La Suisse, leader incontesté de l'innovation

Charles-Henry Monchau, Banque Syz

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La dominance de l’économie helvétique s’explique non seulement par son système éducatif mais aussi par ses investissements en R&D et son cluster d’entreprises fintech et biotech.

Dans le domaine de l'innovation, peu de nations se distinguent autant que la Suisse. Pour la douzième année consécutive, notre pays occupe la place d'économie la plus innovante du monde, comme le montre l'indice mondial de l'innovation 2023 (GII). La Suisse y occupe une nouvelle fois la première place. Elle est suivie de près par les Etats-Unis, la Suède, le Royaume-Uni et les Pays-Bas.

Source Image: Genuine Impact 2022

 

Le GII, un classement annuel comprenant environ 132 pays, évalue et classe les économies sur la base de leurs capacités d'innovation et de leurs résultats. Publié chaque année par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), dont le siège est à Genève, le GII mesure l'innovation dans son étude GII sur la base de 80 critères et englobe deux sous-indices essentiels: le sous-indice des intrants («inputs») de l'innovation et le sous-indice des extrants («outputs») de l'innovation.

Le sous-indice d’inputs évalue des facteurs essentiels tels que le soutien donné par les institutions, le capital humain et la recherche, la qualité de l'infrastructure, la sophistication du marché et celle des entreprises.

Le sous-indice des outputs de l'innovation examine quant à lui les résultats en matière de connaissance et de technologie, notamment les brevets, le transfert de technologie et la fabrication de haute technologie, ainsi que les résultats créatifs, notamment les biens et services créatifs, la créativité en ligne et les actifs intangibles.

La relation entre les inputs et les outputs de l'innovation est un aspect essentiel de l'évaluation de la capacité d'innovation d'un pays. Cette relation est souvent visualisée sur un graphique, où les inputs de l'innovation sont représentés sur l'axe horizontal et les outputs de l'innovation sur l'axe vertical.

Les économies qui se situent au-dessus de la ligne de ce graphique sont considérées comme efficaces dans leur capacité à transformer leurs investissements dans l'innovation en des résultats valables et ayant un impact. En d'autres termes, elles tirent le meilleur parti de leurs investissements dans l'innovation. La Suisse est un exemple de cette efficience, puisqu'elle se situe constamment au-dessus de cette ligne.

Source Image: Global Innovation Index 2020

 

Selon l'OMPI, malgré sa taille et sa population, la Suisse est toujours plus performante en matière d'investissements technologiques et d'inventions. Elle occupe la première place mondiale en matière de «production de connaissances et de technologies et production créative» et se classe au quatrième rang mondial pour le nombre de brevets par habitant. L'OMPI a également observé qu'en dépit des incertitudes financières persistantes à l'échelle mondiale, le paysage de l'innovation mondiale a connu un regain de croissance, en particulier dans les domaines de la santé, de l'énergie et de l'intelligence artificielle. Les investissements dans le progrès scientifique, les publications, la recherche et le développement, ainsi que dans les nouvelles entreprises ont augmenté de manière substantielle tout au long de 2022, et ce malgré l'instabilité mondiale due à la guerre en Ukraine, aux répercussions de la pandémie de COVID-19 et aux pressions inflationnistes qui en ont découlé.

Les secrets de la réussite Suisse

Il n'y a pas de recette magique pour expliquer le succès de la Suisse. L’explication tient à un ensemble de facteurs.

  1. L’éducation
    La Suisse dispose d'un système éducatif bien structuré et méticuleusement conçu pour favoriser l'innovation. Il fonctionne efficacement, guidé par des principes centraux tout en permettant aux cantons de régir des aspects spécifiques, garantissant ainsi l'adaptabilité aux spécificités cantonales et locales. La Suisse a obtenu la première place en matière d'enseignement universitaire, comme le confirme le dernier classement mondial des universités de QS (2023). Avec un rapport coût-efficacité remarquable puisque 15% des programmes universitaires suisses se classent parmi les dix premiers mondiaux dans 54 disciplines académiques.
    Des institutions très réputées telles que l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPF) excellent dans divers domaines, notamment les sciences de la terre, l'architecture (troisième place), l'ingénierie - mécanique, aéronautique et de fabrication (cinquième place), et les mathématiques, la physique et l'astronomie (toutes huitièmes places). L'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) s'est également classée dans le top 10 mondial dans deux matières: Science des données (9) et Génie civil (10). La Suisse excelle également dans des domaines tels que la gestion de l'hôtellerie, avec l'EHL Hospitality Business School en tête, ainsi que dans l'expertise en médecine dentaire et dans d'autres disciplines.
    En outre, l'enseignement supérieur suisse est reconnu pour son approche pratique, pragmatique et centrée sur l'industrie. Cette orientation est essentielle au développement d'une main-d'œuvre hautement qualifiée, facilitant la progression sans heurt des concepts et des brevets vers des produits tangibles et industrialisés.
     
  2. Neutralité et stabilité des institutions
    La Suisse est régulièrement classée comme l'une des nations les plus stables politiquement et à faible risque au niveau mondial. L'US News and World Report place la Suisse en quatrième position dans son classement mondial 2023 des pays les plus stables politiquement. Cette position est attribuée au système du consensus, à la démocratie directe et à l'Etat de droit. La Suisse dispose d'un système politique qui «garantit la stabilité productive et permet à l'économie suisse de prospérer», comme l'explique Seedstars dans son rapport 2019.
    La gouvernance décentralisée et la forte tradition de démocratie directe créent un environnement favorable à l'innovation. La structure fédérale de la Suisse, qui distribue les pouvoirs aux cantons, encourage la concurrence et l'expérimentation régionales, favorisant des approches innovantes adaptées. Dans l'étude 2020 intitulée «Power Up Switzerland», Deloitte a analysé les valeurs clés et les institutions politiques qui font de la Suisse une destination commerciale attrayante. L'étude conclut que, dans toutes les industries, la compétitivité et l'innovation futures dépendent principalement de la stabilité politique du pays.
    La stabilité politique constante de la Suisse attire à la fois les investisseurs et les personnes qualifiées. Historiquement, cette stabilité et cette neutralité ont servi de refuge à ceux qui ont été contraints de quitter leur pays en raison de guerres ou de persécutions, parmi lesquels des personnalités comme Albert Einstein. Aujourd'hui, les milieux universitaires et les multinationales opérant dans le pays bénéficient également d'une présence importante de talents étrangers. Pour la dixième année consécutive, la Suisse a obtenu la première place dans le classement mondial des talents de l'IMD pour 2023, devançant 64 économies réparties dans huit régions. La proportion de travailleurs étrangers dans la main-d'œuvre suisse représente environ un tiers de la main-d'œuvre totale en 2022. Cet afflux constant d'expertise souligne le rôle essentiel de la stabilité politique dans la création d'un environnement propice à l'innovation et au progrès économique.
     
  3. Investissements en recherche et développement
    La domination de la Suisse en matière d'innovation est fortement étayée par des investissements substantiels dans la recherche et le développement. En 2022, les investissements des entreprises dans la R&D ont connu une hausse notable, augmentant de 14% d'une année sur l'autre pour atteindre 33 milliards d'euros, se classant ainsi au cinquième rang mondial, comme le souligne EY. Les géants pharmaceutiques Roche et Novartis, dont le siège est à Bâle, se classent parmi les 20 premières entreprises mondiales ayant les budgets de recherche les plus importants, ce qui renforce encore le paysage de l'innovation en Suisse, selon l'OMPI.
    Le pays peut également se targuer d'avoir le plus grand nombre de demandes de brevets européens par rapport à sa population. Le soutien généreux des pouvoirs publics, tant fédéraux que locaux, n'est pas étranger à cette situation. Lan Zuo Gillet, directeur du programme de formation à l'entrepreneuriat en Suisse occidentale, a souligné les spécificités de l'approche de la R&D par les autorités fédérales: «Le gouvernement ne dicte pas où il pense que les investissements devraient être faits. Au contraire, il invite les personnes ayant des idées novatrices à se manifester et soutient celles qu'il considère comme les meilleures et potentiellement les plus impactantes. De cette manière, les initiatives émanent des citoyens et non du gouvernement», explique M. Lan.
    En outre, le mécanisme de financement encourage stratégiquement la collaboration entre le secteur des entreprises et les universités. Innosuisse, l'agence suisse pour l'innovation, canalise les fonds directement vers les universités, ce qui incite les entreprises à s'associer aux institutions universitaires pour développer de nouveaux produits et de nouvelles innovations. Cette approche collaborative facilite non seulement le soutien à la recherche subventionnée pour les entreprises, mais garantit également que les départements de recherche restent en phase avec l'évolution des marchés et de l'économie au sens large.
     
  4. Un cluster d’entreprises fintech et biotech
    La domination de la Suisse en matière d'innovation, reflétée dans les classements du GII, est en outre alimentée par son florissant cluster Fintech. La numérisation rapide des secteurs bancaire et financier a créé un solide écosystème d'innovation. Le gouvernement suisse joue un rôle important dans la rationalisation du processus de démarrage et la réduction des obstacles bureaucratiques, ce qui fait de la Suisse un lieu de prédilection pour les entreprises Fintech. Environ 10% de toutes les entreprises Fintech européennes sont basées en Suisse, principalement concentrées à Zurich. Le segment Fintech le plus développé se trouve dans l'industrie de la crypto et de la blockchain et depuis 2022, 7,3% de toutes les entreprises FinTech suisses se concentrent stratégiquement sur les produits et services durables.
    En outre, la scène de l'innovation en Suisse est considérablement stimulée par son cluster biotechnologique. Reconnue comme un pôle biotechnologique de premier plan, la Suisse accueille des géants pharmaceutiques tels que Novartis et Roche, ainsi qu'un écosystème dynamique de startups innovantes et d'institutions de recherche à la pointe des avancées biotechnologiques. En 2022, le secteur suisse de la biotechnologie a connu une croissance impressionnante, avec des revenus atteignant 6,8 milliards de francs suisses et des investissements en R&D de 2,7 milliards de francs suisses. Une étude récente menée par IQVIA dans le cadre du 2023 Swiss Biotech Report révèle une tendance notable : la Suisse accueille désormais 20% des entreprises européennes de biotechnologie. Nombre d'entre elles, y compris les nouvelles venues des Etats-Unis, préfèrent les sites stratégiques suisses tels que Bâle, Genève, Zurich ou Lucerne. Leur préférence pour la Suisse en tant que cluster de la biotechnologie est en partie attribuée au taux élevé d'approbation par Swissmedic, ce qui souligne encore l'attrait de la nation en tant que plaque tournante propice aux progrès de la biotechnologie.
Conclusion

Le fait que la Suisse soit depuis de nombreuses années le leader mondial de l'innovation, comme en témoigne sa première place dans le Global Innovation Index (GII), est dû à une combinaison de facteurs. Le solide système éducatif de la Suisse, son environnement politique stable, ses investissements substantiels dans la recherche et le développement, ses pôles florissants de Fintech et de biotechnologie, ainsi que sa culture favorisant la collaboration et l'esprit d'entreprise sont autant d'éléments qui convergent pour consolider sa position en tant que modèle l'innovation pour le reste du monde.

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