WeWork: récit d’une chute annoncée

Charles-Henry Monchau, Banque Syz

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WeWork, l’entreprise de coworking fondée par le charismatique Adam Neumann, s’est déclarée en faillite. Et va tenter une énième fois de se relancer.

L’essor, le «hype» et la chute

Fondée en 2010 par Adam Neumann et Miguel McKelvey, WeWork s’est tout d’abord positionnée comme un disrupteur dans le secteur des espaces de bureaux. L’entreprise propose des solutions de location à court terme d’espaces de travail collaboratifs aux particuliers et aux entreprises. Les bureaux de WeWork se caractérisent par une ambiance à la fois vibrante et décontractée, avec un décor lumineux et moderne, et l’offre unique d’alcool à volonté (!) dans ses bureaux. WeWork s’est délibérément positionné comme étant plus qu’un simple fournisseur de bureaux et de technologies bon marché, mais comme une entreprise qui s’efforce de remplir une «mission» visant à «élever la conscience du monde». En 2019, SoftBank de Masayoshi Son a évalué WeWork à 47 milliards de dollars, ce qui a suscité un engouement sans précédent autour de l’entreprise.

Cependant, des signes de difficultés ont commencé à apparaître lorsque WeWork a préparé son introduction en bourse en 2019. Ayant un besoin urgent de fonds, l’entreprise a cherché à entrer en bourse cette année-là. Néanmoins, l’introduction en bourse a été interrompue en raison de problèmes de gouvernance et de mauvaises performances financières au sein de l’entreprise. Cette situation a conduit à la démission de M. Neumann en tant que PDG, à la suite de critiques concernant son style de gestion non conventionnel. SoftBank est intervenu et a introduit WeWork en bourse en 2021 avec une valorisation de 8 milliards de dollars. La pandémie de COVID-19 a exacerbé la situation, réduisant considérablement la demande d’espaces de bureaux partagés à mesure que le travail à distance se généralisait. De nombreuses entreprises ont brusquement résilié leurs baux, tandis que le ralentissement économique qui a suivi a incité davantage de clients à cesser leurs activités.

«Tout d’abord, et c’est le plus évident, il y a eu la pandémie. Qui avait prévu que personne ne serait autorisé à se rendre au bureau comme au bon vieux temps? La pandémie n’a pas seulement augmenté le nombre de bureaux vacants, elle a littéralement décimé le marché des espaces de bureaux», a déclaré Anthony Sabino, un expert dans le domaine des faillites.

Depuis longtemps, WeWork est aux prises avec l’instabilité financière. En septembre, la société a procédé à un «reverse split» dans un rapport de 1 pour 40 afin de ramener ses actions au-dessus de la barre des 1 $, condition essentielle pour maintenir sa cotation à la Bourse de New York. Le mois dernier, WeWork a révélé son incapacité à faire face à des paiements d’intérêts s’élevant à 95 millions de dollars. Au cours du premier semestre de cette année, WeWork a enregistré une perte de plus d’un milliard de dollars, principalement en raison des dépenses considérables liées à la gestion de ses bureaux et des coûts opérationnels supplémentaires. Selon le rapport de FinShots, à fin 2022, WeWork comptait à son passif 15 milliards de dollars de loyers à payer et plus de 3 milliards de dollars de prêts à court-terme.

Les pertes financières considérables de l’entreprise et ses transactions internes ont été largement couvertes par les médias, notamment dans la série Apple TV «WeCrashed. La série a illustré plusieurs scènes montrant le style de vie exubérant du charismatique cofondateur alors qu’il construisait le symbole du «bureau cool» à partir d’une simple propriété dans la ville de New York.

L’après «chapter 11»

En proie à des difficultés financières de longue date, WeWork Inc. et certaines de ses entités se sont placées sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites devant la cour fédérale du New Jersey le lundi 6 novembre 2023. La capitalisation boursière de WeWork est désormais inférieure à 50 millions de dollars. Comme le précise le communiqué de presse de l’entreprise, le dépôt de bilan ne concerne que les implantations aux États-Unis et au Canada. Actuellement dans le rouge, WeWork doit faire face à des milliards de dollars de dettes. L’ancien cofondateur et PDG Adam Neumann, tout en reconnaissant la déception suscitée par ce dépôt, reste optimiste quant à la possibilité d’une reprise réussie par le biais d’une réorganisation.

L’aspect essentiel de la faillite est qu’elle est placée sous le chapitre 11, ce qui permet à l’entreprise de poursuivre ses activités et de restructurer ses actifs, par opposition au chapitre 7, qui impliquerait une liquidation et une vente forcée de ses actifs à des prix réduits. WeWork s’est engagé dans un accord de soutien à la restructuration, soutenu par les principaux acteurs financiers, y compris SoftBank, visant à réduire de manière significative sa dette existante dans le cadre du processus de restructuration. «Ils ont besoin de lever des capitaux et de redimensionner leur portefeuille immobilier, en négociant des conditions de location plus favorables ou en rejetant des conditions de location. Ce sont souvent les deux moteurs d’un dépôt de bilan au titre du chapitre 11», a déclaré Sarah Foss, responsable mondiale du service juridique chez Debtwire.

Environ 92% des prêteurs de la société ont accepté de convertir leur dette en actions. Cette conversion devrait permettre d’éliminer environ 3 milliards de dollars de la dette totale de l’entreprise, qui dépasse les 18 milliards de dollars. Tout en modifiant considérablement sa structure opérationnelle, WeWork n’a pas perdu le soutien de parties prenantes clés telles que SoftBank, qui détient environ 71% de la société, ainsi que des fonds spéculatifs tels que King Street Capital Management et Brigade Capital Management. Ces entités ont manifesté leur intérêt à prendre le contrôle de WeWork pendant la procédure de faillite et à en devenir éventuellement propriétaires à sa sortie de faillite.

Le plan de restructuration permettra également à WeWork de réduire son portefeuille de baux de bureaux. Les locataires devraient assister à un rééquilibrage stratégique des accords de location de bureaux de l’entreprise. WeWork a défini un plan global de rejet des baux visant à optimiser la valeur et l’efficacité opérationnelle, en ciblant spécifiquement les baux jugés «largement non opérationnels». Cette démarche intentionnelle sert également de levier pour négocier des conditions plus favorables pour les baux conservés. Bien que les bureaux spécifiques qui seront conservés restent incertains, WeWork a communiqué des avis préalables aux membres concernés dans les cas où le rejet du bail est envisagé.

Pour les locataires situés en dehors des États-Unis et du Canada, WeWork s’est engagé à ce que les activités se poursuivent normalement. Les franchises du monde entier devraient fonctionner comme à l’accoutumé dans la majorité des plus de 700 sites dans le monde et environ 730'000 membres.

Impact sur le secteur du coworking

Après avoir étudié les comptes de WeWork depuis son introduction en bourse, Rett Wallace, PDG de Triton Research Inc. a souligné que le modèle d’affaire de WeWork était conçu pour la croissance à long-terme, ce qui impliquait des pertes sur plusieurs années. Cependant, le marché de l’immobilier a été confronté à des défis importants, marqués par des hausses de taux d’intérêt et des perturbations causées par la pandémie. Bien que les entreprises préconisent des retours partiels dans les bureaux, le taux d’inoccupation global reste élevé. Cela se traduit par une baisse sensible des prix, une augmentation de la rotation des locataires et une faible demande de location sur l’ensemble du marché de l’immobilier de bureau. M. Wallace souligne que même avec une proposition de valeur convaincante pour le consommateur, lorsque l’on est confronté à des conditions économiques défavorables, les facteurs économiques «prennent inévitablement le dessus», façonnant la trajectoire d’entreprises telles que WeWork.

Tobias Kollewe, président de l’association fédérale allemande des espaces de coworking (BVCS), apporte un point de vue différent, qualifiant WeWork de cas évident de mauvaise gestion et estimant que les difficultés rencontrées par l’entreprise ne doivent pas être attribuées à la situation générale de l’industrie du coworking. Selon Kollewe, «le coworking est une histoire à succès». Les enquêtes menées dans le secteur mettent en évidence une augmentation notable de la demande de location de bureaux à court terme, reflétant une acceptation croissante des pratiques de travail hybrides parmi les entreprises. Une étude réalisée en juin par CBRE, un leader mondial des services immobiliers commerciaux et d’investissement, a montré que les entreprises européennes étaient de plus en plus friandes d’espaces de travail modulables. Les résultats indiquent que certaines entreprises sont désormais prêtes à allouer davantage d’espace à des bureaux flexibles qu’au cours des années précédentes. En outre, une étude récente de Market Reports World estime la valeur actuelle du marché des espaces de coworking à 19 milliards de dollars et prévoit un taux de croissance annualisé de près de 17% jusqu’en 2028. Mark Dixon, fondateur d’IWG, le concurrent de WeWork, souligne l’accélération de la croissance de son entreprise à l’échelle mondiale en raison de l’essor des tendances en matière de travail hybride.

«Aujourd’hui, les entreprises de toutes tailles résilient leurs baux commerciaux à long terme et les remplacent par des accords à plus court terme avec des fournisseurs d’espaces de travail flexibles tels qu’IWG», a déclaré Dixon (DW).

L’entreprise dont le siège social est en Suisse et qui jouit d’une vaste présence mondiale avec près de 3500 sites dans plus de 120 pays, a franchi une étape historique en affichant le mardi 7 novembre 2023 le chiffre d’affaires trimestriel le plus élevé de ses 30 ans d’existence. Dixon a confirmé que l’entreprise étudie activement la possibilité d’acquérir des locaux supplémentaires auprès de WeWork. Ce mouvement stratégique montre l’intérêt d’IWG à étendre sa présence et à capitaliser potentiellement sur les défis auxquels WeWork est confronté.

 WeWork peut-il renaître de ses cendres?

Malgré les difficultés actuelles, la perspective d’une renaissance de WeWork semble plausible, même si elle s’inscrit dans un cadre plus rationalisé. Les analystes estiment que l’entreprise devrait survivre en réduisant sa taille ou en fusionnant avec un concurrent. La marque WeWork devrait perdurer même en cas de fusion. Grâce à l’implication de nombreuses parties prenantes, dont les locataires et les employés, la probabilité que WeWork disparaisse complètement est considérée comme faible. En outre, il est fort possible que SoftBank injecte des fonds supplémentaires dans WeWork afin de survivre à la procédure de faillite et éviter toute poursuite judiciaire. Selon Hynes, responsable mondial de la recherche sur le crédit chez Debtwire, cette probabilité s’élève à 99% et joue un rôle crucial dans la restructuration financière de WeWork. Néanmoins, il faut s’attendre à ce que la restructuration donne lieu à un nombre important de litiges, ce qui laisse présager d’un chemin complexe et semé d’embûches pour la résurrection de WeWork.

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