Recette d’un piège fiscal méconnu

Michel Abt & Romain Baume, FBT Avocats

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Modification de régime matrimonial et droits de donation: danger méconnu planant au-dessus des contribuables genevois actuellement ou précédemment imposés d’après la dépense.

Dans le canton de Genève, les donations entre conjoints sont intégralement exonérées d’impôts… sauf pour les contribuables imposés d’après la dépense. Cette exception à l’exemption est généralement bien connue en son principe. Mais cette contre-exemption n’est pas sans subtilités, ce qui peut notamment aboutir à de fâcheuses conséquence fiscales lorsqu’un couple de forfaitaires ou d’ex-forfaitaires procède à un changement ou une modification de son régime matrimonial.

Dans la mesure où la notion de «régime matrimonial» est consubstantielle au mariage et que les couples mariés sont exonérés de droits de donation pour l’ensemble des transferts de valeurs entre conjoints sur le territoire genevois, aborder les risques fiscaux en termes de droits de donation liés à une modification de régime matrimonial pourrait à première vue laisser à penser que cet article était destiné à une publication en date du 1er avril. Il n’en est toutefois rien.

Par l’effet de l’article 27A alinéa 2 de la Loi sur les droits d’enregistrement (LDE), les contribuables imposés d’après la dépense («au forfait») se retrouvent astreints au paiement de droits de donation au titre de l’ensemble des flux financiers transitant entre eux.

Au-delà de l’exonération de base de CHF 10'000, la charge fiscale à laquelle ils s’exposent est loin d’être négligeable, le taux d’imposition applicable oscillant de 3% pour une donation dès CHF 10’001 à une taxation à hauteur de 6 % à partir de CHF 500'000. Autant dire que la facture fiscale finale peut s’avérer salée.

Alerte sur un risque d’imposition déduit de deux constats simples mais trop souvent oubliés.

Dans le contexte particulier d’une modification du régime matrimonial de contribuables imposés au forfait ou imposés au rôle ordinaire mais ayant antérieurement été taxés selon la dépense, le présent article vise à alerter sur un risque d’imposition déduit de deux constats simples mais trop souvent oubliés.

Tout d’abord, le passage d’une imposition au forfait à une imposition ordinaire ne produit aucun effet immédiat en termes d’exonération de droits de donation s’agissant d’opérations entre conjoints.

En effet, les couples qui ont préalablement été imposés d’après la dépense ne sont «libérés» des droits de donation qu’à partir du moment où ils ont été taxés trois années durant de manière ordinaire. En pratique, cela signifie qu’un couple imposé au forfait depuis le 1er janvier 2023 ne pourrait bénéficier de l’exonération qu’à compter de 2026 au plus tôt, soit après avoir été taxé – de manière définitive, la loi l’exige expressément – «à l’ordinaire» trois ans de suite, de 2023 à 2025.

En conséquence, dans le cas de figure exemplatif de conjoints imposés au forfait jusqu’au 31 décembre 2022, une donation qui aurait le malheur d’intervenir avant la décision de taxation définitive 2026 serait soumise à droits de donation, comme si elle était intervenue alors que les époux étaient encore imposés d’après la dépense.

Ce décalage entre la sortie du régime de l’imposition au forfait et l’entrée dans le champ de l’exonération de droits de donation est d’autant plus problématique qu’il dépend d’un événement temporel incertain, à savoir le délai dans lequel l’administration fiscale clôturera les trois exercices fiscaux postérieurs à l’abandon de l’imposition d’après la dépense.

De manière générale, il devrait toutefois être possible de différer un besoin de donation entre conjoints dans l’attente que celle-ci puisse être réalisée au bénéfice de l’exonération ou de trouver une solution alternative transitoire.

Mais ce qu’il ne faut sous aucun prétexte perdre de vue, c’est que certaines opérations peuvent déclencher des droits de donation sans que l’on en ait conscience : comme par exemple un changement de régime matrimonial ou un aménagement du régime matrimonial existant.

De par la loi effectivement, toute modification du régime matrimonial intervenant dans le canton de Genève – indépendamment de toute liquidation concrète donc – est soumise à droits de donation calculés sur la valeur des biens auxquels la modification du régime confère une nouvelle prétention pour l’un et/ou l’autre des époux. C’est l’objet de l’article 69 Loi sur les droits d’enregistrement (LDE).

En se référant une nouvelle fois à l’exemple d’un couple d’ex-forfaitaires imposé de manière ordinaire à compter du 1er janvier 2023, les contribuables se retrouveraient grevés d’une charge fiscale lourde et très certainement non anticipée s’ils devaient procéder à une modification de leur régime matrimonial à une date où ils n’auront pas encore été taxés de manière définitive pour les années 2023, 2024 et 2025.

Nul doute que nombre de déconvenues fiscales de ce type sont déjà advenues et que chacun serait heureux de ne pas en faire les frais, à titre personnel ou en qualité de mandataire.

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