Les marques de luxe ont-elles perdu tout leur éclat? Non. Leurs résultats ne dépassent plus les attentes. C’est tout.
Une croissance au-dessus de la moyenne, des évaluations au-dessous de la moyenne: les cours actuels offrent-ils des opportunités d’achat dans le secteur du luxe?
Quand un secteur d’activités qui paraissait depuis des années à l’abri du moindre faux pas rencontre tout à coup des difficultés, les journalistes financiers en font leurs choux gras. Les résultats affichés depuis quelque temps par les marques de luxe ont offert, convenons-en, de la matière à leurs articles.
La marque de luxe italienne Ferragamo (mode, produits en cuir) a annoncé que ses ventes avaient baissé de 14% au troisième trimestre. Burberry a lancé un avertissement sur résultats et annoncé qu’il était peu probable qu’il atteigne ses prévisions de chiffre d’affaires annuel. Estée Lauder a vu le 1er novembre son titre enregistrer sa plus forte baisse au cours d’une séance depuis qu’il est coté en Bourse après avoir annoncé une baisse des ventes de 10% par rapport à 2022.
Un analyste financier affirmait que la tendance actuelle apportait la preuve que «le secteur du luxe avait perdu son éclat parce que même la clientèle haut de gamme se serrait la ceinture».
Nous avons en ce qui nous concerne toujours dit que nous étions convaincus que le levier le plus fort en faveur du secteur du luxe et des marques leaders sur le marché des produits de consommation est constitué par l’émergence dans le monde des classes moyennes et par la corrélation entre l’augmentation du revenu disponible des classes moyennes et leurs dépenses dans le secteur du luxe.
Est-ce que le ralentissement constaté récemment signifie que nous assistons à la fin de cette corrélation et à la disparition d’autres facteurs qui ont gouverné l’évolution du secteur dans le passé: pouvoir de fixation des prix, marges élevées, croissance régulière des revenus? Est-ce que le ralentissement auquel on assiste peut se traduire par un effondrement? La réponse est non sans équivoque.
Regardons les choses de plus près pour ce qui est de ce «ralentissement»! Le taux de croissance des marques de luxe devrait cette année être divisé par deux par rapport à l’année précédente. Une évolution qui à l’évidence a été une source d’inquiétude pour les investisseurs et les analystes. Le taux de croissance du secteur s’était certes élevé à 22% en 2022. Mais nous nous attendons à ce qu’il reste à deux chiffres cette année.
Les excellents résultats enregistrés l’année dernière peuvent être mis sur le compte d’«achats par vengeance» effectués dans les pays occidentaux par les consommateurs après qu’ils aient tourné la page de la pandémie et des confinements qui l’avaient accompagnée. Par ailleurs un des facteurs les plus sous-estimés pour ce qui est des marques leaders est qu’elles ont tendance à augmenter leurs investissements quand la croissance ralentit pour être capables de capturer de plus grandes parts de marché quand la conjoncture s’améliore.
Cela étant, tout s’est passé comme si les investisseurs s’étaient habitués à voir ces entreprises dépasser les attentes au cours des dernières années chaque fois qu’elles publiaient leurs résultats.
Ce phénomène a commencé à s’estomper quand les choses ont repris un cours normal et c’était prévisible. La réouverture du marché chinois a pu nourrir l’espoir qu’elle compenserait le ralentissement dans les pays occidentaux. Mais la population en Chine ballotée d’un confinement à l’autre pendant trois ans n’a pas encore renoué avec les comportements qui étaient les siens avant la pandémie.
Il faut savoir que les moyennes ne tiennent pas compte des cas particuliers. Il est important de souligner à propos du taux de croissance du secteur des produits de luxe l’extrême polarisation du marché. Les gagnants continuent à détenir une part de marché plus importante que celle qui devrait être «normalement» la leur.
La division mode et produits en cuir du groupe de luxe français LVMH, concurrente directe de Ferragamo, a, par exemple, vu ses ventes progresser de 9% au troisième trimestre. Hermès, concurrent direct de Burberry, a vu ses ventes augmenter de 16% au cours de la même période et enregistrer une croissance à deux chiffres sur tous ses marchés. Quant à L’Oréal, le groupe français a vu ses ventes croître de 11,1%, alors que Estée Lauder connait des difficultés.
Mais le plus important pour ce qui est de notre anticipation d’un taux de croissance à deux chiffres pour l’année en cours est dans quelle perspective à long terme elle s’inscrit. Notre anticipation se situe au-dessus de la moyenne de 6% à 7% enregistrée au cours des vingt-cinq dernières années, qui constitue le point d’entrée selon nous pour investir dans le secteur du luxe.
Le discours sur un effondrement des cours s’est effectivement traduit par une sous-évaluation des titres du secteur de l’ordre de 10% par rapport à la moyenne de l’évolution des cours sur cinq ans. Cela malgré le fait que le secteur soit plus en «forme» qu’à aucun autre moment au cours de cette période: les marges sont plus élevées, les entreprises produisent plus de cash et sont plus nombreuses à avoir des bilans affichant des trésoreries nettes positives.
Ainsi les entreprises du secteur du luxe enregistrent-elles une croissance supérieure à la moyenne à un moment où nous assistons à une crise du coût de la vie et où leurs cours se traitent en dessous des estimations à long terme. A l’évidence, il n’y a pas là de quoi faire les gros titres dans les journaux. Mais nous préférons garantir à nos investisseurs des rendements élevés plutôt que de donner aux journalistes matière à des articles à sensation.