il faut également citer le rôle joué par la gestion passive (les fameux ETF). Le marché haussier dans lequel nous nous trouvons a engendré un cercle vertueux: plus les grandes capitalisations technologiques performent, plus leur poids dans les indices est important, meilleure est la performance des ETF, plus les flux vers les ETF sont conséquents, ce qui contribue à des achats supplémentaires sur les grandes capitalisations, etc. Mais ce cercle vertueux pourrait vite se transformer en un cercle «vicieux», où la baisse des cours des FATMANG déclencherait des flux vendeurs sur les ETF, accélérant de facto la spirale baissière.

Pour conclure, il s’agit pour les investisseurs de revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire sélectionner les entreprises les mieux à même de bénéficier des tendances disruptives sans «surpayer» la croissance attendue. Tout un programme…

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