Evergrande, Fed: fromage et dessert!

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

«Lehman chinois»

Nous avons mentionné la semaine dernière le fait que 90% des obligations High Yield offraient désormais des taux réels négatifs. Afin de contourner cet obstacle, il y a bien une solution : s’intéresser au High Yield chinois dont le rendement moyen frise aujourd’hui les 14%! Nous ne savons pas pour l’instant ce que nous réserve «l’affaire Evergrande». Les plus optimistes peuvent évoquer le risque idiosyncrasique et surtout la volonté des autorités chinoises de stopper l’hémorragie à temps. Nous aimerions adhérer à cette thèse mais cette sale histoire présente des similitudes avec la crise des subprimes. Le secteur de l’immobilier chinois tout entier peut être éclaboussé et devenir le point de départ d’une crise systémique du crédit chinois tout entier, avec des répercussions sur les autres marchés mondiaux. C’est la raison pour laquelle d’autres intervenants, moins optimistes que les premiers, osent déjà évoquer un «Lehman chinois». Nous ne sommes pas les mieux placés pour valider tel ou tel scénario car seuls les experts de la Chine et des marchés chinois peuvent (éventuellement) nous apporter une aide précieuse. Ce que nous savons, en revanche, c’est que les marchés internationaux n’apprécient guère ce genre d’événement et qu’une seule étincelle peut déclencher une correction à Wall Street dont l’ampleur dépendra de l’étendue des dégâts.

 Demain, jour de Fed

C’est dans ce contexte que la Fed se réunit demain. Les débats risquent d’être houleux entre les partisans d’un tapering rapide et les adeptes d’un «wait and see» qui peuvent avancer quelques arguments pour repousser toute décision majeure au 3 décembre, date du dernier FOMC de l’année. Les déboires d’Evergrande apparaissent au pire moment, alors que nous pouvions nous réjouir (pas trop tout de même) des progrès sur le front de la pandémie. Quelle banque centrale prendrait le risque d’annoncer un durcissement de sa politique monétaire dans de telles circonstances? Vous répondrez la BCE de Jean-Claude Trichet en juillet 2008, deux mois avant la chute de Lehman Brothers, et vous aurez raison! Justement, si la leçon a été retenue, nous pourrions bien entendre un Jay Powell un peu plus dovish que prévu demain soir. Si nous voulions nous autoriser un trait d’humour caustique et finalement pas drôle du tout, nous demanderions aux membres du FOMC si l’un d’entre eux détient quelques millions de dollars d’ETF High Yield chinois. En effet, l’autre sujet de préoccupation concerne le fonctionnement de l’institution et notamment un souhaitable durcissement des règles. Est-ce que ce sujet risque de mettre définitivement Jerome Powell sur un siège éjectable? Aura-t-on droit à un nouveau patron de la Fed un peu plus à gauche en janvier prochain? Pour l’instant, ce qui nous intéresse, c’est d’abord et avant tout le marché du travail aux Etats-Unis car nous sommes impatients de savoir si les chiffres d’août publiés début septembre n’étaient qu’un simple accident de parcours. En attendant, certains experts du marché US pondent une nouvelle théorie, pas si stupide que cela mais surprenante : la Fed pourrait renoncer au tapering et le remplacer par une hausse de taux Fed Funds. Une politique à l’envers en quelque sorte qui commencerait par le plus facile (monter les taux) avant de s’attaquer au plus difficile (diminuer les achats d’actifs). Un peu tiré par les cheveux mais cela vaut la peine d’être envisagé.

Stabilité des taux longs

Assistons-nous à une énième version du fameux calme avant la tempête? Il nous semble que les événements que nous venons d’évoquer valident une certaine stabilité. Les taux devraient théoriquement monter car l’inflation est toujours un sujet d’inquiétude, la croissance actuelle semble bonne (et validée par les performances des marchés actions), le Covid fait moins parler de lui et la Fed devrait tôt ou tard donner son premier tour de vis monétaire. D’un autre côté, les derniers chiffres de l’emploi étaient plus que médiocres, la croissance future pourrait virer au ralentissement, la liquidité du marché est incertaine et Evergrande, dans un scénario du pire, pourrait nous offrir un remake de 2008. Donc, pour l’instant, il y a match nul entre les deux camps et les taux longs US hésitent à basculer d’un côté ou de l’autre. Nous avons augmenté de nouveau notre duration à dose homéopathique car si le match nul nous convient, nous voyons tout de même quelques nuages noirs s’amonceler petit à petit.

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