Tension «transitoire» sur les taux longs

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Quatre facteurs haussiers taux

Au cours des cinq derniers jours, les taux longs US (mais le Bund est logé à la même enseigne) ont dû affronter quatre nouvelles peu réjouissantes. Tout d’abord, le baril de brut WTI est passé allègrement au-dessus des 80 dollars, relançant les inquiétudes concernant l’inflation, pas si «transitoire» que cela, tirée par les matières premières. Deuxièmement, les statistiques de ventes de détail, les retail sales, sont sorties à un niveau plus élevé qu’attendu. Rappelons que ces ventes de détail sont tirées par la récente hausse de prix, notamment des matières premières. En nominal, elles semblent élevées mais en réel, elles sont déjà moins impressionnantes, d’autant plus que le plein d’essence est inclus dans ces retail sales. Troisièmement, la saison des résultats de sociétés a débuté et il n’a fallu que quelques premières publications d’earnings de bonne facture pour rassurer Wall Street (merci Goldman Sachs). Enfin, les taux longs US et européens se sont tendus à la suite de la remontée des rendements des Gilts: ces derniers n’ont pas apprécié l’attitude de la Banque d’Angleterre, la BoE, qui va sans doute remonter son taux directeur dans un proche avenir.

Nos amis d’outre-Manche ont toujours été en mode stop and go, avec une inflation volatile.

Ces quatre facteurs nous amènent à exprimer deux réflexions. Tout d’abord, il n’y a que deux véritables sujets et pas quatre : les résultats de sociétés et l’inflation puisque cette dernière peut regrouper en son sein le prix du baril de brut, les retail sales et la BoE. Ensuite, nos amis d’outre-Manche ont toujours été en mode stop and go, avec une inflation volatile. C’était vrai avant le COVID et il ne peut en être autrement juste après. La BoE a une mission très particulière, un peu différente de celle de ses homologues Fed et BCE. Au Royaume-Uni, lorsque l’inflation dépasse 3%, la banque centrale doit rédiger un rapport expliquant ce dérapage et neuf fois sur dix, elle se sent obligée d’agir. De notre point de vue, il n’est donc nullement étonnant que la BoE soit plus prompte à réagir en montant ses taux. De là à en tirer des conclusions (hâtives) sur le comportement futur des autres banques centrales…

Et pourtant, ça tient!

Concrètement, que s’est-il passé en une semaine? Le 10 ans US a débuté la semaine dernière à 1,62%, il s’est détendu jusqu’à 1,50% pour remonter hier après-midi à 1,60%. Les quatre facteurs haussiers lui ont donc coûté 10 points de base. Pas cher payé! Intéressons-nous maintenant au 30 ans: il est passé de 2,16% à 2,01% puis 2,03% hier. Sur les taux très longs, les quatre facteurs n’ont coûté que deux misérables points de base, faisant passer le spread 10-30 ans de 54 à 43 points de base. Cet aplatissement de pratiquement 10bp nous conforte dans notre conviction que le 30 ans est le sweet spot car il est éloigné des transactions sur contrats futures 10 ans qui créent de la volatilité. De plus, il est - et restera - «chouchouté» par la Fed car dans les circonstances actuelles, la dernière des catastrophes qui pourrait nous toucher serait une hausse des rendements longs. Le 30 ans est «sage» car, par définition, un pic d’inflation transitoire ne l’affecte guère. Peu importe si la Fed s’est trompée et que ce phénomène s’étale sur 1 an ou 18 mois au lieu des 6 à 9 mois initialement attendus. Sur 30 ans, ces hausses temporaires sont moins spectaculaires que sur 3, 5 ou 10 ans. 

Le 5 ans et le 10 ans sont à risque, le 30 ans est un peu plus à l’abri.

Si ce comportement du segment 10-30 ans de la courbe des Treasuries se poursuit, autrement dit si les investisseurs qui parient sur une remontée des taux longs et sur une inflation qui s’installe continuent de prendre des positions short sur le contrat future à 10 ans, ce flattening pourrait bien s’installer en cette fin d’année. Le 5 ans et le 10 ans sont à risque, le 30 ans est un peu plus à l’abri. La dernière fois que nous en avons remis en portefeuille, c’était le jour des chiffres de l’emploi, à 2,15%. Avec désormais une duration supérieure à 5, nous estimons être bien positionnés et attendons de voir 2,25% et 2,30% afin de remettre un peu de 30 ans pour préparer une année 2022 qui s’annonce déjà atypique. Il nous reste tout de même deux FOMC, le 3 novembre et le 15 décembre, pour éventuellement assister à une surprise. Une question nous taraude l’esprit: les commentateurs affirment que la prochaine hausse des taux de la Fed interviendra entre le troisième trimestre 2022 (dès la fin du tapering fin juin) et le premier trimestre 2023. Nous avons du mal à estimer ce que fera la Fed à ce moment-là car la composition du FOMC pourrait changer significativement dans un futur proche. Jay Powell lui-même n’est pas assuré d’être reconduit, n’est-ce pas Lael Brainard?

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