Fed: abandon de la politique des petits pas?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

CPI, Retail Sales et PPI

La publication du CPI américain mardi dernier a été un non-événement. Les progressions mensuelles ont été conformes aux attentes et les données YoY ont montré une décrue un peu moins forte, mais explicable par les changements méthodologiques. En revanche, les ventes au détail publiées mercredi ont surpris par leur vigueur. Nous avons remarqué plusieurs commentaires enthousiastes à propos de la soi-disant robustesse de la consommation des ménages américains. Nous ne sommes pas aussi optimistes. Les Retail Sales ne sont ni plus ni moins que la compilation d’achats en valeur nominale. Autrement dit, si votre plein d’essence a augmenté de 5% le mois dernier, la composante «carburants» des Retail Sales va croître de 5% toutes choses égales par ailleurs. Les chiffres de ventes au détail de mercredi dernier étaient tout sauf encourageants: cela fait cinq mois consécutifs qu’ils sont dans le rouge en termes réels et nous tirons deux enseignements. Premièrement la consommation est en baisse donc il est erroné d’affirmer que le spectre de la récession s’éloigne parce que la consommation des ménages est vigoureuse. Deuxièmement, si les Retail Sales sont si élevés, c’est que l’inflation est toujours là et bien là et que c’est grâce, ou plutôt à cause d’elle que nous avons eu droit à une «bonne» série de chiffres. La semaine n’était pas terminée et jeudi, le PPI a réveillé les rêveurs: +0,7% sur le mois au lieu de +0,4% attendu (le -0,5% du mois précédent avait été révisé à -0,2%) ce qui nous donne un PPI qui passe de 6,5% à 6% YoY lorsque le consensus attendait une décrue à 5,4%. Le PPI hors alimentation et énergie baisse de 0,2% pour atteindre 4,5% mais le marché attendait 4%. Bref, ces chiffres ont confirmé ce que nous étions de plus en plus à pressentir: la désinflation était «transitoire» et le ralentissement du processus arrive au plus mauvais moment.

Aujourd’hui, il est primordial de rester prudent, sauf si l’objectif est de construire des portefeuilles à échéance fixe en «buy and hold».

Cela signifie qu’il ne faut pas être trop optimiste et rester prudent (n’est-ce pas les marchés de crédits et actions?). La Fed va se réunir le 22 mars puis le 3 mai. Si la tendance actuelle se confirme, nous nous attendons à ce qu’elle (re)frappe fort et qu’elle abandonne, au moins temporairement, sa politique de petits pas à coups de hausses de 25 points de base à chaque FOMC. Alors +50bp ou éventuellement, si le dérapage des prix s’amplifie, +75bp le 22 mars? Cela ne nous surprendrait pas. La Fed peut également faire valoir qu’avec un tel marché de l’emploi (chômage à 3,4%), elle a carte blanche. Nous nous attendons à voir les taux directeurs US à 5%-5,25% dans un mois. Cela ne signifie pas pour autant que les taux longs vont entrer en bear market de nouveau. Certes, ils vont souffrir un peu et seront encore plus volatils mais dans un tel environnement de marché, la courbe des taux pourrait très bien accroître son inversion, avec un 2 ans à 5% et un 10 ans à 4% par exemple (soit 100bp d’inversion).

Le bull market de janvier a fait long feu

Nous étions plusieurs gérants obligataires à tirer la sonnette d’alarme en début d’année: les marchés de taux allaient trop vite et trop loin. Aujourd’hui, il est primordial de rester prudent, sauf si l’objectif est de construire des portefeuilles à échéance fixe en «buy and hold». Au cours de la semaine, nous n’avons pas été actifs sur les marchés de crédits devenus trop chers. Les niveaux de spreads nous inquiètent autant que le comportement des actions à Wall Street. Ils semblent ne tirer aucun enseignement (ou si peu) du changement récent dans le processus désinflationniste.

Sur la dette gouvernementale US, nous mentionnions mardi dernier que nous avions renoncé à remettre un peu de 20 ans (août 2044 pour être précis) à 4% car nous attendions un premier rebond vers 4,15%. C’est ce qui s’est produit vendredi après-midi. Il ne s’agit pas de prendre des paris agressifs de duration: nous avons délibérément opté, nous aussi, pour une politique de petits pas et augmentons notre exposition aux taux longs US à dose homéopathique au fur et à mesure que la correction atteint de nouveaux paliers. L’année sera longue et il ne faut pas se précipiter. La première erreur aurait été de courir après le bull market en tout début d’année. Attendons de voir comment le marché va se comporter aujourd’hui après une semaine difficile ponctuée par un week-end de trois jours. Ensuite, tout va aller très vite avec la publication des minutes du dernier FOMC demain. Nous atteindrons sans doute le point culminant de la semaine vendredi après-midi avec la publication du PCE Deflator (surtout le Core). Nous souhaiterions un chiffre décevant ouvrant la voie à une correction des spreads de crédits. Mais l’expérience nous a appris qu’il ne faut jamais confondre le souhaitable et le probable.

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