L'imposition des biens immobiliers français en Suisse

Michel Abt & Romain Baume, FBT Avocats

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Le Tribunal fédéral ouvre grand la porte à une imposition en Suisse des biens immobiliers français détenus au travers d’une société civile immobilière (SCI) française.

Aux termes de l’arrêt du 13 décembre 2022 (2C_365/2021), le Tribunal fédéral a ratifié la conformité au droit d’une pratique nouvelle, et pour l’heure isolée, de l’Administration cantonale des impôts (ACI) vaudoise aboutissant à imposer en Suisse le patrimoine immobilier français exonéré en France de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Explications succinctes.

Les biens immobiliers situés en France sont soumis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), indépendamment du lieu de résidence de leurs propriétaires.

Les contribuables établis en Suisse sont donc assujettis à l’IFI lorsqu’ils détiennent du patrimoine immobilier en France, à moins que la valeur fiscale de leur(s) bien(s) soit inférieure à la valeur seuil de EUR 1,3 million déclenchant en France l’assujettissement à l’IFI.

Lorsque le patrimoine immobilier français est détenu directement par un contribuable suisse (personne physique), la valeur des biens immobiliers français n’est pas imposable en Suisse au titre de la fortune, mais exclusivement en France.

En revanche, lorsque le patrimoine immobilier français est détenu de manière indirecte par les contribuables suisses, typiquement en tant qu’actionnaires d’une société immobilière, détenant la propriété juridique du (des) bien(s) immobilier(s), la nature «immobilière» du patrimoine est reléguée au second plan, ce qui autorise la Suisse à fiscaliser ce patrimoine.

Le Tribunal fédéral vient effectivement d’avaliser pour la toute première fois le droit pour l’Administration cantonale des impôts (ACI) de taxer une contribuable vaudoise en lien avec un patrimoine immobilier français, détenu par le truchement d’une société civile immobilière (SCI) de droit français, dans la mesure où la valeur des deux immeubles en France (un peu plus d’un million d’euros) était inférieure au seuil de l’IFI (EUR 1,3 million).

Le développement jurisprudentiel intervenu en fin d’année 2022 devrait inciter les contribuables suisses détenteurs d’un patrimoine immobilier français à restructurer leur patrimoine en vue de le détenir directement.

En substance, l’autorité fiscale vaudoise, le Tribunal cantonal et le Tribunal fédéral ont de manière successive et convergente considéré qu’à partir du moment où ce patrimoine échappait à toute fiscalisation en France au titre de la fortune, les bases légales applicables permettaient une imposition en Suisse des actions de la société française, correspondant à la valeur du patrimoine immobilier sous-jacent.

Il s’agit de toute évidence d’une menace pour tout contribuable suisse qui détient par le biais d’une société quelconque un patrimoine immobilier français d’une valeur nette inférieure à EUR 1,3 million.

En effet, alors que ce patrimoine est exonéré d’impôt sur la fortune (IFI) en France, le Tribunal fédéral vient d’ouvrir grand la porte à une fiscalisation en Suisse de cet actif patrimonial.

Cette nouvelle approche vaudoise, qui pourrait rapidement se généraliser à tous les cantons, aboutit à rendre la détention directe (i.e. sans l’interposition d’une société entre le patrimoine immobilier français et le contribuable suisse) beaucoup plus avantageuse fiscalement pour les «petits» propriétaires d’immobilier en France, c’est-à-dire ceux qui, en France, sont exonérés de l’IFI.

En effet, tant que le patrimoine immobilier français est détenu «en direct», tout risque d’imposition en Suisse est paralysé par une impossibilité juridique de taxation en Suisse, par l’effet de l’article 24 § 1 de la Convention de double imposition franco-suisse.

En revanche, si les biens immobiliers sont détenus via une personne morale, l’immobilier en question court désormais le risque d’être «converti» en valeurs mobilières pour l’objet de la taxation, valeurs mobilières qui sont imposables en Suisse dans la mesure où le patrimoine qu’elles représentent n’a pas été fiscalisé en France, en raison de l’exonération de l’IFI.

L’on aura donc compris que le développement jurisprudentiel intervenu en fin d’année 2022 devrait inciter les contribuables suisses détenteurs d’un patrimoine immobilier français d’une valeur inférieure à EUR 1,3 million à restructurer leur patrimoine en vue de le détenir directement, en leur propre nom, et non plus au travers d’une personne morale intermédiaire.

Les implications fiscales d’une liquidation de société immobilière étant toutefois nombreuses et complexes, particulièrement dans un contexte transnational, le résultat final de l’opération pourrait in fine être négatif dès lors que la surimposition au titre du revenu dérivant de la déstructuration pourrait potentiellement se révéler trop importante comparativement à l’économie fiscale réalisée au titre de l’impôt sur la fortune.

Les experts en fiscalité transfrontalière franco-suisse de l’Etude FBT Avocats SA, basée à Genève et Paris, se tiennent à disposition de toute personne intéressée.

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