Bullish steepening et récession

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

Le BTFP sonne le glas du QT

Dans notre chronique intitulée Une désinflation «transitoire»? du 14 février dernier (cela paraît une éternité), nous estimions que le 2 ans Treasury allait atteindre 5% très rapidement tandis que le 10 ans allait s’afficher à 4%, soit une pente négative 2-10 ans de -100bp, signe d’une récession inévitable. Les faits nous ont donné raison mais peu de temps après, l’affaire SVB (appellation qui englobe le stress autour des banques régionales américaines), le choc Credit Suisse et une pression grandissante sur tout le secteur bancaire ainsi que sur le système financier en général ont provoqué un tsunami sur les marchés de taux.

Aujourd’hui, le marché obligataire américain exclut quasiment la probabilité d’éviter une récession car cette dernière s’élève à environ 10% selon plusieurs instituts et départements de recherche de banques centrales. Ainsi, la courbe des US Treasuries a subi des changements de grande ampleur puisque le 2 ans s’affiche à 3,85%, le 5 ans à 3,5%, le 10 ans à 3,40% et le 30 ans à 3,65%. Les taux se retrouvent à des niveaux beaucoup plus bas qu’il y a trois semaines mais l’événement majeur est sans conteste ce bullish steepening qui a totalement remodelé le visage de la courbe US. Certes, le 2-10 ans est toujours inversé mais de «seulement» 45bp contre -108bp le 8 mars! Le 5-10 ans est presque plat, le 5-30 n’est plus inversé et le NoB 10-30 est positif de 25bp.

Comment peut-on alors réconcilier ce mouvement impressionnant et l’adage bien connu qui affirme qu’une courbe totalement inversée est annonciatrice d’une récession? Les marchés obligataires sont déjà passés à autre chose, c’est aussi simple que cela. Ils nous disent qu’il n’est plus nécessaire d’annoncer une récession à venir puisqu’elle est déjà en train de s’installer. Ils avaient suffisamment signalé ce risque de récession imminente avant les épisodes SVB/Credit Suisse. Aujourd’hui, ils anticipent des actions spectaculaires des banques centrales pour éviter (notamment) le credit crunch.

Nous avons allégé à la marge nos positions en crédits high beta au profit de la duration longue.

Les Futures nous signalent que ce sont désormais 100bp de baisse de taux Fed funds qui sont attendus dès la fin de cette année. Au-delà des 25bp symboliques de hausse de taux de la Fed la semaine dernière, c’est bien la taille de son bilan qui a frappé les esprits. Cette dernière s’élevait à 8'342 milliards le 8 mars et à 8'734 milliards le 22 mars. Elle a donc augmenté brutalement de 392 milliards en quelques jours bien que le programme de Quantitative Tightening soit toujours appliqué sur le même rythme (ce qui a été confirmé par Jerome Powell). Le BTFP (Bank Term Funding Program) destiné à mettre de l’huile dans les rouages du système via des injections de liquidités a déjà effacé plus des deux tiers du QT. Rassurant et inquiétant à la fois.

Stratégie: privilégier la duration longue

Dans un tel environnement, nous devions adapter notre stratégie. Nous avons donc allégé à la marge nos positions en crédits high beta au profit de la duration longue. Il y a encore un mois, nous privilégiions le 20 ans mais désormais il s’agit de profiter du bull market des Treasuries et dans de telles circonstances, rien ne remplace le 30 ans. Une once d’or à 2'000 dollars et un baril de brut WTI qui descend sous le niveau de 70 dollars nous confortent dans l’idée que le marché est en train de tourner risk-off et qu’il faut privilégier la duration. Nous sommes d’ailleurs un peu plus exposés que ce que nous souhaiterions en théorie. En effet, nous estimons qu’il ne faut pas hésiter aujourd’hui à être un peu plus long duration car nous voyons deux bonnes raisons d’investir en titres du Trésor US à 30 ans.

En premier lieu, notre exposition à la partie très longue de la courbe se justifie par notre volonté de délivrer la meilleure performance possible et notre analyse de l’environnement actuel plaide pour une surpondération du 30 ans. Ensuite, nous avons pris la décision d’aller un peu au-delà de ce que nous souhaitions car le 30 ans a toujours été un hedge naturel contre les marchés plus risqués et volatils. Ainsi, dans des portefeuilles qui sont exposés aux actions ou dans des portefeuilles 100% obligataires qui détiennent quelques dettes high beta comme les crédits BBB, X-Over ou hybrides corporates, il peut s’avérer judicieux de couvrir ces positions par de l’emprunt d’état à duration très longue.

Nous sommes parfois interrogés sur notre volonté farouche de privilégier la partie longue de la courbe en plein steepening, ce qui devrait plutôt nous inciter à investir sur la partie plus courte. C’est vrai en théorie mais en pratique, étant donné que notre objectif est de délivrer de la performance, acheter du long bond s’avère le plus souvent la meilleure stratégie, même en pleine «repentification». En effet, pour toute baisse de 100bp du taux d’une obligation de sensibilité (Modified Duration) s’élevant à 2, il suffit d’une baisse de seulement 10bp du rendement d’une obligation à sensibilité de 20 pour rivaliser avec la première nommée. Depuis le 8 mars, le 2 ans est passé de 5,07% à 3,85% (-122bp) tandis que le 30 ans est passé de 3,89% à 3,65% (-24bp). Faites vos calculs.

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