TINA, ce n’est qu’un au revoir?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Rendements en hausse

Si 2021 était sans contestation possible l’année de TINA (There Is No Alternative, sous-entendu aux actions), nous sommes en droit de nous poser la question pour 2022: est-ce le début de la fin de son règne sans partage depuis le bull market post-COVID? La Fed, emberlificotée dans sa politique de communication «un pas en avant, deux pas en arrière» a dû successivement bannir le terme transitoire, mettre en place un tapering étalé sur six mois puis le raccourcir à trois mois, envisager une première hausse de taux début 2023 puis en prévoir au minimum trois en 2022 et enfin, cerise sur le gâteau, évoquer un Quantitative Tightening afin de réduire la taille de son bilan. Premier constat: dans un monde dit «normal», un sell-off obligataire aurait dû faire passer le Taper Tantrum de 2013 pour une vaste plaisanterie. Il n’en a rien été. Toutefois, le marché des US Treasuries s’est tendu et de nombreuses obligations en dollars offrent désormais des rendements supérieurs à ceux des dividendes des actions du S&P500. Autre constat, évoqué largement dans la presse depuis quelques jours, la masse des obligations à rendement négatif (au niveau mondial, pas en dollars) s’est effondrée pour repasser sous le niveau qui était le sien avant le COVID. 

Un portefeuille diversifié A/BBB peut désormais largement dépasser le dividend yield moyen des actions.

Il y a sans doute déjà quelques bonnes affaires au sein des marchés de taux globaux et les investisseurs ont le choix, selon nous, entre deux stratégies qui ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients: profiter de cette correction pour augmenter le rendement moyen des portefeuilles ou (solution que nous avons adoptée), conserver le même rendement qu’en 2021 mais en profitant d’une qualité de crédit bien meilleure. Autrement dit, pour obtenir un «yield to maturity» de 2,5% sur un crédit en dollars, il n’y a pas encore si longtemps, il fallait descendre assez bas dans la hiérarchie des ratings, aux alentours de BB et (sauf exception) abandonner l’idée d’un émetteur Investment Grade. Aujourd’hui, à titre d’exemple, dans nos portefeuilles, nous détenons des obligations émises par Comcast (A3/A-) 6 ans, IBM (A3/A-) ou Walt Disney (A2/BBB+) 7 ans ou encore UnitedHealth (A3/A+) 8 ans, toutes à un rendement très proche ou égal à 2,5%. C’est dans ce sens que de nombreux commentateurs se demandent si la fin de TINA est proche car un portefeuille diversifié A/BBB peut désormais largement dépasser le dividend yield moyen des actions.

Est-ce donc la fin annoncée de TINA? Nous avons la fâcheuse habitude de raisonner à la fois en taux nominaux et en taux réels. Les niveaux d’inflations actuels ainsi que ceux des prochains mois ne nous permettent pas de rêver avec seulement 2,5%. Si nous ramenons ce 2,5% nominal en taux réel, il faut également appréhender le dividend yield réel des actions afin de comparer ce qui est comparable et ce n’est pas non plus très réjouissant. TINA a donc pris un coup (en relatif, les crédits de bonne qualité rémunèrent mieux que les dividendes) mais n’est pas KO pour autant (en absolu, les deux ne sont pas attrayants). Par conséquent, il est fort à parier que les investisseurs vont le plus longtemps possible compter sur les plus-values des actions pour réaliser de bonnes performances. Ce pari risqué implique que la Fed n’a pas le droit à l’erreur.

Avec Jay Powell, nous aurons à faire au fameux adage «ne pas confondre le souhaitable et le probable».
La Fed à la croisée des chemins

Dans ce contexte, la Fed sera demain soir attendue au tournant. Trop «behind the curve» à l’été puis l’automne 2021, peut-être trop hawkish aujourd’hui, elle a semé la confusion dans nos esprits. Jay Powell va donc sans doute s’essayer à un numéro d’équilibriste (ce n’est pas son domaine de prédilection) et ne pas faire trop de vagues: il ne souhaite ni un sell-off des taux longs US ni une correction à Wall Street. Comme souvent dans ce cas de figure, nous aurons donc à faire au fameux adage «ne pas confondre le souhaitable et le probable». Le probable, ce sera cette communication ni-ni, c’est-à-dire ni trop laxiste vis-à-vis de l’inflation, ni démesurément hawkish dans la gestion d’une politique monétaire sur le fil du rasoir. Le souhaitable, ce serait selon nous 50bp d’un coup le 16 mars assorti d’une communication qui admet délibérément l’adoption d’un mode «wait and see» pour quelques mois, jusqu’en juin par exemple.

L’inflation va se calmer, c’est juste une question de temps: le PPI a déjà dépassé son pic et ce sera bientôt au tour du CPI. C’est la croissance et l’état général de l’économie qui vont redevenir le point central de l’échiquier. Voyez comment le marché a réagi à un jobless claims juste décevant jeudi dernier! Les taux longs ont déjà suffisamment grimpé: posez-vous la question «comment vais-je faire à la fin du mois?» si votre hypothèque (ou votre loyer) augmente brutalement de 20%. C’est ce qui pend au nez des ménages américains, dont les dépenses de consommation représentent 70% du PIB. En faire trop du côté de la Fed va devenir un risque insupportable et va, de surcroît, obliger les Chinois à en faire trop dans l’autre sens. Alors, Chair Powell, ne nous décevez pas demain soir, au nom de TINA qui ne mérite pas une fin brutale! C’est un gérant obligataire qui vous le demande!

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