Transitoire?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Le problème des coupures d'électricité en Chine prend de l'ampleur. ©Keystone
Pénuries + inflation = stagflation

Les coupures d’électricité en Chine sont finalement bien plus graves qu’Evergrande, et la PBoC ne peut rien faire cette fois-ci. Nous avions coutume, depuis quelques mois, de mentionner une pénurie dans le secteur des semi-conducteurs mais désormais, de nombreuses industries sont touchées par de nombreux shortages. Certains grands groupes commencent à se faire sérieusement du souci car c’est maintenant que se prépare la saison de Noël (pour Thanksgiving c’est déjà presque trop tard pour certains majors du secteur consumer staples). Il va falloir renoncer à certains achats ou bien les payer plus cher. 

En Europe, le prix du gaz monte au ciel et les experts estiment que le baril de brut va inexorablement se rapprocher des cent dollars. Les matières premières et le fret sont en ébullition et si les banques centrales ont beau persister dans leur explication de texte pour justifier le mot transitoire, nous voyons bien qu’elles commencent à être gênées aux entournures…et nous aussi par la même occasion!

Il faudra évaluer l’importance des coupures d’électricité en Chine pour connaître l’ampleur des dégâts causés sur l’économie.

On se rapproche d’un scénario inédit à trois têtes avec un ralentissement (potentiellement brutal) en Chine, une inflation moins transitoire que prévue chez nous (Europe et Etats-Unis) et un durcissement des politiques monétaires (tapering de la Fed et arrêt du PEPP en zone euro). 

Par conséquent nous allons devoir surveiller simultanément les trois nouveaux piliers qui vont décider de l’orientation des taux longs au cours du quatrième trimestre. Tout d’abord, il faudra évaluer l’importance des coupures d’électricité en Chine pour connaître l’ampleur des dégâts causés sur l’économie. Il faudra également suivre l’évolution de certaines matières premières. 

Ensuite, nous devrons chiffrer l’impact de la situation actuelle sur le caractère transitoire ou non de la hausse des prix et réévaluer notre estimation d’inflation si cela s’avère nécessaire. Nous suivrons tout particulièrement les négociations salariales des deux côtés de l’Atlantique car nous persistions à croire qu’il n’y aura pas d’inflation durable sans hausses de salaires significatives. Enfin, toutes ces incertitudes rendent de plus en plus possible l’éventualité d’une erreur de politique monétaire d’une grande banque centrale. 

10 ans US: prochaine étape à 1,8%?

Finalement, les taux longs US (et allemands) se sont bien tendus mais nous n’avons pas assisté à un sell-off de grande ampleur. La volatilité ayant disparu avec le «lissage» des évolutions de marchés par les banques centrales, nous nous faisons désormais tout un monde d’une tension de quinze à vingt points de base. Pour l’instant, nous voyons bien que le 10 ans américain a du mal à aller bien plus haut que 1,5%. Il est bien monté à 1,56% au cours des deux derniers jours de septembre mais pour retomber à 1,45% hier matin. 

On reparle de reflation mais surtout de stagflation tandis que les banquiers centraux essaient de tempérer les craintes des plus pessimistes.

Force est de constater que l’orientation des marchés de taux dans les jours qui viennent s’apparente à jouer à pile ou face. On reparle de reflation mais surtout de stagflation tandis que les banquiers centraux essaient de tempérer les craintes des plus pessimistes. Des taux bien plus élevés signeraient l’arrêt de mort de la reprise et pourraient devenir le signal d’un ralentissement majeur voire d’une récession. Mais il s’agirait dans ce cas de taux significativement plus haut car dans le contexte actuel, une poussée de fièvre du 10 ans à 1,80% est tout à fait possible. 

Nous sommes guidés par deux convictions fortes aujourd’hui: à très court terme, il est difficile de prévoir dans quelle direction les taux longs vont aller mais à moyen terme, les nuages noirs s’accumulent et plus les taux se tendent maintenant, plus ils redescendront fortement dans quelques mois. Nous avons donc adopté la stratégie de la tortue en achetant un peu de 30 ans US à dose homéopathique à 1,9% puis 2%. Aujourd’hui, cette position représente seulement 1% de notre stratégie mais déjà 5% en DWE (Duration Weighted Exposure). Si les taux poursuivent leur ascension, nous rachèterons aux alentours de 2,15%, puis 2,25%, et ainsi de suite. 

Nous affinerons l’estimation de taux grâce à l’analyse technique, bien aidés par notre spécialiste en nuages Ichimoku. Dans moins d’un mois, le 3 novembre, nous en saurons un peu plus sur la volonté de la Fed de commencer son tapering. Cela fera une incertitude en mois à gérer mais si d’ici-là l’économie mondiale montre des signes de fatigue et que la stagflation inquiète, les taux longs pourraient déjà réagir de manière contre-intuitive en baissant. 

D’ici-là, on reparlera de la spéculation sur le nom du nouveau Chairman de la Fed. Powell paraît bien parti pour être reconduit mais il devra lutter jusqu’au bout dans une ambiance délétère après les révélations gênantes concernant plusieurs membres du FOMC. Dans ce contexte, nous sommes tentés de miser une pièce sur Lael Brainard sans être persuadés que, sur le fond, cela change vraiment quelque chose.

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