3,50 + 6,60 = 0,75

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Le core CPI pose problème

Le marché attendait avec fébrilité les chiffres d’inflation. Quel le CPI ait à peine ralenti, passant de 8,3% à 8,2% au lieu de 8,1% attendu, ce n’était pas la fin du monde! Ce qui a surtout choqué, c’est le CPI hors alimentation et énergie qui est sorti à 6,6%, au plus haut depuis…septembre 1982! Ce chiffre accrédite la thèse que de plus en plus d’intervenants (et sans doute de banquiers centraux) partagent: si l’inflation doit redescendre de 8% à 2%, ce sera un processus beaucoup plus long que nous l’imaginions puisque dans les 6% à éliminer, environ la moitié sont devenus des composants structurels. Dans le CPI hors alimentation et énergie, la composante «loyers» va devenir de plus en plus inquiétante car sa volatilité n’a rien à voir avec celle des matières premières énergétiques ou agricoles.

Par conséquent, si nous ajoutons à ce core CPI de 6,6% le fait que le taux de chômage sorti en début du mois s’élevait à seulement 3,5%, il n’y a plus tellement de suspense concernant le prochain FOMC du 2 novembre: ce sera 0,75% et les commentaires vont se reporter sur la probabilité d’un 0,75% supplémentaire le 14 décembre. Aujourd’hui le marché hésite encore entre cette éventualité et un scénario à peine moins agressif avec 0,50% le 14 décembre et 0,25% le 1er février. Dans les deux cas de figure, nous nous retrouverions donc avec 150 points de base supplémentaires dans trois mois, ce qui nous donnerait un taux Fed funds à 4,75%. Si vous êtes de lecteurs fidèles de cette chronique, inutile de vous rappeler pour la énième fois notre théorie qui rajoute 1% à ce taux Fed funds afin de prendre en compte l’impact du Quantitative Tightening trop sous-estimé à notre goût.  Nous allons donc entrer véritablement dans la phase véritablement hawkish, voire super-hawkish, du plan de Jerome Powell. A contretemps?

Le niveau actuel des taux US de 2 à 5 ans nous permet d’envisager des investissements en crédits Investment Grade à des rendements proches de 5%.

Une «bonne» nouvelle dans ce tableau plutôt sombre, car il est synonyme de récession plus ample que ce que nous imaginions, concerne l’agenda politique américain. Depuis près d’un an, nous nous interrogeons sur le degré d’indépendance de la Fed car les Démocrates mettent une pression énorme sur les épaules de Jerome Powell pour obtenir des résultats tangibles en termes de lutte contre l’inflation avant les mid-terms. Une fois l’échéance électorale derrière nous, la banque centrale aura peut-être un peu plus de marge de manœuvre et pourra éventuellement «donner du temps au temps» avant de commettre l’irréparable, une faute de politique monétaire. A vouloir terrasser l’inflation en menant une politique qui va «trop fort, trop vite» pour reprendre les termes de Charles Evans de la Fed de Chicago, la Fed prend un gros risque avec l’économie américaine, autant dire avec l’économie mondiale.

My name is bond, corporate bond

La partie courte de la courbe des US Treasuries est devenue encore plus intéressante la semaine dernière. Le 2 ans à 4,5% et le 5 ans à 4,25% donnaient vraiment envie de réinvestir en emprunts du Trésor. Le premier en «buy and hold» afin de parquer de l’excess cash à taux élevé et le second en gestion active grâce à une duration supérieure à 4,5, synonyme de gains en capital en cas de baisse de taux. Nous sommes donc passés à l’acte sur ces deux points de la courbe, selon deux stratégies différentes mais très complémentaires. La prochaine étape, le 30 ans, viendra dans un second temps: nous ne sommes pas encore prêts, le marché non plus. Il faudra que ce dernier envisage une récession plus brutale et décide de faire retourner les taux longs aux alentours de 3,5%. C’est un peu prématuré et avant de redescendre, le long bond pourrait bien flirter de nouveau avec le niveau de 4%.

Le niveau actuel des taux US de 2 à 5 ans nous permet d’envisager des investissements en crédits Investment Grade à des rendements proches de 5%. En jargon du métier cela s’appelle un «no brainer»! De nombreuses maisons de gestion en ont d’ailleurs profité pour proposer à leur clientèle des produits obligataires datés. Nous n’avons pas échappé à la règle car il s’agit réellement d’une opportunité à saisir tant qu’il est encore temps. Ce type de stratégie ne doit pas, en revanche, totalement supplanter la gestion active. Ce sont deux stratégies complémentaires qui doivent cohabiter dans un portefeuille équilibré.

La gestion active a de beaux jours devant elle : après le bain de sang de 2022 (pratiquement -19% pour le crédit IG US à fin septembre), nul besoin d’être grand stratège pour envisager un rebond (pas immédiat bien sûr) dans les années qui viennent. Bien géré, un portefeuille crédit Investment Grade pourra légitimement espérer délivrer des performances bien supérieures à celles d’une gestion «buy and hold». La plus stupide des stratégies serait d’opposer ces deux types de gestion. Il n’y a pas un style qui est meilleur que l’autre. Chacun a sa place et la complémentarité sera gagnante!

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