Christine à la rescousse de Jerome

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Recalibrage

Nous avons placé la barre un peu haut la semaine dernière en évoquant un scénario alternatif dans lequel la Fed renoncerait purement et simplement au tapering. Notons au passage que de tels arguments deviennent de plus en plus audibles et que de nombreux investisseurs gardent à l’esprit cette possibilité un peu extrême mais pas totalement irréaliste. Entre une mise en route du tapering en fin d’année et son abandon total, la BCE a peut-être ouvert la voie vers un troisième scénario qui pourrait aider la Fed à se sortir de ce traquenard. En évoquant un «recalibrage», Christine Lagarde a probablement trouvé le mot magique, que Jerome Powell pourra éventuellement reprendre à son compte si les circonstances l’exigent. 

La BCE n’a rien décidé d’exceptionnel jeudi dernier. La faible réduction du PEPP (qui dans les faits était déjà en place) a été l’objet d’un exercice de pédagogie pour bien faire comprendre que cette décision n’était en aucun cas une forme de tapering. Les marchés ont pris bonne note et le meilleur indicateur (comme toujours) de son état d’esprit est le comportement du Bund jeudi après-midi. Le 10 ans allemand est en effet passé de -0,33% à -0,36% et Madame Lagarde a pu pousser un ouf de soulagement: elle a été écoutée et comprise! 

Nous sommes très curieux de savoir si les banquiers centraux américains vont évoquer la politique de la BCE.

Le prochain FOMC se tiendra le 22 septembre, dans huit petits jours et nous sommes très curieux de savoir si les banquiers centraux américains vont évoquer la politique de la BCE. Est-ce que l’un d’entre eux va oser avancer l’idée d’un «recalibrage» des achats d’actifs? Ce serait, en quelque sorte, la version «soft» d’un tapering «hard» devenu sans doute un peu trop agressif compte tenu des incertitudes qui planent encore sur l’économie US. Nous imaginons que le dernier chiffre de l’emploi a quand même dû ébranler les convictions des plus hawkish qui, de toute manière, restent minoritaires au sein du FOMC. 

Si Jerome Powell éprouve des difficultés à utiliser le terme de recalibrage, il pourra simplement, sans mentionner ce mot précis, développer une thèse qui correspond à cette politique. Les achats d’actifs effectués par la banque centrale ne peuvent pas être massivement réduits. Les montants en jeu sont exceptionnellement élevés car le volet «pandémie» s’est ajouté aux montants initiaux du QE pré-pandémie. Au fur et à mesure que des nouvelles rassurantes sur le Covid et son variant Delta sont officiellement validées par les autorités sanitaires, la Fed pourra réduire petit à petit la couche supplémentaire «pandémie» de son programme sans pour autant utiliser le mot tapering tout en expliquant qu’elle ne touche pas pour l’instant à son QE «de base». Merci Christine!   

Des marchés en stand-by

Depuis début septembre et malgré l’activité des banques centrales, il est parfois difficile de tromper l’ennui sur les marchés obligataires. Les taux gouvernementaux semblent arrimés autour de leurs niveaux actuels, soit 1,35% pour le 10 ans américain et -0,35% pour le 10 ans allemand. Les spreads de crédits sont toujours chers mais le portage se révèle encore intéressant. Le scénario économique actuel, combiné avec le comportement des banques centrales, semble encourager les marchés actions et crédits à poursuivre leur parcours admirable. 

Il ne faudra pas attendre de miracles du côté des gains en capital.

Nous avons récemment pris note que de nombreux intervenants reconsidèrent le marché High Yield à la lumière de ce constat impressionnant: près de 90% des emprunts non-Investment Grade offrent désormais un taux réel négatif. Quel argument choc! Cela devrait suffire à nous convaincre de ne plus investir dans ce segment mais rien ne dit que les ardeurs des investisseurs vont se calmer. Ces derniers sont à la recherche de rendements nominaux décents et ils n’ont pas d’autre choix. Notons enfin que le marché primaire redémarre lentement sur la partie Investment Grade et Hybrides mais que peu de nouvelles émissions trouvent grâce à nos yeux. 

Pour l’instant (et contrairement à nos souhaits émis cet été), ce marché primaire ne permet pas, en tout cas pour l’instant, de constater un écartement significatif des spreads. Si tel devait être le cas dans les semaines qui viennent, ce serait une belle opportunité de rajouter un peu de crédit dans les portefeuilles. En revanche, il ne faudra pas attendre de miracles du côté des gains en capital et toute stratégie d’investissement en crédits sera principalement élaborée avec un objectif de portage. Même si le carry est moins intéressant qu’en début d’année, il reste un pilier important dans la construction d’un portefeuille obligataire diversifié et équilibré. Et quitte à répéter pour la cinquantième fois la même rengaine, il n’y a pas tellement d’alternatives à notre disposition: TINA a encore de beaux jours devant elle.

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